La corruption continue de sévir dans plusieurs secteurs stratégiques au Maroc, paralysant ainsi leur activité. Ce qui devrait inciter les institutions publiques à opérer un changement de paradigme, en sus de faire valoir une réglementation corsée et une prise de conscience afin de couper court à ce fléau.
Entretien avec Mohsin Berrada, Management partner IRM Consulting, expert en prévention et détection de fraudes internes et essayiste.
Propos recueillis par M. Boukhari
Finances News Hebdo : Selon le dernier rapport annuel 2022 de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), 63% des MRE classent la corruption parmi les trois principaux obstacles pour investir au Maroc. Par ailleurs, 68% des entreprises jugent le problème très préoccupant. Que pouvez-vous nous en dire ?
Mohcine Berrada : Ces résultats confirment, enquête après enquête, la perception qu’ont les acteurs citoyens et organisations de la corruption comme principal obstacle au développement économique et social et son effet négatif sur la croissance saine du PIB. La corruption fait fuir l’investissement des MRE, réduit l’investissement privé et sape l’investissement public. Chaque année apporte son lot de scandales. Phénomène macrosocial, la corruption n’épargne aucun secteur de la vie économique, politique, sociale et institutionnelle. Même l’appareil judiciaire en est atteint, des juges chargés de juger, ne respectant pas le serment prêté. L’université censée élever les consciences, également. Le secteur privé n’est pas en reste, puisque la tricherie et l’arnaque sont monnaie courante dans certains secteurs d’activités atypiques, n’hésitant pas à saisir les opportunités, quel que soit le prix à payer.
F.N.H. : Environ 50% des citoyens, 41% des MRE et 47% des entreprises considèrent que les politiques publiques de lutte contre la corruption sont inefficaces. Êtesvous du même avis ? Pourquoi ?
M. B. : Par ci et par là, des voix s’élèvent en effet pour dénoncer la léthargie des gouvernements qui, faute d’action volontaire, et avec un discours anesthésiant loin du discours royal, ont choisi la fuite en avant et l’affichage de slogans de séduction, étalant le spectacle de l’impuissance à imaginer le futur; à imaginer le juste. SM le Roi Mohamed VI, que Dieu L’assiste, nous a, à plusieurs reprises, avertis dans ses discours quant au développement de ce cancer et à imaginer ensemble l’action salvatrice pour éviter qu’il ne gangrène le climat social de notre pays (notamment le discours adressé à la nation à l’occasion du 55e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple). Certes, des actions louables ont été mises en place, mais nous assistons à l’incapacité des politiques publiques à intégrer la lutte contre la corruption comme stratégie de développement d’une économie qui aspire à devenir une puissance continentale et régionale.
F.N.H. : Quelles sont d’aprèsvous les actions sur lesquelles devrait capitaliser l’État afin de lutter contre la corruption ?
M. B. : J’en citerai trois, voire quatre, tellement le sujet est préoccupant. Primo, il faut que l’INPPLC soit totalement opérante avec des moyens robustes et effectifs. Deusio, réviser nos lois avec comme objectif de les purger des ambiguïtés et contradictions, favorisant les interprétations. Tertio, lutter contre l’analphabétisme managérial de certains élus, notamment en ce qui concerne le contrôle interne, zone grise de nos administrations. Il faut rendre nos administrations compliantes. Je regrette que le rapport n’ait pas abordé cette question de manière explicite. Nos administrations devraient être notées sur leur respect des lois et réglementations qui s’imposent à elles et aux fonctionnaires qui y travaillent. Cependant, renforcer le droit ne changerait rien, tant que ceux qui font les lois continueraient de les violer et ceux qui devraient les appliquer chercheraient les passedroits pour les éviter. Il faut sortir de cette croyance que voler l’État, c’est voler personne. Ce qui me mène à proposer une quatrième action qui, pour moi, est capitale. Il faudrait inscrire la lutte contre la corruption et la promotion de la probité dans les enseignements tant primaires, secondaires qu’universitaires. Ce faisant, les jeunes apprendront progressivement les normes de comportement anticorruption et élèveront leur conscience éthique tant individuelle que collective. Certes, il est difficile d’enrayer la corruption, et l'éthique n’est pas la panacée. Il y aura toujours des corrupteurs et des corrompus qui séviront au sein et autour d’institutions et d’organisations, conscients ou pas du caractère immoral de leurs actes. Mais, cela ne peut représenter une raison suffisante pour ne pas se lancer dans un processus durable de changement social impliquant l’apprentissage continu de l’éthique dans nos écoles.