Abdelhak Najib, Écrivain-journaliste
C’est connu. Durant les plus grandes crises, apparaissent les plus grands criminels. C’est aussi connu que lorsque la souffrance frappe, une minorité tente d’en faire son fonds de commerce. Toutes les situations anxiogènes engendrent leurs monstres. Tueurs en série, violeurs, pédophiles, terroristes… tous les désaxés de la société aiguisent leurs armes. C’est une aubaine pour eux de sévir. C’est une occasion de se fondre à la foule en perpétrant l’horreur. Les instincts primaires prennent le dessus sur les limites à ne pas franchir au sein de la communauté.
Le crime prospère d’abord en tant que fantasme. Puis, il a libre cours. Le passage à l’acte n’est alors qu’une formalité que le criminel franchit en pensant déjà à la suite. Celle-ci est aussi connue : faire le maximum de mal, compter les victimes, apprécier ses trophées de guerre comme ces spéculateurs qui font commerce de la mort en thésaurisant sur la peur qui s’installe. C’est tout aussi connu que tous les psychopathes, les psychotiques en profonde et éclatante phase de décompensation passent à l’acte.
Ces terribles épisodes délirants sont le résultat de mois, voire des années de frustration, de ressentiment, de rancœur nourris à la macération des sens les plus basiques. «Méfiez-vous de ceux qui tournent le dos à l’amour, à la société, à l’ambition. Ils se vengent d’y avoir renoncé ». Écrit l’auteur : de «Précis de décomposition», Emile Michel Cioran. C’est justement cette putréfaction de la volonté qui donne corps à toutes les formes du crime. C’est exactement cela qui préside à ce dont nous sommes témoins aujourd’hui : des tentatives d’attentats avortées par les forces de sécurité et un kidnapping qui tourne à l’assassinat. Sans vouloir donner dans l’analyse standard des raisons du crime au sein d’une société, il est important de souligner un point : le crime dépend surtout de la psycho-sphère où il se meut, où il se prépare, où il évolue.
Cette sphère aux contours déchiquetés peut comprendre plusieurs niveaux. D’abord, le crime individuel, qui répond à une pulsion. Enlèvement, viol et meurtre pour se débarrasser de sa victime. Ensuite, le crime accidentel qui répond à une rage passagère. Tout le monde peut commettre le pire à un instant donné de sa vie si des conditions extrêmes sont réunies.
Enfin, le crime idéologique, qui se croit porté par une vision. Il cristallise la haine au sein du groupe. Il incarne l’élan vers le pire. Il est le fait de tous les ratés d’une société. Ils se cramponnent à des «idées» mortes pour se donner l’illusion de vivre. Mais ces illuminés doublés de névropathes patentés sont déjà morts et décomposés, mais ils ne le savent pas encore. Ils ont opéré la rupture de ban avec leur environnement. Ils ont consommé leur faillite humaine. Il ne leur reste que l’extrême incarnée en horreur absolue. Aucune pensée ne sous-tend leur volonté de chaos.
L’unique visée est de semer une catastrophe globale pour s’y fondre. C’est le sens même de la lâcheté face au suicide. Le terroriste en est le parfait exemple. Il doit mettre en scène son suicide en l’habillant d’idéologie délirante. Il ne peut passer à l’acte que lorsqu’il est convaincu qu’il prend sa revanche sur une société qu’il a choisi de quitter étant incapable de s’y réaliser en tant qu’individu. Il meurt alors au sein du groupe sectaire qui lui ouvre un horizon sur le crime final : tuer tout le monde en se tuant.
Tous ces criminels ne sont jamais à la hauteur de leur crime qu’ils rapetissent et qu’ils calomnient, comme le dit l’auteur de «Par-delà le bien et le mal».
Appliquer cela à notre société nous montre à quel degré nous sommes confrontés à des ennemis intimes. Certes, c’est le lot de toute la planète aujourd’hui, qui vit au rythme des morts, des crimes et des attentats contre l’humanité finissante. Mais pensons-y un instant. Il n’y a pas pire ennemi que celui qui te frappe dans le dos, qui t’assaillit au moment où tu luttes pour la survie de tous, celui qui veut te porter un coup fatal quand tu as besoin de la solidarité de tous. C’est connu aussi. Cela porte un nom : trahir les siens en faisant exploser le socle sur lequel ils ont bâti leur union.
En l’occurrence, la paix sociale, la stabilité, la sécurité de tous. Face à ces configurations, il ne faut pas se leurrer en pensant à des actes isolés, manigancés par des loups solitaires en mal de repères. Souvent, ils sont télécommandés par tous les contempteurs de l’ordre séculier qui nous rassemble. Leur référent porte souvent les habits du donneur de leçons, parfois les haillons du prêcheur enflammé ou alors du gangster déguisé en gourou. Il est surtout tapi dans tous les recoins fragiles de la société. Il sème les graines de la rancune et appelle à la vindicte. Il est relayé par tous les douteux qui vigt sur le tronc commun en rongeant son cœur.
Peu importe le nom qu’on peut accoler à cette idéologie de la mort, elle émane toujours de la fange et finit dans le sang. D’où la nécessité de ne pas relayer les idées noires d’une minorité qui se complait dans tous les chaos et aiment toutes les crises. Tout comme il faut se garder de frayer avec les relents nauséabonds de cette vengeance qui festoie quand la peur terrorise et paralyse ses semblables. Le goût de la catastrophe va de pair avec le désir de voir tout s’effondrer pour noyer sa chute personnelle au cœur du chaos global.
Ceci pour dire qu’en période de crise, ne vous méprenez pas sur votre réel ennemi. Il vous faut l’identifier. Il vous faut le démasquer. Il croît. Il pullule. Il se multiplie comme un virus. Et il monte aux murs. Vous le voyez ? C’est bien lui, l’idéologue du désastre.
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Amitiés.