Pour sa 12ème édition, Atlantic Dialogues va être l'occasion d'une grande manifestation de débat sur des problématiques de fond dans la région atlantique, les 14 -17 décembre, à Marrakech. Le think tank Policy Center for the New South, dirigé par Karim El Aynaoui, réunit de nouveau un grand parterre d'intervenants internationaux et de chercheurs nationaux couvrant une large palette de secteurs.
Le monde accuse une profonde mutation sans que l'on sache vraiment quelle en sera l'articulation. L'espace atlantique, lui aussi, s'inscrit dans une nouvelle plateforme de coopération Nord-Sud. Arrivera-t-il à terme à devenir un espace commun de développement et de dialogue ? C'est souhaitable bien entendu, avec un élan poussant au renforcement du dialogue sur la base de la multiplication des initiatives multilatérales et intergouvernementales. C'est nécessaire aussi tant il est vrai qu'il y a de défis transfrontaliers. L'idée qui prévaut aujourd'hui, de plus en plus d'ailleurs, est celle-ci : il faut regarder et percevoir le bassin atlantique différemment.
Pourquoi ? Parce qu'il marque un changement, et ce sur plusieurs plans. Économique d'abord, parce que l'Atlantique s'affirme, ce qui ne manque pas d'impacter le commerce et l'investissement dans cette région et même au-delà, à l'échelle mondiale. Des économies émergentes se développent; des puissances économiques s'affirment également. Au total, elles pèsent dans l'élaboration des accords commerciaux et internationaux d'aujourd'hui et dans l'avenir. La coopération économique prend ainsi une nouvelle dimension : elle va influencer d'une manière ou d'une autre la prise de décision économique mondiale.
Menaces et défis
Politique, ensuite : n'est-ce pas une voix collective des vingt-trois pays de cette façade maritime qui aura plus d'écho dans la gouvernance et la diplomatie mondiales ? C'est le sens en tout cas des positions récurrentes des pays africains pour une répartition plus équilibrée du pouvoir dans les organisations multinationales, centrées ou non sur l'Atlantique. L'Amérique latine s'engage également dans les dialogues transatlantiques, partageant le souci de relever les défis communs et de mieux façonner la gouvernance mondiale. Mais l'Amérique du Nord et l'Europe font plutôt de la «résistance» et paraissent peu pressées à modifier sensiblement les règles de jeu actuelles. Ce qui n'est pas la meilleure réponse pour s'adapter aux nouvelles dynamiques et aux changements de l'ordre international.
Enfin, au plan de la sécurité, qu'en est-il ? L'Atlantique doit s'affirmer davantage : une réponse plus coordonnée est nécessaire; les menaces et les défis sont préoccupants; et l'environnement stratégique passablement conflictuel ici et là, avec à tout le moins de nombreux foyers de tensions et de crises. C'est une région qui est un centre névralgique en termes de sécurité (commerce, approvisionnement, câbles sous-marins, lutte antiterroriste,...), sans oublier les effets aggravés du changement climatique, de la désertification et des millions de personnes déplacées. De quoi mettre l'accent sur cette donnée : plus la région Atlantique s'affirmera dans les questions sécuritaires avec des politiques appropriées, et plus elle aidera à remodeler et à consolider le programme de sécurité mondiale.
Mais il y a plus. L'année 2023 a vu la promotion et la forte visibilité du concept du Sud global. Il faut rappeler qu'avec le conflit Ukraine-Russie, déclenché le 24 février 2022, l'on a vu, notamment lors des débats qui s'en sont suivis à l'ONU, bien des cercles décisionnaires et autres des pays occidentaux s’inquiéter de l'influence et de l'affirmation accrue des pays du Sud. L'équilibre international, au cours de cette année 2023, a été influencé par cette évolution. La voix du Sud paraît davantage entendue : les BRICS se sont élargis à de nouveaux pays (Argentine, Arabie Saoudite, Égypte, Éthiopie, Iran et Émirats arabes unis); le FMI et la Banque mondiale ont tenu leurs assemblées générales à Marrakech, à la mi-octobre dernier, comme pour mieux prendre en charge des questions de principe encore pendantes (meilleure représentation de l'Afrique dans leurs instances de décision, réévaluation et assouplissement des conditions de financement...).
Un nouvel ordre international : Comment ?
Il faut bien voir que prévaut finalement cette interrogation : comment revoir et corriger les fondements mêmes de l'ordre international, alors que le monde traverse une crise profonde, économique, démocratique, identitaire et climatique ? Elle est multidimensionnelle et caractérise les relations contemporaines internationales; elle exacerbe les géopolitiques mondiales dans des équations d'altérité plutôt que de coopération. Le multilatéralisme doit être l'axe stratégique de refondation d'un nouvel ordre enjambant le nationalisme, couplé au protectionnisme version souverainiste et à la guerre économique et commerciale entre les grandes puissances.
Le primat doit ainsi être donné à la coopération; il va permettre d'atténuer les menaces transfrontalières, dans les pays du Sud aussi. Reste la faisabilité de cette mise en place d'un autre ordre international plus multilatéral. Comment ? Par quelles voies de réformes ? Assurément, de nouvelles pratiques diplomatiques, commerciales et économiques sont à définir et à conforter. Quel peut être un nouveau modèle de coopération internationale pouvant contribuer aux objectifs du multilatéralisme ?
Des institutions internationales de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) et l'ONU sont certainement à réviser. Enfin, des incertitudes pèsent sur les implications pour l'Atlantique des élections américaines de novembre 2024. Les priorités des États-Unis sont, depuis l'administration Obama, celles de la région indo-pacifique, avec au premier plan la Chine, deuxième puissance économique mondiale avec un PIB de quelque 21.000 milliards de dollars. L'Atlantique élargi présente sans doute une importance stratégique pour l'administration Biden; il l'a affirmé de nouveau de manière appuyée dans son discours à l'ONU, le 19 septembre dernier.
Mais il reste cette problématique : que la région atlantique se prenne aussi totalement en charge avec une vision partagée, des conditions et des réformes de convergence parce qu'elle a un destin commun. Faut-il le rappeler, le Maroc est au premier rang de la promotion d'une identité atlantique. Une vision porteuse de tous les espoirs unitaires dans un monde passablement heurté, cabossé, opérant une mutation entre un «ordre» hérité de la guerre froide, au lendemain de la seconde guerre mondiale, et un autre plein d'hypothèques...
Par Mustapha Sehimi, Professeur de droit (UMVR) & Politologue