Y a-t-il une mort qui vaut plus qu’une autre ? Existe-t-il une peine plus légitime qu’une autre ? Sommes-nous face à des catégories humaines selon l’appartenance ? Un mort palestinien est dans l’ordre des choses tandis qu’un mort israélien est une tragédie. Tuer des femmes et des enfants palestiniens n’émeut personne, surtout pas en Occident, là où tout le monde s’indigne face à la mort de plusieurs Israéliens. Les Palestiniens peuvent crever et on s’en accommode, mieux, on s’en fiche. Alors que des Israéliens qui meurent, cela est inacceptable, inadmissible, inhumain.
Comment expliquer une telle aberration ? Sommes-nous face à deux espèces humaines, l’une, insignifiante, que l’on peut occuper, maltraiter, torturer, priver de tout et tuer; et une autre, au-dessus de toutes les lois humaines, une espèce qui peut tout se permettre et face à laquelle on doit s’incliner, accepter, plier l’échine et ne pas réagir ? D’un côté, un peuple colonisé, martyrisé, livré en pâture à la loi de la matraque et des armes. De l’autre, un occupant arrogant, surpuissant, soutenu par tout l’Occident, tuant des innocents, exilant des populations entières, dépossédant tout un peuple de son territoire, en toute impunité. D’un côté, Israël, qui tue et massacre à longueur d’année, depuis plusieurs décennies. De l’autre, la Palestine, déchirée, morcelée, assujettie, écrasée que les Occidentaux traitent d’Etat terroriste.
Quand un char israélien bombarde un quartier entier et fait des dizaines de victimes, c’est Israël qui se défend. Quand le Hamas lance des roquettes, c’est la Palestine terroriste qui attaque les pauvres citoyens israéliens. D’un côté, des centaines de milliers de morts, de l’autre, quelques centaines. Les premiers sont les terroristes, les autres, les victimes. C’est cette littérature abjecte qui a droit de cité quand il s’agit de parler de la guerre en Palestine. Pourtant, les choses sont limpides : d’un côté, une terre occupée qui est la Palestine, de l’autre, un occupant, l’Etat d’Israël. Un envahisseur, et un peuple qui tente, par tous les moyens dont il dispose (et ils sont minimes) de résister. Mais cette résistance n’en est pas une pour les Occidentaux. Quand la France se défendait contre l’occupation allemande, c’était de la résistance. On en a fait des tomes et des volumes. On en a fait des films, des séries, des feuilletons, des documentaires, des éditions spéciales. Quand c’est la Palestine qui résiste, cela porte un autre nom : terrorisme. Pourtant, les résistants français posaient bien des bombes, tuaient des Allemands à coup de pistolet, de fusil, de couteau… Ils ont bien eu raison de ne pas se laisser exterminer par la grosse machine nazie. Et les Palestiniens ? Non. Ils n’ont pas le droit de résister. Ni de se défendre. Ni de riposter. Ni de mourir pour leur patrie spoliée. Non. Un Palestinien doit accepter de se faire écraser et se taire.
Voici, exactement ce que nous disent aujourd’hui toutes ces grandes puissances qui promettent de soutenir Israël pour se défendre contre les Palestiniens. Soutenir par tous les moyens David, le Goliath contre Ahmed, le Philistin. Apporter toute l’aide au plus fort pour réduire à néant le plus faible : c’est cela la logique du monde où l’on vit aujourd’hui. Pourtant, les chiffres sont clairs : le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) recense les victimes du conflit depuis 2008. Les données montrent qu'il a causé la mort de 5.600 Palestiniens entre 2008 et 2020, tandis que 115.000 ont été blessés. Du côté israélien, on recense 250 victimes sur la même période et plus de 5.600 blessés.
Tragique. Inhumain. Et ce, sans donner dans le calcul comparatif entre nationalités des victimes. Aucune commune mesure face à la mort. Pourtant, c’est la loi des chiffres qui émeut aujourd’hui une communauté internationale, qui s’aveugle volontiers et en connaissance de cause : ce mardi 9 octobre 2023, le bilan de la guerre en Palestine et en Israël s'est encore alourdi. Il s'élève désormais à plus de 900 décès côté israélien et à 687 côté palestinien, soit près de 1.600 au total. Une hécatombe. Une catastrophe qui va crescendo, avec des Occidentaux qui jettent de l’huile sur un feu dévastateur et attisent les flammes d’une guerre qui risque d’embraser toute la région. Surtout que le gouvernement israélien d’extrême droite n’a qu’une obsession en tête : annexer le maximum de territoires palestiniens poussant des millions de personnes à fuir, à se réfugier ailleurs, à choisir de mourir dans ce territoire de plus en plus exigu, dans cette prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza et la Cisjordanie. Un territoire morcelé où tentent de survivre des gens privés de tout, dépossédés de toute liberté d’être et d’espérer, des personnes qui survivent en attendant toujours le pire.
Comment voulez-vous qu’un jeune de Gaza, qui a aujourd’hui 20 ans, qui a vécu sous l’occupation, qui est constamment maltraité, stigmatisé, écrasé, apeuré, accusé de terrorisme du simple fait qu’il soit de l’autre côté d’un mur de démarcation. Comment voulez-vous qu’un tel individu puisse connaître autre chose que le bruit des sirènes, que le son des bombes qui s’écrasent, que l’odeur de la mort !
Qui sème les bombes récolte la mort, disait ce poète de Ramallah. Ça n’a jamais été plus vrai et plus meurtrier.
Par Abdelhak Najib
Ecrivain-Journaliste