Méditée en premier, l’expression s'inscrirait contre cette conception matérialiste qui ne voit dans l'art que le plastique, alors qu'il est avant tout un langage. «Une œuvre d’art n’est pas belle, plaisante, agréable. Elle n’est pas là en raison de son apparence ou de sa forme qui réjouit nos sens (…) l’art est le langage de l’âme et que c’est le seul», lit-on dans la préface de Philippe Sers, dans le livre, Du Spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, de Kandinsky.
Pour dialoguer, comment donc regarder ? Ça a l'air tout simple : on vient, on s'arrête, on regarde. Et ayant regardé «on entend mieux les profondeurs», avance Meryem Lahlou, maîtresse de céans.
L’œuvre de Rajae est énigmatique, au premier abord. Entre la tentation de la sonder et le désir de la laisser dans sa nuit, l’esprit balance. La galeriste, elle-même, avoue que «ce n’est pas pour autant que ses toiles sont simples. Bien au contraire, les peintures de Lahlou Rajae sont complexes et ambiguës, chaque personne trouvant dans ses tableaux sa propre vérité, car au final, ses œuvres sont un voyage, une sorte de pèlerinage qui permet de se retrouver avec soi-même, et de voir au plus profond de son âme, à l’image d’un miroir ou d’un écho lointain».
Et l’on est en droit de présumer qu’elle rêve de créer sur toile un monde où sa subjectivité d’artiste et celle de ceux qui picorent d’yeux, quelles que soient leurs interprétations, se côtoient, s’embrassent…seraient harmonieusement confondues. Si ce n’est pour le moins un monde où on peut se retrouver, et même «procéder à une introspection, ‘regarder à l’intérieur’», souligne la galeriste.
Car, «Qui voit ?» À cette question, posée par lui-même, Descartes répondait dans sa Dioptrique : «c’est l’âme qui voit, et non pas l’œil...» Le «je sens» tombera indubitablement et entièrement du côté du cogito, du «je pense», lequel est l’activité essentielle de la substance qu’il nomme «âme». Ainsi lorsqu’il s’interroge sur cette chose qui pense en tant qu’essence du «je suis», Descartes l’explicite comme une «chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent». Descartes inclut alors le sentir comme activité de l’âme.
Montre-moi ta peinture, je te dirai aussi qui tu es…
Il nous paraît évident que l’enfance du peintre a imprimé dans sa mémoire des souvenirs que son art sans cesse met en toile plutôt qu’elle ne brûle. Ces dessins-émotions, Rajae les agence sur sa toile dans un désordre joliment arrangé et en fait un ravissement pour l’«âme». Privilège miraculeux de l’art qui embellit le vécu, console le désarroi et arrange l’horrible.
Certains avaient assimilé cette peinture à un «miroir de l’âme» qui ferait voguer l’esprit au fil du désert, «réveiller l’émotion somnolée, la flamme éteinte ainsi que la passion démolie». En fait, elle ne reproduit pas les paysages marocains; elle ne suggère, non plus, les effluves grisants de ses souks, et seule une imagination délirante pourrait y lire une invitation au voyage.
Les différentes silhouettes qui flottent, nagent, dansent, s’aiment…dans ses œuvres constituent, en effet, «le reflet de la psyché de chacun, des représentations de l’Homme, impuissant et insignifiant dans un monde toujours en mouvement, qui ne l’attend guère», nous fait savoir Mery – nous lui avons choisi ce surnom.
L’œuvre de Rajae se présente sous forme de rébus. Des sens latents, des brisures hardies, une infinité d’allégories, de symboles, de formes abstraites. Une œuvre qu’il convient de scruter, de décrypter, si l’on désire en pénétrer l’intimité. Et alors l’appât se met en branle, la magie s’installe, car chaque composition consiste en un spectacle pictural qui soûle, charrie, trouble…
Explorant les mystères de l’âme, l’œuvre de Rajae invite le visiteur à l'accompagner sur le chemin de la pensée, à arpenter un vagabondage vivifiant et apaisant. Cette expo, de réflexion et de poids, sera à visiter absolument.
Passionnée de romans, musique, cinéma et de poésie, car de formation littéraire, c’est dans la peinture que Lahlou Rajae, née à Fès, aura son salut. Le virus, cela fait, en effet, belle lurette qu’elle l’a attrapé et qu’elle le conserve en elle, principe actif d’un système obstiné et mutique, quoiqu’elle mène de front, avec un rare esprit de méthode, des activités distinctes.
Elle y entra en art comme on entre en religion, après que son mari, ayant senti chez elle de réelles dispositions pour la peinture, la persuade d’en faire son autre occupation, et d’y persévérer…
Sacerdoce dans lequel elle s’abîma avec une foi ardente et une ferveur saisissante. «Je suis autodidacte», répète-t-elle à l’envi, comme pour se faire absoudre d’éventuels écarts commis envers les canons plastique.
L’autodidaxie de Rajae l’a probablement tenue à distance d’écueils périlleux, à savoir l’engluement dans une doctrine et l’obédience à une école. Ce qui n’est pas sans déconcerter l’amateur d’étiquetage. Mais qui ravit l’amoureux de l’art, lequel trouve son plaisir dans cette alternance de figurative abstractisante et d’abstraction figurative.
Et depuis, Rajae Lahlou applique la même méthode. Soit, des formes «brumeusement» effacées, un large spectre de couleurs qui traduit une véritable montagne russe d’émotions et de sentiments, allant de la mélancolie, la tristesse et le spleen à la joie et l’extase. Elle utilise son talent «pour apporter un nouveau regard sur la vie, en invitant le public à un voyage dans le temps et à une remise en question de soi», nous explique Rajae.
Pour rappel, aussi bien que la 34e édition de l’Oriental Fashion Show lui a été une occasion pour exposer ses récentes œuvres au Carrousel du Louvre sous le thème «La quête de soi», mais également de recevoir le prix de l’Unesco Paris, des mains de l’ambassadeur du Maroc auprès de l’Unesco, Samir Addahre.
* Galerie living4art, rue Abou El Mahassine Rouyani, Résidence Prestige. Maarif , Casablanca.
Par R.K.H