Par Houda Elfchtali
Longtemps considérée comme un supplément d’âme, l’industrie culturelle est pourtant un pilier économique en devenir. Avec un patrimoine millénaire et une créativité foisonnante, le Maroc possède les clés pour faire de la culture un moteur au même titre que le tourisme ou l’agriculture.
En 2024, le Maroc a organisé plus de 500 événements culturels : festivals, expositions, concerts, projections. Pourtant, dans les bilans économiques, la culture reste un chapitre discret, presque invisible. Comme si les couleurs n’avaient pas de valeur comptable, comme si les chiffres ne savaient pas danser.
Pourtant, l’Unesco rappelait dans un rapport de 2022 que “les industries culturelles et créatives représentent plus de 3% du PIB mondial et emploient 29,5 millions de personnes”. Si la Corée du Sud, le Royaume-Uni ou encore le Brésil ont transformé leur culture en puissance économique, pourquoi pas nous ?
Marrakech, chaque hiver, vit au rythme de ses festivals, attirant un public étranger qui investit dans l’hôtellerie, la restauration, l’artisanat. Mais derrière les projecteurs, combien d’artistes vivent encore dans la précarité faute de structures de production solides ?
Le ministère de la Culture n’est pas resté inactif : depuis 2023, le programme «Maroc créatif 2030» ambitionne de structurer les industries culturelles en doublant leur contribution au PIB. Le ministre Mohamed Mehdi Bensaid a déclaré à la Chambre des représentants : “Mobiliser nos talents et nos ressources pour faire des industries culturelles et créatives un pilier économique et un levier d’emploi”.
De plus, lors d’une intervention à Meknès, il a affirmé que “le Maroc est largement engagé dans la création d’industries culturelles et créatives, fortes et compétitives”, exprimant une volonté politique régionale de transformer le secteur culturel en véritable vecteur économique.
La culture marocaine, ce n’est pas seulement un tapis aux mille motifs ou une chanson andalouse au crépuscule. C’est un marché potentiel de plusieurs milliards de dirhams:
Cinéma : plus de 27 longs-métrages produits en 2023, avec un fort potentiel d’export vers l’Afrique et l’Europe.
Artisanat : un secteur qui emploie plus d’un million d’artisans, mais qui reste sous-valorisé faute d’export structuré.
Musique et festivals : de Mawazine à Jazzablanca, des scènes qui attirent chaque année des milliers de visiteurs, locaux et étrangers.
Mais pour transformer ces richesses en levier économique durable, il faut une vision claire : formation des talents, financement de la création, stratégie de marketing international. Comme l’a dit Aimé Césaire : “La culture est l’arme la plus infaillible pour la liberté.” Elle est aussi un levier pour l’indépendance économique.
Le programme “Maroc créatif 2030”, lancé en 2023, ambitionne de doubler la contribution des industries culturelles au PIB. Mais les ambitions resteront lettres mortes si nous ne changeons pas notre regard : la culture n’est pas une dépense, c’est un investissement.
Chaque tapis vendu à Fès, chaque film tourné à Ouarzazate, chaque note jouée dans un vieux riad de Meknès est à la fois une transaction économique et un acte de transmission.
On peut imaginer un Maroc où, dans les bilans annuels, la culture ne soit plus une parenthèse mais une colonne vertébrale; où nos festivals soient aussi rentables que nos usines; où nos musées accueillent autant de visiteurs que nos centres commerciaux.
Car après tout, l’économie, c’est aussi une histoire qu’on raconte. Et le Maroc sait, depuis des siècles, raconter des histoires. Il est temps de les offrir au monde, en y mettant le prix qu’elles méritent.