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SIEL: «L’idée que les Marocains ne lisent pas est un stéréotype persistant, mais la réalité est plus nuancée»

SIEL: «L’idée que les Marocains ne lisent pas est un stéréotype persistant, mais la réalité est plus nuancée»

A l’ère de la transformation des matériaux de lecture et la diversité des supports, lire devient plus complexe. Le Salon du livre joue le rôle de catalyseur culturel; il repense et influence la lecture d’aujourd'hui au Maroc. Entretien avec le professeur Intissar Haddiya, romancière, médecin-néphrologue et PHD en responsabilité sociale en santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Le SIEL souffle sa 29ème bougie. Quel rôle joue-t-il sur le champ culturel marocain et quel bilan faites-vous sur cette édition ?

Pr Intissar Haddiya : Le Salon international de l'édition et du livre (SIEL) est à sa 29ème édition cette année, et continue de jouer un rôle important dans le paysage culturel marocain. Cet événement s'est imposé comme une plateforme majeure de dialogue et d'échanges culturels, attirant des auteurs, des penseurs et des professionnels du livre de plusieurs régions du monde. Lors de cette édition, le SIEL a proposé, comme à l’accoutumée, de nombreuses activités culturelles, incluant des conférences, des débats et des présentations sur des sujets variés. Ces activités soulignent la diversité et la richesse culturelle du Maroc, en renforçant son image de pays de rencontres et de dialogues. En termes de bilan, selon les chiffres annoncés, cette édition a été marquée par une forte participation tant au niveau des exposants que des visiteurs. Le salon a accueilli 743 exposants de 48 pays, avec l'UNESCO comme invitée d'honneur, ce qui témoigne de son rayonnement international, et aurait été visité par 316.839 personnes. Globalement, le SIEL a confirmé son rôle en tant que catalyseur de la culture et de la littérature dans notre pays, tout en élargissant son influence au-delà des frontières nationales.

 

F.N.H. : Quelles sont les retombées socioculturelles et économiques du Salon international de l’édition et du livre sur le pays ?

Pr I. H. : Le SIEL au Maroc a des retombées significatives sur le paysage socioculturel et économique marocain. C’est un événement qui promeut la lecture et la culture, en offrant une plateforme où auteurs, éditeurs et lecteurs peuvent se rencontrer, partager des idées et découvrir de nouvelles œuvres. Il renforce ainsi les échanges culturels et dynamise le secteur de l'édition en stimulant les ventes des livres, tout en ayant des retombées positives sur l'économie locale grâce au tourisme et à la création d'emplois temporaires et permanents, allant de la logistique à la gestion de l'événement. Le SIEL est également l’occasion de valoriser les auteurs marocains en leur donnant une visibilité et en mettant en lumière leurs œuvres. De plus, de nombreuses activités éducatives sont organisées pendant le salon, notamment des ateliers, des conférences et des débats. Ces événements contribuent à sensibiliser le public à divers sujets sociaux et culturels, allant de la littérature à la science.

 

F.N.H. : A travers votre expérience dans le domaine littéraire, quelle place prend la femme marocaine dans le domaine de l’écriture et quel est son apport dans le Salon du livre ?

Pr I. H. : Les femmes marocaines sont relativement plus présentes dans le domaine littéraire, apportant des perspectives et des voix nouvelles à la littérature. De nombreuses auteures marocaines ont gagné en reconnaissance, tant au niveau national qu'international. Elles couvrent une variété de genres, allant de la fiction à la poésie, en passant par les essais et les mémoires. Les thématiques abordées par les écrivaines marocaines sont souvent liées à la condition féminine, aux droits des femmes, à la société et à la culture marocaine, ainsi qu'aux expériences personnelles et identitaires. Leur travail contribue à mettre en lumière des perspectives souvent marginalisées dans la littérature. En outre, il existe de plus en plus d’auteurs primées ici et ailleurs, ce qui témoigne de la qualité et de l'importance de leurs contributions à la littérature.

Concernant l’apport des femmes au Salon international de l’édition et du livre, une participation active a été notée. Plusieurs écrivaines ont participé en tant que conférencières, participantes à des tables-rondes et signataires de livres. Leur présence a enrichi les débats et les discussions littéraires. Le SIEL offre une plateforme pour donner de la visibilité aux œuvres des femmes écrivaines marocaines. Les éditeurs et les lecteurs peuvent découvrir et apprécier leur travail, ce qui contribue à élargir leur audience. Il offre également des opportunités de réseautage et de collaboration avec d'autres auteurs, éditeurs et professionnels du livre. Ces interactions peuvent mener à des projets et des publications futures, renforçant ainsi leur présence dans le milieu littéraire. En effet, la participation des auteures à cet événement et la visibilité qui en découle contribuent à la dynamique culturelle et littéraire du Maroc, et aussi à inspirer d'autres femmes à poursuivre des carrières littéraires.

 

F.N.H. : A votre avis, quels sont les maillons faibles de la chaine du livre ?

Pr I. H. : La chaîne du livre au Maroc présente plusieurs maillons faibles qui freinent le développement et la dynamisation du secteur. Les principaux défis sont représentés par :

• Le faible taux de lecture. En effet, il existe une faible «culture» de la lecture au Maroc, avec un taux de lecture parmi les plus bas de la région. Cela se traduit par une demande limitée pour les livres, tant en termes de quantité que de diversité. De nombreuses régions, en particulier rurales, manquent de bibliothèques et de librairies, rendant l'accès aux livres difficile pour une grande partie de la population.

• Les coûts élevés des livres, qui sont souvent perçus comme chers par une grande partie de la population, ce qui limite leur achat. Selon les professionnels du livre, les coûts élevés de production et d'importation contribuent à cette situation.

• Un vrai problème de distribution dont se plaignent tous les auteurs. Les réseaux de distribution sont insuffisants, la logistique et le transport des livres sont coûteux, ce qui augmente les prix et complique la diffusion des ouvrages vers toutes les régions du pays.

• Aussi, le secteur souffre du faible soutien institutionnel pour promouvoir le livre. Les initiatives gouvernementales restent limitées. Les auteurs marocains reçoivent peu de soutien en termes de financement, de promotion et de distribution de leurs œuvres. Cela peut décourager la production littéraire locale.

• Sans oublier l’insuffisance des bibliothèques publiques; et celles qui existent sont souvent mal équipées et sous-financées.

Pour améliorer la chaîne du livre au Maroc, il est essentiel de développer une culture de la lecture, rendre les livres plus accessibles et abordables, renforcer les infrastructures de distribution, mettre en place des politiques publiques de soutien et protéger les droits des auteurs et des éditeurs. Des efforts concertés de la part du gouvernement, des acteurs du secteur privé et des organisations culturelles sont nécessaires pour surmonter ces défis et dynamiser le marché du livre au Maroc.

 

F.N.H. : Combien coûte la publication d’un livre pour un écrivain et qu’en est-il des gains ?

Pr I. H. : La publication d'un livre au Maroc est un véritable challenge; c’est souvent un investissement significatif pour un écrivain. Il est même difficile d’imaginer un auteur faire fortune de la vente de ses ouvrages au Maroc compte tenu des contraintes évoquées précédemment. Il est à noter que la publication d'un livre pour un écrivain peut varier considérablement en fonction de plusieurs facteurs, notamment le type de publication (auto-édition ou publication par une maison d'édition à compte d’auteur ou à compte d’éditeur), le nombre d'exemplaires imprimés, la qualité de l'impression et les services supplémentaires comme le design de la couverture et la promotion. Voici à titre indicatif quelques notions concernant les coûts de publication en auto-édition :

• Le coût d'impression d'un livre peut varier en fonction du format, du nombre de pages, et de la qualité de l'impression, entre 20 et 40 dirhams par exemplaire pour des tirages modestes (500 à 1.000 exemplaires). Des tirages plus importants peuvent réduire le coût unitaire.

• Les services d'édition et de correction peuvent coûter entre 3.000 et 10.000 dirhams, selon la complexité et la longueur du manuscrit.

• Le design de la couverture peut coûter entre 1.000 et 5.000 dirhams. La mise en page intérieure peut également coûter entre 1.000 et 5.000 dirhams.

• Les coûts de promotion peuvent varier largement. Une campagne de base sur les réseaux sociaux et quelques événements locaux peuvent coûter entre 5.000 et 10.000 dirhams. Des campagnes plus vastes impliquant des relations publiques et des événements littéraires peuvent coûter beaucoup plus. Dans le cas, d’une publication par une maison d’édition à compte d’éditeur, celle-ci prend en charge les coûts de publication en échange d'un pourcentage des ventes. Les termes varient selon les éditeurs et les contrats spécifiques. Concernant les gains pour l’écrivain, en terme de «Royalties**, les écrivains peuvent s'attendre à recevoir entre 5 % et 15% du prix de vente de chaque exemplaire vendu, selon le contrat avec l'éditeur. Certains contrats peuvent inclure une avance sur royalties, bien que cela soit moins courant pour les écrivains débutants. Il existe également la possibilité de ventes directes dans le cas des auteurs qui choisissent l'auto-édition. Ces derniers peuvent garder une plus grande part des revenus de vente, après déduction des coûts de production et de distribution.

 

F.N.H. : Un rapport éloquent sur le taux de lecture au Maroc a été rendu public par le CESE. Quelles sont les grandes lignes à retenir et les conclusions à en tirer ?

Pr I. H. : Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la lecture au Maroc révèle des lacunes importantes et propose des recommandations pour améliorer cette situation. En voici les points clés:

• Le taux de lecture au Maroc est très faible. Selon les statistiques, seuls 27% des Marocains de plus de 15 ans lisent des livres. 38% des écoliers possèdent quelques ressources de lecture chez eux, contre 61% qui n’en possèdent pas.

• Une des principales causes de ce faible taux de lecture est le manque d'infrastructures. Plusieurs établissements scolaires publics ne disposent pas de bibliothèques. De plus, les ressources disponibles sont souvent limitées.

• Le rapport souligne l'importance de la famille et de l'école dans le développement de l’intérêt pour la lecture chez les enfants. Il recommande de commencer la promotion de la lecture à un âge très précoce pour inculquer cette habitude dès le plus jeune âge.

Le CESE propose plusieurs initiatives pour remédier à la situation, telles que :

• Développer des programmes d’encouragement à la lecture par les collectivités territoriales.

• Impliquer les entreprises dans la responsabilité sociétale pour financer des bibliothèques scolaires et numériques.

• Organiser des assises nationales sur la lecture pour élaborer des politiques et des plans d’action concrets.

 

F.N.H. : Malgré le fait que le Maroc se situe en bas de l’estrade en matière de lecture, la présence au SIEL de l’auteur saoudien à succès Osamah Al-Muslim a suscité un fort engouement. Comment expliquez-vous ce paradoxe alors que l’étiquette du Marocain «qui ne lit pas» lui colle à la peau ?

Pr I. H. : Bien que l'idée que les Marocains ne lisent pas soit un stéréotype persistant, la réalité est plus nuancée, comme l’atteste l'engouement des lecteurs pour ce jeune auteur saoudien. L’explication du phénomène est multifactorielle. Il s’agit d’un auteur dont les œuvres résonnent particulièrement auprès d'un public spécifique, étant donné que ses livres, souvent axés sur le paranormal et le mystère, peuvent captiver un large auditoire, notamment les jeunes. Sans oublier l’impact indéniable des médias et des réseaux sociaux. Oussama Muslim jouit d’une grande couverture médiatique et une forte promotion sur les réseaux sociaux avec une base de «fans» active en ligne, ce qui attire un public large grâce à une visibilité accrue. Je pense aussi que la langue arabe joue un rôle dans sa popularité, le rendant plus accessible pour les lecteurs marocains. La proximité culturelle et linguistique est peut-être un facteur important dans l'attirance d’un public plus large. Ceci étant, l'enthousiasme des Marocains pour la venue d'Osamah Al-Muslim au SIEL montre que, malgré certains stéréotypes, il existe une soif de lecture dans notre pays. Les événements littéraires, la médiatisation et la proximité culturelle sont autant de facteurs qui contribuent à cet engouement. 

 

 

 

 

 

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