Durant ces quatre années, A. Benkirane a fait preuve d’audace, mais aussi d’hésitation. Sous son mandat, des réformes ont vu le jour, d’autres piétinent encore. Selon qu’on l’aime ou ne l’aime pas, chacun verra le verre à moitié vide ou à moitié plein. En tout cas, une année nous sépare du verdict final.
A un an de la fin du mandat du gouvernement Benkirane, l’heure est au bilan. Quatre ans après son investiture, quelles sont les réalisations économiques-phares propres à son équipe gouvernementale ? Quelles sont les réformes inachevées et surtout, un an d’exercice est-il suffisant pour les finaliser ? Quelles sont les chances de voir l’équipe actuelle reconduite pour les quatre prochaines années ? Des questions qui se posent d’emblée et auxquelles nous avons essayé de répondre à travers une analyse économique loin d'être exhaustive, qui fait ressortir, par contre et les forces et les faiblesses de l’équipe aux manettes. En guise d’introduction, il est utile de rappeler que dans la déclaration gouvernementale, il est écrit noir sur blanc que le gouvernement entreprend de porter à un niveau supérieur l’économie du pays, en réalisant un taux de croissance de 5,5% au cours de la période 2012-2016, et un taux de croissance du Produit intérieur brut non agricole de 6%. Un taux même de 7% a été annoncé dans son programme électoral, rappelleront ses détracteurs. «Le gouvernement s’emploiera également à maîtriser l’inflation dans la limite de 2%, à réduire le taux de chômage à 8% à l’horizon 2016, à maîtriser le déficit budgétaire à 3% du PIB et à améliorer l’épargne et l’investissement», apprend-on dans la décla ration gouvernementale. Comment ? Il sera procédé, entre autres, au développement des ressources financières publiques à travers une réforme globale du système fiscal et à la rationalisation des dépenses, loin de l’excès et du gaspillage. Quatre ans après, tout laisse prédire que nous sommes loin des comptes.
2012 : Un mandat qui démarre mal… très mal
Une Loi de Finances tardive, des effets de la crise mondiale très palpables, manque de liquidité bancaire, fluctuations des prix du baril de pétrole, indicateurs en rouge… L’ère Benkirane débute dans le chaos. Ainsi, l’année 2012, qui entame le mandat du gouvernement Benkirane, illustre bien le marasme économique et social dans lequel baignait le pays, hâtant l’arrivée en catastrophe de ce gouvernement post-printemps arabe. En effet, malgré des promesses électorales des plus pompeuses, Abdelilah Benkirane, qui passe du secrétariat général du Parti justice et développement au poste de Chef de gouvernement, ne détient pas de baguette magique pour enclencher un décollage économique et social immédiat. Encore moins pour constituer rapidement un gouvernement. L’équipe gouvernementale formée, il fallait encore attendre qu’elle peaufine son programme. Après l’obtention du gouvernement de la légitimité et l’investiture parlementaires, le 26 janvier 2012, commence alors une course contre la montre pour bricoler un projet de Loi de Finances, présenté moins de deux mois plus tard devant le Parlement. Il faut reconnaître qu’il s’agissait de la copie du précédent gouvernement que l’équipe fraîchement constituée avait juste retouchée. Les débats parlementaires autour de la Loi de Finances et son vote ont pris fin le 15 mai 2012. Pour les sept mois qui restaient de 2012, aucun grand changement à espérer ! Pourtant, l’actuel gouvernement bénéficiait, dans sa version I, d’un référentiel constitutionnel qui garantit à l’Exécutif des compétences et des moyens sans précédent durant toute l’histoire des gouvernements qui se sont succédé dans la gestion de la chose publique au Maroc, grâce notamment à la Constitution de 2011. Ce n’est pas pour ses prouesses que ce gouvernement sera célèbre, mais plutôt par les hausses successives qu’il va opérer tout au long de ce mandat. Ainsi, avant même la fin du semestre et face aux fluctuations des prix du baril de pétrole, il a été procédé à un réajustement des prix intérieurs des produits pétroliers, avec une hausse moyenne de 13,3% «soit la plus forte hausse des prix intérieurs de ces produits enregistrée en une seule fois, depuis plusieurs années», note le Centre marocain de conjoncture. Néanmoins, le gros handicap de cette prise de pouvoir est la situation économique du pays, fortement perturbée par la crise économique qui sévit dans le monde depuis 2008, et dont l’onde de choc venait tout juste de toucher le pays. Normal, puisque les principaux partenaires du Maroc ont été sérieusement touchés, notamment l’Union européenne. Pour preuve, en août 2012, pour faire face aux chocs exogènes, le Maroc a souscrit à une Ligne de précaution et de liquidité, prenant des engagements que beaucoup qualifient d’austérité qui ne dit pas son nom.
Des indicateurs dans le rouge
Cela n’empêchera en rien le recul du taux moyen de la croissance de 4,8%, en 2011, à 2,7 % en 2012, avec une aggravation du déficit de la balance commerciale, qui a atteint 197,2 milliards de dirhams à fin décembre, selon l’Office des changes. Ce qui démontre que l’année 2012 a connu une hausse de 7,9% (ou 14,4 milliards de DH), en comparaison avec la même période de l’année précédente, ainsi le déficit de la balance commerciale aura dépassé le total des revenus des exportations de plus de 14,3 milliards de DH. L’exercice budgétaire de l’année 2012 s’est en effet soldé par un déficit global atteignant 63,3 milliards de DH, en accroissement de 17,5% par rapport à l’année précédente, et représentant 7,6% du PIB. Cette dette publique (extérieure et intérieure) a une courbe ascendante. Elle a atteint à fin 2012, le montant de 583 milliards de DH. Ce qui équivaut à 71% du PIB marocain. La dette publique extérieure est estimée à 196 milliards de DH tandis que la dette intérieure se chiffre à 387 milliards de DH. Autre indicateur et non des moindres, l’aggravation du déficit global du Trésor, qui atteint 47 milliards de DH à fin novembre 2012 par rapport au chiffre de 27 milliards de DH enregistré à la même période de l’année 2011. La baisse de 4% des transferts des Marocains résidant à l’étranger qui se sont limités à 56,3 milliards de DH, et le recul des revenus provenant du secteur du tourisme de 1,6% pour atteindre 58,1 milliards de DH à fin décembre 2012 par rapport à la même période de l’année 2011, assombrissent le tableau. Le pays et les opérateurs scrutent également avec inquiétude la baisse des réserves en devises, qui ne couvrent plus que près de 4 mois d’importations, malgré les crédits obtenus sur le marché international (1,5 milliard de dollars). On notera également le recul des investissements et des crédits privés étrangers à un taux de 2% à fin 2012, en comparaison avec la même période de 2011, ces investissements n’ont pas dépassé 29,8 milliards de DH. Pour sa part, le taux moyen d’investissement pique du nez à cause du recul de l’investissement, aussi bien public que privé. Ainsi, seulement 37 milliards de DH environ du budget d’investissement prévu dans la Loi de Finances ont été réalisés. Les établissements publics ont réalisé moins de 60% des investissements annoncés, et c’est un niveau inférieur à la moyenne des années précédentes. L’année connaîtra un maintien du taux d’inflation dans les limites de 1,3% vers la fin de 2012, selon le Haut-Commissariat au Plan. La seule hausse dans ce sombre tableau est celle … du taux de chômage à 9,4% pendant les neuf premiers mois de l’année 2012, en comparaison avec la même période de l’année 2011. Ce taux a atteint 20,2%, chez les jeunes de moins de 24 ans, avec deux points de plus en comparaison avec la même période de l’année précédente. Dans son évaluation de l’action gouvernementale, le Médiateur pour la démocratie et les droits de l’Homme note que sur les secteurs sociaux comme l’éducation, la santé, l’emploi et le logement, qui constituaient un enjeu stratégique et un argument mobilisateur du programme électoral du Parti de la justice et du développement, l’actuel gouvernement n’a pris en charge aucun des secteurs sociaux en question. Autant dire que le bilan de cette année 2012 était des plus critiques de ce mandat. Il faut dire qu’en sept mois d’exercice du pouvoir, il est difficile de faire bouger rapidement le gouvernail du Maroc. Chose que le gouvernement tentera de faire dans le cadre du PLF 2013, du moins essayera-t-il !
Licences et agréments : l’exercice de transparence tourne court
Le 1er mars 2012, le ministère du Transport et de l’Equipement publiait la liste, de 400 pages des bénéficiaires d’agréments de transport. A l’époque, cette action se justifiait par l’engagement du ministère à renforcer son système de gouvernance, à développer la transparence et à amener l’administration à bien servir le citoyen et en l’appuyant dans son droit à l’accès à l’information. L’action avait suscité beaucoup d’intérêt et avait été largement saluée par une population fatiguée par l’iniquité sociale et des privilèges accordés à une autre frange de la population sans que rien ne le justifie. Mais l’exercice ne sera pas réitéré !
Cahier des charges audiovisuel : le premier incident
L’une des premières actions auxquelles s’est attelée le tout nouveau gouvernement Benkirane fut l’élaboration, début 2012, du nouveau cahier des charges pour les deux principales chaînes publiques du Royaume. Ce qui ne devait être qu’une formalité s’est vite transformé en un véritable tollé, déclenchant une polémique que le gouvernement n’est pas près d’oublier. En voulant reprendre en main le pôle audiovisuel public, et lui imprimer un contenu plus en phase avec les idéaux du parti au pouvoir, le ministre de la Communication, Mustapha El Khalfi, s’est heurté à une véritable levée de boucliers, notamment de la part des dirigeants de 2M et de la SNRT. L’objet du bras de fer : une série de mesures jugées interventionnistes et dirigistes. Parmi les mesures polémiques figurent l’interdiction de la publicité pour les jeux de hasard, l’arabisation des chaînes marocaines, la diffusion de l’appel (Adhan) aux cinq prières quotidiennes, ainsi que l’augmentation de la durée consacrée aux programmes religieux. Pour les adversaires du PJD, l’occasion était trop belle pour dénoncer le projet de société que porte le parti au pouvoir. Finalement, après plusieurs mois de révision et de violentes diatribes, la tutelle fait marche arrière sur les mesures les plus clivantes, pour aboutir à un cahier des charges religieusement moins teinté. Pour le PJD et Abdelilah Benkirane en tête, cet épisode a eu valeur de leçon : s’opposer est une chose, gouverner en est une autre.
2013 : Benkirane prend goût au pouvoir !
L’année 2013 est celle qui marque réellement la prise en main des rênes de l’économie et des secteurs sociaux par le gouvernement Benkirane. Comme en témoigne la Loi de Finances, l’une des illustrations de cette prise de confiance est la décision, en avril 2013, d’une coupe budgétaire de 15 milliards de DH ! On se souvient encore du tollé créé par cette décision bien que Nizar Baraka, ministre des Finances de l’époque, eût précisé que les budgets d’investissement étaient jusque-là sans rapport avec la réalité. En effet, l’accumulation des reports de dépenses d’inves tissement posait nombre d’interrogations. Le gouvernement va se démarquer de ceux qui l’avaient précédé en organisant, en avril de la même année, les deuxièmes Assises de la fiscalité, qui ont permis un débat franc sur des problématiques diverses, et dont les recommandations ont donné un espoir de réforme prochaine et globale du système fiscal marocain. Et cela va crescendo avec la mise en pratique de l’indexation partielle des produits pétroliers et le recours au hedging en septembre 2013. Certains observateurs estiment que cette mesure a été prise sous la pression du FMI et la crainte du Maroc de perdre la Ligne de précaution et de liquidité. Et d’ajouter qu’il ne s’agit là que d’une petite réformette, qui cache un Plan d’ajustement structurel (PAS) qui ne dit pas son nom, alors que d’autres montent au créneau pour dénoncer une fragilisation du pouvoir d’achat des Marocains. Cela dit, c’est la première fois depuis des lustres qu’un gouvernement s’attaque à la caisse de compensation devenue budgétivore. En effet, au titre de l'année 2012, la charge globale de la subvention des produits pétroliers, du gaz butane et du sucre s'est élevée à 53,369 milliards de dirhams, contre 48,475 Mds de DH en 2011; soit une hausse de 10,09 %. L’enjeu pour 2013 était justement de contenir le budget de la compensation à 42 milliards de DH. Sur le plan social, l’année 2013 sera marquée par une nouvelle politique migratoire, sur instruction royale, qui vise désormais la régularisation des sans-papiers justifiant de certaines conditions. Une première qui doit en principe concerner entre 20 et 40.000 personnes. En chiffres, l’activité économique s’est globalement comportée grâce, comme d’habitude, aux secteurs primaire et tertiaire. La consommation des ménages s’est bien tenue au cours de l’année 2013, favorisée, d’une part, par une maîtrise des prix à la consommation et, d’autre part, par l’amélioration des revenus des ménages. Ceux-ci auraient bénéficié de l’impact significatif de la bonne campagne agricole, des transferts des Marocains résidant à l’étranger de près de 58,4 milliards de dirhams à fin décembre, de l’amélioration de la situation du marché de travail à fin septembre et d’une évolution toujours positive de l’encours des crédits à la consommation (+2,2% à fin novembre), selon la Direction des études et des prévisions financières (DEPF). On note également que l’effort d’investissement s’est maintenu en 2013. Celui-ci aurait bénéficié de la bonne tenue des émissions au titre de l’investissement du Budget de l’Etat, qui ont progressé de 9,8% pour atteindre 41,9 milliards de dirhams à fin novembre, des recettes des Investissements directs étrangers (IDE) en hausse de 25,2% à fin décembre pour totaliser 40,2 milliards de dirhams, et des importations des entreprises en biens d’équipement, en augmentation de 8,2% à fin décembre à plus de 79 milliards de dirhams, ainsi que de la reprise de l’encours des crédits à l’équipement qui s’est accru de 2,4% à fin novembre à 139,1 milliards de dirhams, après une baisse de 0,8% un an auparavant. Pour les échanges extérieurs, le déficit commercial s’est atténué, par rapport à l’année 2012, de 2,8% à 5,7 milliards de dirhams pour atteindre 196,4 milliards au terme de l’année 2013. De même, le taux de couverture des importations par les exportations a enregistré une amélioration de 0,4 point pour s’établir à 48,2%. Au final, 2013, qui devait être une année difficile, se solde avec un taux de croissance de 4,4 %! Merci qui ? Merci la pluie.
Benkirane II : Chabat n’a pas su plier la main de Benkirane
Crise d’égo ou crise de leadership, une chose est sûre : Benkirane et Chabat, qui a été élu le 23 septembre 2012 à la tête du parti de l’Istiqlal à seulement 20 voix d’écart de Abdelouahed El Fassi, ne se supportent pas ; ce qui menace la fragile majorité gouvernementale. Après un an et demi de cohabitation donc, précisément en mai 2013, le Conseil national du parti de l’Istiqlal décide de se retirer du gouvernement et de soumettre, à cet effet, un mémorandum au Roi Mohammed VI. En juillet 2013, le Comité exécutif du parti de l’Istiqlal annonce la mise en application de la décision de son Conseil national de se retirer du gouvernement. Par conséquent, les ministres du PI vont ainsi présenter une démission collective au Chef de gouvernement, à l’exception de Mohamed El Ouafa. Le Comité exécutif avait justifié sa décision, à l’époque, par le fait qu’il avait accordé au chef de gouvernement le «temps suffisant pour remédier au retrait du parti de l’Istiqlal de sa majorité gouvernementale». Cette décision du parti de l’Istiqlal, qui détenait plusieurs portefeuilles dont ceux de l’Education et de l’Economie et des Finances, ouvre la voie au RNI de rejoindre le Mouvement populaire (MP) et le Parti du progrès et du socialisme (PPS), comme nouvel allié du PJD !
Aéronautique : le secteur prend un envol royal !
Erigé comme métier mondial du Maroc, l’aéronautique dispose désormais d’un site dédié. En effet, SM le Roi Mohammed VI, en présence du Chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, ainsi que du ministre de l’Industrie de l’époque, Abdelkader Amara, a inauguré lundi 30 septembre la zone franche d'exportation, Midparc, située à Nouaceur, près de l’aéroport de Casablanca. Le zone, destinée à accueillir des usines dans le domaine de l’aéronautique, mais pas seulement, s’étend dans cette première phase sur 63 hectares. Son premier client est le groupe Bombardier, qui a construit sa première usine au Maroc pour y produire des composants, depuis septembre 2014.
Clash Benkirane-Bensalah
Les relations entre Abdeillah Benkirane et Miriem Bensalah Chaqrounne sont pas toujours au beau fixe. Déjà lors de la présentation du Projet de Loi des Finances 2013, en octobre 2012, la CGEM avait dit regretter de découvrir des dispositions incluses dans ce texte n’ayant jamais fait l’objet de consultations. Alors même que la CGEM avait entamé un processus de discussions permanentes avec le gouvernement. Le patronat marocain pointe du doigt la création de nouvelles taxes qui grèveraient, selon lui, les facteurs de production. Et puis la réforme tant attendue de la TVA au Maroc a été ignorée par le gouvernement Benkirane. Au mois de juillet. La CGEM a refusé, en 2013, de prendre part à la visite du Premier ministre turc Recep Tayyib Erdogan, sous prétexte qu’elle n’avait pas été initiée à cet événement et qu’une autre association proche du PJD faisait partie des organisateurs.
2014 : Une année empreinte d’austérité
Cet exercice nous a encore rappelé que, loin des espoirs gratuits, les aléas climatiques jouent un rôle déterminant dans la croissance économique. Et ce n’est pas pour déplaire à ceux qui considèrent que le Maroc est un pays à vocation agricole. A juste titre, le démarrage tardif de la campagne agricole et l’insuffisance des précipitations ont eu un impact négatif sur le rendement des cultures et sur les activités qui s’y rattachent. Ce qui s’est traduit par une faible valeur ajoutée agricole, qui, malheureusement, n’a pu être compensée par les activités industrielles. La valeur ajoutée de l’ensemble du secteur aura ainsi accusé une baisse estimée à 2,5%. Celle des activités industrielles aura progressé de 1%. Après deux années de croissance soutenue, l’économie nationale s’est ainsi retrouvée face à un net repli d’activité dans les branches les plus dynamiques. Elle s’est soldée par un taux de croissance de 2,4% contre 4,7% en 2013, soit près de la moitié. Ce résultat a mis à rude épreuve l’équipe de Benkirane, parce qu’il marque une rupture par rapport à la tendance observée au cours des dernières années et traduit les difficultés ressenties diversement selon les secteurs d’activité. Au plan de la politique économique, la Loi de Finances pour l’exercice 2014 a adopté des configurations budgétaires aux orientations empreintes d’austérité. La priorité accordée aux rétablissements des équilibres financiers de l’Etat, à la stabilisation des avoirs extérieurs et à la maîtrise du déficit budgétaire semble avoir pris le dessus sur les objectifs de soutien à l’activité économique. Les mesures prises en début d’exercice avaient ainsi visé la réduction du budget d’investissement, l’augmentation de la pression fiscale et la restriction de l’emploi dans les administrations publiques. S’agissant de l’investissement, son faible dynamisme explique, en partie, le recul de la croissance d’un point de vue macroéconomique. Les activités primaires et celles du BTP ont été les premières à avoir pâti de la contraction de l’investissement. Si pour ces activités, la dynamique de l’investissement a été en partie conditionnée par l’évolution peu favorable de la campagne agricole, les coupes opérées dans le budget d’investissement en début d’exercice 2014 ont eu des répercussions importantes sur l’extension des capacités productives dans le secteur du bâtiment. En ce qui concerne les comptes extérieurs, l’incidence des facteurs exogènes, liés aux conditions climatiques et, dans une moindre mesure, les tendances hésitantes de l’économie mondiale, peut être invoquée pour expliquer, en partie, les contre-performances enregistrées lors de l’exercice écoulé. Ajoutons à cela, le fait que les orientations imprimées à la politique économique ont faiblement contribué à en atténuer l’ampleur. Il ressort ainsi de ces données un accroissement de la dette publique ayant atteint 78,2% du PIB. Une hausse était due à la persistance du recours intensif de l’Etat au financement intérieur, afin de couvrir son déficit estimé à 6% en 2013. Le déficit budgétaire s’est établi à 5,2% du PIB. L’année 2014 s’est par contre démarquée par la mise en place progressive des mesures visant la suppression du soutien aux prix des produits pétroliers, après l’indexation des prix intérieurs sur les prix internationaux. Et pour cause, le système de compensation, qui était conçu initialement pour protéger le pouvoir d’achat des catégories sociales les plus vulnérables, s’est complètement départi de sa mission devant le coût devenu insupportable pour le Budget. Une mesure qui, à l’époque, avait suscité des remous chez une frange de la population à cause de son effet dommageable sur le pouvoir d’achat. Une mesure, qui, faut-il le rappeler, avait été mise au placard, chez les prédécesseurs de Benkirane, à cause notamment de son caractère impopulaire, et ce malgré, les faramineuses économies qu’elle aurait pu engendrer sur le plan des dépenses budgétaires. Bref, une disposition à mettre donc à l’actif de Benkirane. La baisse des prix du pétrole n’a impacté positivement le Budget 2014 que pour les trois derniers mois de l’année. Une autre grande opération à inscrire au bilan du Chef de gouvernement, la contribution libératoire. Elle a été introduite dans le cadre de la Loi de Finances 2014, mais les retombées ne seront ressenties qu’en 2015. Son leitmotiv est plus qu’une amélioration des recettes fiscales et de reconstitution des réserves de change, de mettre en application les textes à la fois réglementaires et législatifs existants et se conformer à la mission de contrôle des avoirs des Marocains à l’étranger. L’année 2014 s’est aussi caractérisée par la taxation de l’agriculture, mais il faut reconnaître qu’il s’agit-là d’une décision royale.
Une croissance peu inclusive
Une chose est sûre : à l’instar des années précédentes, 2014 s’inscrit dans la continuité de la maîtrise des équilibres macroéconomiques. La soutenabilité des finances publiques requiert un assainissement budgétaire, à travers la réduction des charges non productives et la canalisation des ressources disponibles vers l’investissement productif et le développement humain. C’est un truisme de dire que les dividendes de la croissance économique ont bien profité aux riches. Sur ce dernier point, l’équipe au pouvoir n’a pas fait mieux que les précédentes. La pression est certes orientée vers plus de démocratie et de participation, mais la finalité, qui se mesure par l’amélioration des condi-tions de vie de tout un chacun, laisse à désirer. La stabilité sociale a encore des difficultés à faire bon ménage avec une croissance plus inclusive. Le taux de chômage, en 2014, s’est maintenu à des niveaux élevés, avec une moyenne de 9,3%, culminant à plus de 38% pour la catégorie des jeunes actifs urbains de la tranche d’âge des 15-24 ans. Si l’on prend en considération que le calcul du taux de chômage est souvent biaisé, le résultat pourrait être plus délicat. Davantage d’efforts devraient donc être faits, notamment la réforme fis-cale et les réformes d’intervention sur le marché du travail, en vue de soutenir l’emploi. C’est à la mise en place d’un modèle de croissance plus endogène que l’Etat devrait réfléchir. Car, il faut quand même poser une question de fond : comment rendre la croissance plus inclusive et durable ? Parce que le Maroc ne peut s’éterniser dans sa quête de l’émergence, il est temps de donner aux citoyens les moyens de gravir l’échelle sociale pour s’af-franchir de la pauvreté, rejoindre la classe moyenne et poursuivre leur ascension.
Contribution libératoire : 27,85 milliards déclarés pour 2,3 Mds encaissés
Le bilan de l’opération de la contribution libératoire est plus que satisfaisant. 18.973 déclarations d’actifs (immobiliers, financiers et liquides) ont été enregistrées durant l’opération pour une valeur déclarée de 27,85 milliards de dirhams. Le dispatching de ce montant sur les trois catégories d’actifs visés par l’opération de régularisation fait ressortir une légère prédominance des actifs financiers, qui s’élèvent à 9,87 milliards de dirhams, soit 35,44% du montant déclaré. Ceux-ci sont talonnés par les déclarations de biens immobiliers, dont la valeur a atteint 9,56 milliards de dirham, soit 34,35% du montant global déclaré. Enfin, les avoirs liquides transférés au Maroc ont atteint 8,42 milliards de dirhams, soit 30,22% du volume déclaré. En ce qui concerne les liquidités transférées, elles ont été soit converties en dirhams, soit logées dans des comptes en devises ou en dirhams convertibles au niveau des banques marocaines.
La taxation de l’agriculture : une décision du Roi
C’est un voeu pieux pour différents gouvernements que seul le discours royal du 30 juillet 2013 a pu faire aboutir. En plus de la volonté, s’est posée la question de l’opérationnalisation de cette décision hautement politique en ces temps de crise budgétaire. Les réponses apportées par la LF 2014 avaient suscité des appréhensions. Il faut dire que le gouvernement n’avait pas ratissé large en ciblant une petite niche d’exploitants. En effet, il avait opté pour une imposition progressive des sociétés agricoles. L’idée était d’imposer les grandes sociétés agricoles réalisant un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 5 millions de DH. Cependant, ce sont les sociétés qui génèrent un chiffre d’affaires supérieur ou égale à 35 millions de DH qui ont été concernées par la mesure à partir du 1er janvier 2014 jusqu’au 31 décembre 2015. Par la suite, viendra le tour des exploitants agricoles qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 20 millions de DH et qui auront jusqu’au 31 décembre 2017 pour se conformer.
Industrie : de nouvelles mesures d’accélération…
En 2014, le Maroc a mis en place une nouvelle stratégie industrielle. Le but est d’accélérer la cadence du développement industriel dans le pays. Le coût de cette nouvelle politique est de 20 milliards de DH. Cette nouvelle orientation vise à appuyer et à compléter les initiatives prises dans le cadre du Plan émergence, en 2005, et du Pacte pour l’émergence industrielle conclu avec le secteur privé en 2009. Des mesures d’accompagnement ont été également prises. La contribution de l’industrie dans la création de richesses devrait passer au cours des dix prochaines années à 23%, au lieu de 16% actuellement.
2015 : le mot de la fin revient à la pluviométrie
A deux mois de la fin de l’année 2015, il est important de rappeler que l’économie a ample-ment bénéficié de facteurs exo-gènes, à savoir l’aléa climatique et la baisse des cours des produits pétroliers et des autres matières premières non-énergétiques. Une aubaine qui a facilité la réforme de la caisse de compensation, sans grands impacts sur les prix inté-rieurs, largement maîtrisés. Elle va permettre de contribuer tant soit peu à rétablir les équilibres macro-économiques. Selon les pronos-tics élaborés par les différentes institutions, il semble que 2015 restera marquée par une légère reprise des activités non-agricoles sous l’effet d’un environnement international peu favorable. Elle bénéficierait toutefois d’une bonne campagne agricole. Le secteur primaire dégagerait une valeur ajoutée en hausse de 13,2%, contribuant ainsi, pour 1,5 point, à la croissance du Produit intérieur brut. Les activités non agricoles, de leur côté, devraient enregistrer une croissance de 2,5% au lieu de 2% en 2014. Cette légère crois-sance serait due à un accroisse ment des activités secondaires (1,9%) au lieu de 1,7%) en 2014. «Dans ces conditions, après une croissance de 2,4% en 2014, le PIB devrait enregistrer un accrois-sement de 4,3% en 2015, et ce compte tenu d’une évolution de 8% des impôts et taxes sur pro-duits nets de subventions», note le Haut-commissariat au plan. Au niveau des finances publiques, la réduction des dépenses bud-gétaires de soutien des prix, dans le cadre de la réforme de la com-pensation, associée aux efforts de la collecte des recettes fiscales, devraient se traduire par un allé-gement du déficit budgétaire, qui passerait de 5,2% du PIB, en 2014, à 4,4% en 2015. A ce titre, on remarque une pour-suite de la réforme du système fiscal national à travers la mise en oeuvre progressive des recom-mandations issues des Assises nationales sur la fiscalité tenues en 2013, notamment celles rela-tives à l’élargissement de l’as-siette fiscale, l’intégration du sec-teur informel, la réduction des exonérations fiscales et la réforme de la TVA ainsi que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Nous pouvons citer à titre d’illustration, quelques exemples : la déduc-tion des cotisations se rapportant aux contrats d’assurance retraite, l’application du taux de TVA de 10% pour les opérations de crédit relatives au logement social. Nous pouvons citer également l’application du taux de TVA de 20% pour les pâtes alimentaires, le riz usiné, farines et semoules de riz, le péage dû pour emprunter les autoroutes. Au total, la Loi de Finances 2015 avait proposé une vingtaine de mesures fiscales. Des mesures, qui aux yeux des économistes, sont contradictoires et risquent de ne pas permettre à la politique budgétaire d’atteindre ses objectifs. Ils font allusion au passage du taux de TVA à 20% (riz, farines, semoules, thé…), qui a induit un surcoût de dépenses de consommation plus marqué pour les catégories sociales les plus vulnérables. Sauf qu’un tel impact ne peut être apprécié que par référence à la structure de dépenses des ménages par catégorie de revenu. «Toutefois, force est de constater que malgré la manne provenant de l’évolution à l’échelle internationale des prix des produits pétroliers, le rétablissement des équilibres risque de s’opérer au détriment de la consommation et de l’investissement», avise le HCP. Le taux d’accroissement de la demande intérieure est passé de 6% par an, entre 2000 et 2009, à 3,3% durant les cinq dernières années. Celui de l’investissement est négatif depuis 2013 et devrait à peine se redresser en 2015 et 2016. Au-delà même des indications chiffrées, il convient de se demander si l’économie, en général, n’est pas mue par les impératifs de rétablissement des déficits jumeaux (du Budget et de la balance des paiements) que par les objectifs de relance. Il va sans dire que cette priorité affichée pour le rétablissement des équilibres macroéconomiques n’est que le prolongement des engagements pris par les pouvoirs publics à l’égard des institutions internationales ou les agences de notation. Encore faut-il ne pas perdre de vue que le renouvellement d’une Ligne de précaution et de liquidité (LPL) pour une durée de deux ans, n’aurait pas été évident sans l’assurance d’une politique de stabilisation macroéconomique. 2016, dernière année du mandat de Benkirane, tous les espoirs sont permis !
Benkirane III : Ah ! l’amour …
SM le Roi Mohammed VI avait présidé une audience au Palais royal de Casablanca, mercredi 20 mai 2015, durant laquelle il a procédé à la nomination de quatre nouveaux ministres. Il s’agit de Driss Merroun, du Mouvement Populaire (MP), nommé ministre de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire national, de Abdelaziz El Omari (PJD), nommé ministre chargé des relations avec le Parlement et la Société civile, de Khalid Barjaoui (MP), nommé ministre délégué auprès du ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, et de Jamila El Moussali (PJD), nommée ministre déléguée auprès du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres. Aussi, Mohand Laenser (MP) hérite-t-il du ministère de la Jeunesse et des Sports, avant l’arrivée de Lahcen Sekkouri en octobre dernier. Ce dernier remaniement donne naissance à la version 3 du gouvernement actuel, suite à la démission acceptée en janvier de Mohamed Ouzzine, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, et de l’accord donné le 13 mai par le Souverain à la demande de décharge soumise par le Chef de gouvernement de trois autres ministres. A savoir, Habib Choubani, ministre chargé des relations avec le Parlement et la Société civile, de Soumaya Benkhaldoun, ministre déléguée auprès du ministre de l’Enseignement supé-rieur, de la Recherche scientifique et de la Formation des cadres, et de Abdelaadim Guerrouj, ministre délégué auprès du ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle. Les quatre anciens ministres avaient plus que défrayé la chronique ces derniers temps ! Par ailleurs, le Roi a également présidé à Casablanca la cérémonie de présentation de la Vision straté-gique pour la réforme de l'école marocaine (2015-2030).
2016 : tiendra ou tiendra pas parole ?
I l est difficile, en une année, de surcroît électorale, de rattraper tout le retard cumulé sur ce mandat en matière de promesses contenues dans la déclaration gouvernementale, notamment en matière de développement et de croissance inclusifs. La tâche est rude compte tenu des challenges majeurs qui se posent encore : en premier lieu la question de la retraite, un dossier épineux sur lequel Benkirane a promis de statuer en 2016. Le Chef de gouvernement, reçu sur le plateau d’une chaîne nationale, a rappelé le caractère douloureux des mesures à prendre mais qu’il estime importantes à mettre en place pour éviter le pire aux caisses de retraite. Autre sujet qui fâche, la décompensation. A ce jour, le gouvernement a réussi le tour de force, soutenu en cela par un cours mondial des produits pétroliers plutôt bas. Mais qu’en sera-t-il en cas de surenchérissement des prix ? Faut-il s’attendre à une décompensation totale avant la fin de ce mandat ? Pour les observateurs, cela est peu probable vu la complexité de la question. Toujours est-il que le processus est bel et bien enclenché. Les réformes du système judiciaire et de la fiscalité sont également dans le pipe. L’année 2016 est également décisive dans la mesure où elle connaîtra la mise en oeuvre de la régionalisation avancée et l’opérationnalisation de la nouvelle Constitution. On notera avec satisfaction également la mise en oeuvre de la Loi organique relative aux Lois de Finances, et toutes les mesures sociales contenues dans le programme Royal 2016-2022 au profit de 12 millions de citoyens avec un Budget global de 50 milliards de DH. Aussi, la bonne gouvernance, l’évaluation des dépenses publiques et la loi sur les délais de paiement, restent-elles en attente ! D’ailleurs, l’Etat demeure si mauvais payeur, en dépit des discours officiels ! Ce qui a des répercussions néfastes sur la trésorerie des entreprises marocaines. Le gouvernement a également péché sur la question de l’emploi. Aucune solution durable n’a été ainsi mise en place pour faire face au chômage endémique qui touche les jeunes et les diplômés. Croisons les doigts puisque le projet de LF 2016 prévoit le renforcement d’un modèle de développement économique inclusif qui vise la réduction des disparités sociales et spatiales et la création d’emplois. D’ailleurs, 26.000 nouveaux postes d’emplois publics (en dehors des offres des EEP) et 65.000 nouvelles insertions à travers le Programme Idmaj sont prévues dans le PLF 2016. L’année connaîtra également l’opérationnalisation de l’Indemnité pour perte d’emploi (500 MDH sur 3 ans). Malgré tous ses efforts, le gouvernement Benkirane n’est pas parvenu à venir à bout de deux grands boulets : la corruption et l’économie de rente. Mais cela ne saurait tarder, car selon un sondage lancé par Finances News Hebdo, Benkirane a toutes les chances de rempiler pour un second mandat, même s’il essuie des attaques permanentes de ses rivaux politiques, qui lui reprochent une gestion chaotique de la chose publique et un discours populiste qui les dérangent. Pour ses défenseurs, son franc-parler et sa transparence sont au contraire des atouts majeurs pour un Chef de gouvernement qui s’attaque de front aux problèmes, et sans détour. En tout cas, une année seulement nous sépare encore du verdict final !
Dossier réalisé par S. Es-siari & I. Bouhrara