Culture & Société

Tous les articles

Santé : «Nous devons faire de la diaspora médicale un acteur clé de la diplomatie sanitaire au Maroc»

Santé : «Nous devons faire de la diaspora médicale un acteur clé de la diplomatie sanitaire au Maroc»

La santé et la culture sont deux leviers de diplomatie encore peu exploités, mais porteurs d’un réel potentiel pour le Maroc. 

Face aux défis actuels, la coopération et le savoir peuvent devenir des outils puissants d’influence douce «soft power». 

Entretien avec le Pr Intissar Haddiya, romancière, médecin-néphrologue et PHD en responsabilité sociale en santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z

Finances News Hebdo : Le concept de «diplomatie de la santé et de la culture» demeure encore peu exploré dans le débat public. Comment le définiriez-vous, et en quoi ce plaidoyer vous semble-t-il particulièrement pertinent aujourd’hui, tant dans le contexte marocain qu’au niveau international ?

Pr Intissar Haddiya : La diplomatie de la santé et de la culture peut être définie comme l’art de mobiliser les ressources humaines, scientifiques et symboliques d’un pays dans les domaines de la médecine et de la création artistique pour construire des ponts entre les nations, renforcer la coopération, promouvoir la paix et affirmer une identité dans le concert des nations. Cette diplomatie ne repose pas sur la force ou l’influence économique, mais sur la qualité du savoir, la richesse de la pensée et la profondeur des valeurs humaines portées par un peuple. Elle est aujourd’hui plus que jamais d’actualité dans un monde confronté à des défis communs, comme les pandémies, la désinformation, les inégalités d’accès aux soins et le repli identitaire. Le Maroc, par son histoire, sa position géographique et son rayonnement intellectuel, est bien placé pour devenir un acteur crédible et inspirant de cette diplomatie qui conjugue science et conscience, soin et savoir, technique et culture.

 

FNH : Le Maroc ambitionne de devenir un hub régional en matière de formation et d’innovation médicale. Quels types de partenariats (scientifiques, hospitaliers, universitaires) seraient les plus stratégiques pour y parvenir ?

Pr I.H : Pour atteindre cette ambition légitime, il est essentiel de tisser des partenariats stratégiques à plusieurs niveaux. Les universités pourraient développer des co-diplômes et favoriser les mobilités croisées d’étudiants et d’enseignants avec des institutions africaines, européennes, américaines et asiatiques. C’est ainsi que se construit une reconnaissance mutuelle et une excellence partagée. Les centres hospitaliers universitaires, quant à eux, gagneraient à se jumeler avec des établissements de référence pour favoriser l’échange de bonnes pratiques, la formation continue des équipes et l’ouverture sur les innovations organisationnelles. Enfin, les centres de recherche doivent nouer des alliances autour de thématiques d’avenir, comme l’intelligence artificielle en santé, la médecine personnalisée ou encore la prévention des maladies chroniques. Ces partenariats doivent être facilités par un cadre juridique clair, des financements dédiés et une gouvernance orientée vers l’impact et la durabilité.

 

FNH : La diaspora médicale marocaine représente une richesse considérable. Comment mieux l’intégrer dans cette diplomatie de la santé, et quelles initiatives concrètes pourraient renforcer son engagement ?

Pr I.H : La diaspora médicale marocaine est l’un de nos plus grands atouts, mais encore insuffisamment mobilisés. Il ne s’agit pas seulement de faire appel à son patriotisme, mais de créer les conditions concrètes de son engagement, à travers la simplification des démarches administratives et dispositifs d’intégration souples et valorisants. Il est urgent de bâtir une plateforme nationale de liaison entre les compétences médicales de la diaspora et les besoins identifiés au Maroc. Des missions cliniques régulières dans les régions sous-dotées, des projets de recherche conjoints, des actions de mentorat à distance, ou encore la participation à des forums de rayonnement international sont autant d’initiatives à encourager. Nous devons faire de cette diaspora un acteur clé de la diplomatie sanitaire du Maroc, en lui permettant de contribuer pleinement à notre souveraineté scientifique et à notre coopération régionale, notamment en Afrique.

 

FNH : Quel rôle la culture, et en particulier la littérature, peuvent-elles jouer comme vecteur d’influence douce “soft power” pour porter les valeurs marocaines à l’international ?

Pr I.H : La culture, et la littérature en particulier, ont cette force unique de faire dialoguer les peuples au-delà des différences et des frontières. En tant qu’écrivaine et femme de science, je suis convaincue que les mots peuvent soigner les blessures de l’histoire, éveiller les consciences et porter les imaginaires. La littérature marocaine, dans sa pluralité linguistique et stylistique, offre au monde un visage singulier de notre société, une société en transformation, habitée par une quête de justice, de beauté, de dignité. Chaque livre marocain traduit, chaque auteur invité dans un festival international, chaque texte étudié dans une université étrangère contribue à ce que j’appelle une diplomatie narrative. C’est une forme subtile mais puissante de soft power, qui permet au Maroc de s’affirmer autrement, notamment par la force de ses récits.

 

FNH : À votre avis, quelles stratégies concrètes les pouvoirs publics et les investisseurs privés devraient-ils adopter pour développer cette diplomatie ? Quels freins faut-il par contre lever ?

Pr I.H : Pour que cette diplomatie de la santé et de la culture prenne pleinement corps, il faut d’abord l’inscrire dans une vision politique forte, portée par les institutions, et traduite dans des politiques publiques ambitieuses. Cela suppose une coordination intersectorielle entre les ministères de la Santé, de l’Enseignement supérieur, de la Culture... Côté privé, les investisseurs doivent être incités à soutenir des projets à impact social, via des mécanismes de mécénat ou de partenariats public-privé. Il est temps aussi de lever les freins structurels à savoir la lourdeur des procédures et le cloisonnement institutionnel.

 

FNH : Comment mobiliser la jeunesse dans cette dynamique croisée entre santé, culture et rayonnement international ? Existe-t-il des exemples inspirants, au Maroc ou ailleurs, qui pourraient servir de modèle ?

Pr I.H : La jeunesse n’est pas seulement une cible de cette diplomatie croisée, elle en est le cœur battant. Pour la mobiliser, il faut d’abord lui offrir des espaces d’initiative, d’expression et de co-construction. Les jeunes doivent pouvoir participer à des concours d’innovation en santé, à des résidences artistiques internationales, à des clubs de lecture et/ou rédaction scientifique et littéraire. Il faut encourager l’émergence de figures inspirantes, de parcours atypiques, de leaders de demain. Des exemples existent déjà : au Maroc, des étudiants en médecine créent des podcasts de vulgarisation scientifique, organisent des campagnes de sensibilisation dans les zones rurales, ou publient des textes puissants sur leur rapport au soin. Ailleurs, plusieurs pays développés ou émergents ont montré comment la jeunesse peut être un acteur stratégique de diplomatie culturelle et sanitaire. Il nous appartient de lui faire confiance, de l’écouter, et de lui donner les moyens de briller.

 

 

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Samedi 02 Aout 2025

Aviculture : le thermomètre chahute le secteur

Samedi 02 Aout 2025

Elections législatives : «Les campagnes électorales anticipées existent dans toutes les démocraties»

Samedi 02 Aout 2025

Piratage et arnaques en ligne : la haute saison des cybercriminels

Vendredi 01 Aout 2025

Industrie automobile : «Le taux d’intégration de l’usine Stellantis de Kénitra atteindra 75% à l’horizon 2030»

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux