Quel point commun entre ces huit pays : Espagne, Islande, Ecosse, Irlande, Nouvelle Zélande, Japon, Belgique et Emirats Arabes Unis ? Tous ont opté ou sont en train de tester une semaine de travail avec seulement quatre jours.
L’Espagne est en train de mettre en place un projet pilote pour tester une semaine de 4 jours qui comporterait 32 heures de travail, soit 8 heures par jour. La Belgique a également annoncé sa transition vers une semaine de quatre jours, après la fin de la pandémie du Covid 19. L’option est en théorie offerte pour l’ensemble des salariés, mais il faut que l’entreprise accepte de participer à ce programme.
La plus grande expérience en grandeur nature a été menée en Islande entre 2015 et 2019. Elle a porté sur un échantillon de 2.500 travailleurs qui représentent plus de 1% de la force de travail du pays. Ils étaient employés au sein de divers secteurs et dans des entreprises de différentes tailles. Les chercheurs ont essayé de répondre à deux principales questions : les employés sont-ils plus productifs ? Les employés sont-ils plus heureux ?
Le Japon est un pays qui s’est construit (ou plutôt reconstruit après la Seconde Guerre mondiale) autour d’une culture acharnée au travail, avec des horaires affolants. Les Japonais prennent seulement 8 jours de congé par an; dans plusieurs cas, cela est imposé par la loi. Le japonais est l’une des rares langues au monde où un mot a été consacré pour spécifier la mort d’un individu par un excès de travail (le karoshi), là où il faut combiner plusieurs mots dans les autres langues pour exprimer la même idée.
Nombreux sont les cas qui choquent la population, de jeunes Japonais en pleine santé, qui meurent après avoir travaillé des semaines de plus de 100 heures d’affilée. Le gouvernement reconnait officiellement 200 karoshis par an; les associations contredisent ce chiffre et évoquent plutôt 10.000 décès par an !
Les efforts du gouvernement n’y font rien : ils ont limité les horaires de travail légaux à 70 heures par semaine, et limité les heures supplémentaires à 100 heures par mois, mais la loi n’est pas appliquée. Les horaires débordants de travail sont une véritable culture, valorisée et respectée chez une partie de la population. Pour secouer les esprits, le gouvernement a annoncé en juin 2021 une initiative pour accompagner les entreprises qui souhaitent passer à 4 jours. Panasonic l’a déjà fait, et Microsoft Japon le teste.
Les Emirats Arabes Unis sont le premier pays arabe à avoir opté pour une semaine de 4,5 jours. Alors que le weekend était décalé par rapport au reste du monde, cette réforme a permis d’aligner les jours non travaillés sur les principaux marchés mondiaux. Le nouveau week-end est désormais : le samedi et le dimanche, auquel se rajoute le vendredi après-midi après la prière.
Le dernier pays à lancer une telle expérience en date est l’Irlande. Au mois de janvier 2022, le pays a trouvé un accord avec 17 entreprises qui acceptent de participer à l’expérience, et a mobilisé des fonds pour étudier les retombées aussi bien économiques que sanitaires d’une telle évolution.
Les arguments pour une semaine à quatre jours sont nombreux. D’abord, elle permettrait d’améliorer la productivité des travailleurs. Ensuite, elle permettrait de baisser les coûts : transport des salariés vers le site de travail, consommation d’électricité, de télécommunications et d’autres ressources… De plus, elle améliorerait la santé physique et mentale des travailleurs, leur laissant davantage de temps pour prendre soin d’eux, ce qui ferait baisser les dépenses de soins aussi bien pour les individus que pour la collectivité. Enfin, elle permettrait de booster les industries du loisir (tourisme, divertissement…), grâce à des dépenses accrues sur trois jours fériés au lieu de deux.
Plusieurs chiffres vont dans ce sens : Microsoft Japon a annoncé une hausse de +40% de la productivité de ses travailleurs, et une baisse de -23% de sa facture électrique. Au Royaume-Uni, 25% des absences du travail sont dues au stress. Si les salariés travaillent moins et se sentent mieux, ils s’absenteront moins. Cinquante entreprises au Royaume-Uni mènent actuellement l’expérience.
Les contre-arguments sont également légion. D’abord, la hausse de la productivité est avant tout mécanique : en gardant le même salaire, les travailleurs doivent accomplir les mêmes tâches sur une durée plus réduite, ce qui augmente automatiquement la productivité. Ensuite, certaines charges qui seraient réduites ne sont pas directement reliées aux frais de l’entreprise. Un travailleur qui paye ses déplacements n’aura aucun impact sur les comptes de l’entreprise. Au niveau agrégé (salarié + entreprise), il est vrai que la facture énergétique pourrait baisser; mais il faut bien en parler au conditionnel car ce salarié qui ne travaille pas, va-t-il rester chez lui ou voyager en parcourant encore plus de kilomètres au-delà de son lieu de travail habituel ? Par ailleurs, lorsqu’on explique que cela permettra aux salariés de consommer davantage pendant le week-end, il faut se poser la question : ce qui freine leur consommation, est-ce un manque de temps ou bien un manque de ressources financières à dépenser ?
Historiquement, ce sont les religions qui ont encouragé l’instauration d’un repos hebdomadaire : samedi pour le Judaïsme, dimanche pour le Christianisme, et vendredi pour l’Islam. En France, le repos dominical obligatoire fut établi en 1906, après les grèves des mineurs suite à la catastrophe de Courrières. Ces mines situées dans le Pas-de-Calais ont connu l’un des pires accidents dans l’histoire des mineurs. Une explosion a tué plus de mille travailleurs.
Les secours ont travaillé pendant 3 jours, puis ils ont bouché les puits pour éteindre l’incendie et préserver le restant des gisements. Vingt jours plus tard, un groupe de 13 mineurs ressort miraculeusement des décombres. L’émotion est totale et confirme ce que pensaient les mineurs : les sauveteurs ont cherché à préserver les installations avant les mineurs. La grève s’étend à l’ensemble des bassins miniers français, avec plus de 60.000 manifestants. L’armée et la gendarmerie mobilisés ne font pas le poids. Les mineurs et les mouvements syndicaux obtiennent une hausse des salaires, puis peu après, l’instauration du repos dominical obligatoire.
La baisse du volume horaire s’inscrit dans une tendance historique. Plus la productivité humaine augmente, plus le repos s’accroît. La question la plus importante que personne n’aborde pour l’instant est : que vont faire les travailleurs du jour libre qui va leur être concédé ? Si des pays rechignent à passer vers la semaine de quatre jours, pourquoi ne pas le faire en imposant que la journée libérée soit dédiée à la formation et à l’apprentissage (voire même au bénévolat) ?
Cela permettra de rehausser les compétences du capital humain au sein des économies émergentes, dans un contexte où les bouleversements technologiques sont tellement multiples et simultanés, qu’ils rendent les travailleurs rapidement sous-qualifiés. Il ne fait aucun doute que l’intérêt porté à la semaine des quatre jours continuera de progresser pour une raison simple : après la crise du Covid et le renouveau du télétravail, les employeurs ont commencé à faire la distinction entre présence et productivité, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant.
Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez le sur www.fassal.net.