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“Dar Mima” de Mohamed Laaroussi: au nom des mères

“Dar Mima” de Mohamed Laaroussi: au nom des mères

Par Noureddine Bousfiha Écrivain et poète
 
 
On ne peut lire Dar Mima de Mohamed Laroussi qu’éclaire de si belle manière la préface de Kebir Mustapha Ammi, sans penser que l’auteur a voulu non seulement construire un roman familial, mais approfondir, sous la forme autobiographique, le thème du paradis perdu immanent dans l’oeuvre et à propos duquel on n’a pas fini de rompre des lances. C’est un livre dont les moments de tendresse eux-mêmes s’accommodent au chant d’innocence d’une jeunesse qui ne concède rien au pathétique. Les souvenirs d’enfance, les imago profondément ancrés dans l’inconscient nous sont décrits avec beaucoup d’émotion et de générosité. Bien entendu, les liens avec l’entourage familial, et plus précisément ceux avec le géniteur montrent comment une filiation se noue et comment l’enfant s’intègre à la lignée paternelle. La lignée maternelle et la lignée de substitution dont la personne de Mi Rahma -la Mama-mérite-, ne sont pas en reste. 
 
Par ce retour aux lieux dits, le lecteur fait la connaissance de personnages qui font preuve, par ailleurs, d’un raffinement que contredit l’origine qu’on leur prête aussi bien que leur conduite. Ce raffinement forme avec la trame du récit un accord parfait. Et nous entendons la voix édifiante et parfois indiscrète de l’auteur; et nous nous attendrissons comme à une rétrospectives d’un vieux film en noir et blanc.
 
 
Roman passionnant, sincère qui se démarque par une lenteur du récit, supportable, et même justifiée. L’auteur arrête le temps, remonte à des époques lointaines pour revisiter les instants les plus marquants et les événements fondateurs. Le lecteur qui guette, épie, se laisse surprendre par ces événements. Le personnage principal, au seuil de sa formation, traverse une expérience qui coïncide avec l’apprentissage de la vie. Dans la suite projetée de son parcours, il nous fait connaître d’autres personnages, sortis de leur pénombre afin de témoigner pour le ciel et la terre. 
 
Somme toute, nous est donné à lire un récit dont les moments de tendresse eux-mêmes s’accommodent au chant d’innocence d’une jeunesse qui ne concède rien au pathétique. 
 
Dans cette oeuvre attachante par sa diversité, le poids du passé fait servir d’inépuisables ressources à l’illustration de ce qu’on peut appeler la saga de la  famille Laroussi. Les réminiscences recèlent toujours du nouveau. D’une manière infaillible, elles nous font retourner à l’origine et font briller ce qui avait été terni ou effacé par l’oubli. Elles tendent à devenir le champ d’une méditation, un moment de conscience pure qui ne veut plus être assujetti à rien d’événementiel. Le vocabulaire et la syntaxe ont cette précision sensorielle qui acquiert une beauté indicible. Il arrive à l’auteur de diluer sa narration dans un style plus parlé qu’écrit; d’où une familiarité et même des facilités que certains lecteurs pourraient qualifier de prosaïsme. À s’en tenir à ces éléments narratologiques, on aurait vite remarqué une admirable unité de ton règne dans Dar Mima.
 
 Roman de l’intimité où la voix du narrateur, aussi vrai dans l’aveu que dans celui de la jubilation, s’intègre joliment au ton de la confidence. Mais la vision que nous pouvons avoir de cette oeuvre dans sa totalité serait incomplète si nous laissions de côté la maison familiale, support de toute l’histoire. Dar Mima est à elle seule une invite.  Toute la place est à la réminiscence parce que toute la place est à l’évocation de ce que fut une vie de famille, une sorte de récit essentiel, infiniment plus intime. La demeure devient le symbole d’une immense force: elle réunit, elle perpétue, elle incarne la vie. C’est aussi le pavillon de l’apprentissage, de la sociabilité par excellence. C’est le foyer lumineux où les valeurs se répandent sur la fratrie comme une bénédiction. Il reste avant tout un repère, une figure mesurée de la vie commune qui s’organise et qui nous parle sans l’intermédiaire d’aucune image. Livre donc en hommage à toute une famille comme semble l’annoncer l’auteur dans sa dédicace.
 
Préface de Kebir Mustapha Ammi, Casablanca, Éditions Onze, 2021, 316 pages.

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