L’avènement du numérique bouleverse la pratique journalistique.
Les conseils de presse ont un rôle éminemment important à jouer dans ce contexte caractérisé par de fortes mutations du secteur.
L’éthique et la déontologie, deux principes que la profession doit constamment porter en bandoulière.
Par : David William
L’avènement du numérique impacte tous les secteurs d’activité. Banques, assurances, agriculture, médias… tous doivent s’adapter aujourd’hui à ce nouvel environnement qui pose tant de défis technologiques qu’économiques.
Le secteur de la presse en particulier a vu son environnement de travail profondément changer, le numérique induisant conséquemment une autre approche de la pratique journalistique. Comment la profession doit-elle s’adapter à cet environnement en pleine mutation, sans travestir sa responsabilité morale envers les citoyens ?
Aujourd’hui, la profession doit composer avec une donne fondamentale : le temps. Une contrainte qui se heurte à une autre donne tout aussi importante : le recul. La course à l’information induite par l’avènement du numérique fait-elle donc bon ménage avec le recul nécessaire au journaliste pour donner l’information juste, recoupée et crédible à la collectivité ?
A cette interrogation, Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), apporte une réponse tranchée, en référence notamment à la charte d’éthique mondiale des journalistes de la FIJ. «La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources et/ou de l’offre de réplique des personnes mises en cause», a-t-il souligné à l’occasion de la Conférence internationale organisé à Tanger par le Conseil national de la presse (CNP), les 29 et 30 novembre, sous le thème «La refonte du journalisme : Comment les systèmes d’éthique et de responsabilité des médias doivent-ils s’adapter» ?
Pourtant, aujourd’hui, la porosité de la profession fait qu’il suffit d’avoir un site Internet pour s’autoproclamer journaliste, ou encore d’être actif sur les réseaux sociaux pour s’ériger en «journaliste citoyen». Et, malheureusement, face à un public parfois crédule, les écrits, voire les fake news de ces journalistes autoproclamés peuvent avoir une certaine résonnance.
Et il n’est pas rare également de voir des journalistes soi-disant professionnels céder justement aux sirènes de l’immédiateté, s’affranchissant dès règles basiques dans le métier (vérification et recoupement de l’information) et contribuant ainsi à la diffusion de fausses informations dont les conséquences peuvent être fâcheuses.
C’est la raison pour laquelle, selon le président de l’Observatoire de l’éthique dans les médias au Bénin, Eric Omar Sounouvy, il faut voir «comment utiliser le numérique et, de façon attitudinale, faire une grande démarcation entre une personne quelconque qui peut écrire sur les médias sociaux et le comportement des professionnels des médias, pour que nous puissions durablement accompagner les grandes démocraties».
Un rôle primordial pour les conseils de presse
Actuellement, le rôle d’institutions comme les conseils de presse, dont la mission est de s’assurer, entre autres, du respect des règles d’éthique et de déontologie, est éminemment important, surtout dans le contexte actuel qui impose d’appréhender autrement le métier.
Ce que confirme Younes Mjahed, président du CNP, qui relève le caractère primordial du «respect de l’éthique». Ce qui justifie d’ailleurs la publication récente par le Conseil de la Charte de déontologie visant à instaurer un ensemble de règles de bonne conduite pour le travail des journalistes. «Le CNP a une responsabilité sociale. Nous sommes pour la défense de la liberté, mais nous allons lutter contre les mauvaises pratiques qui causent des dommages collatéraux, et les fake news en font partie. C’est un chantier sur lequel nous travaillons pour arriver à des résultats tangibles», nous confiait à ce titre Mjahed (www.fnh.ma).
Cette préoccupation n’est pas propre au CNP. Elle est mondiale. Toutes les instances qui s’activent dans ce secteur mettent en perspective la promotion de valeurs morales et éthiques à respecter, pour éviter ainsi de tomber dans la calomnie, la médisance ou encore la diffamation. Il y va de la crédibilité et de l’intégrité du journaliste. Le Conseil de presse du Québec, représenté à cet évènement par sa secrétaire générale, Caroline Locher, rappelle à ce titre dans son guide déontologique que l’information que présente le journaliste factuel doit être «exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète».
Par ailleurs, au-delà du respect de certains principes, la problématique de la refonte du journalisme est tout aussi importante, au regard de ce qui se passe dans le monde, notamment les mutations technologiques.
Golda El Khoury, Directrice du bureau de l’Unesco à Rabat, ne dit pas autre chose. Selon elle, «la refonte du journalisme sur une base éthique va nous permettre de nous assurer que la circulation des informations est responsable, car la qualité de l’information peut parfois déstabiliser des sociétés. Et ce, en tenant compte du fait qu’aujourd’hui, les réseaux sociaux sont devenus une plateforme où toute personne peut devenir non pas journaliste, mais émettrice d’informations».
Mais il faut se rendre à l’évidence: aujourd’hui, la multiplication des canaux de diffusion de l’information rend vraisemblablement plus complexes les missions des conseils de presse. Lesquels doivent, selon Muriel Hanot, secrétaire générale du Conseil de déontologie belge, «tenir compte des devoirs des journalistes, tout en veillant à ce que ces derniers fassent de manière adéquate la balance nécessaire entre, d’une part, l’intérêt général et le droit à l’information du public et, d’autre part, les questions spécifiques relatives aux droits des personnes et au respect de la vie privée».
Tout cela, sans entraver la liberté d’expression, laquelle ne doit pas toutefois servir de parapluie pour se livrer à un certain «libertinage» préjudiciable à des tiers ou à la collectivité. De sacrés défis pour les conseils de presse.
Encadré : Recommandations
Pour cette conférence internationale, le CNP a vu les choses en grand. Ainsi, elle a connu la participation de responsables des conseils de presse étrangers ainsi que de plusieurs experts nationaux et internationaux, provenant de la Grande-Bretagne, de l’Irlande, du Canada, du Bénin, de la Palestine, du Pérou, du Cameroun, de la Belgique, de la Tunisie, des Etats-Unis et de la Somalie.
Les débats riches qui ont ponctué cette manifestation, articulés autour du rôle des Conseils de presse, des médias en ligne & médias sociaux, des droits à la liberté de la presse et au respect de la vie privée et de l’avenir du journalisme, ont montré qu’il y a une multitude de modèles d’autorégulation du secteur de la presse qui diffèrent d’un pays à un autre, selon les spécificités locales. Et étant donné que chaque expérience a ses propres fondements et ses caractéristiques qui sont tous liés au contexte historique, il n’y a de ce fait pas un modèle de régulation standard ou unique.
En cela, les différentes interventions ont permis de dégager un certain nombre de recommandations pertinentes pouvant permettre à la profession de mieux apprécier l’écosystème des médias actuel, à l’aune des mutations que subit son environnement.
Elles se résument comme suit :
• Eviter de parler de «fake news» et chercher des termes plus précis pour désigner la désinformation (un mot utilisé par l’ONU). Le Parlement européen fait la distinction entre «désinformation» et «mal-information». A l’origine, l’information fait référence à un travail journalistique professionnel et sérieux qui ne peut être fausse. Le concept de fake news est adopté par les politiciens pour contrer les couvertures médias qui ne sont pas à leur goût et qui ne reflètent pas leur orientation.
• Redoubler d’effort pour rendre honneur au métier de journaliste à travers les institutions d’autorégulation afin de consacrer le droit du citoyen à une information crédible et équilibrée. Il faut donc mettre en oeuvre des chartes d’éthique et veiller à leur application.
• Partager les expériences des autres conseils et acteurs concernés au niveau régional, local et international afin d’établir de nouvelles chartes pour faire face aux différents défis. Il faut à cet égard privilégier l’approche participative. Le CNP a proposé que son expérience soit considérée comme pilote pour les autres pays, surtout ceux de la région MENA.
• Travailler en étroite collaboration avec les différents opérateurs dans le secteur à travers l’instauration d’une plateforme qui lutte contre la désinformation.
• Renforcer la présence de la presse professionnelle dans l’univers digital afin de barrer la route aux professionnels de la désinformation.
• Réadapter les politiques dédiées au secteur des médias au niveau local et régional avec le renforcement des programmes de travail participatifs et intégrés, car un opérateur ne peut à lui seul faire face aux défis actuels, surtout avec les contraintes que posent les réseaux sociaux. Mais ensemble, les opérateurs peuvent résister, s’adapter et réussir.
• Les journalistes doivent respecter les règles de déontologie et lutter contre la désinformation, dans un contexte caractérisé par la surabondance d’informations.
• A l’avenir, toutes les études et enquêtes doivent être mises à la disposition des universités et des institutions d’enseignement.
• Le contenu de la rencontre et tous les documents qui ont été proposés doivent être regroupés dans un livret.