Il fut un temps où la question de l’immigration en France apparaissait comme un sujet parmi d’autres, souvent relégué au second plan. Mais depuis quelques années, elle est devenue le nerf de la guerre politique, oscillant entre angoisse collective et feuilleton législatif sans fin. A tel point qu’on pourrait se demander si la question ne finit pas par rendre son propre débat absurde, un peu comme une chanson qui finit par lasser à force d’être entendue.
Alors que Bruno Retailleau, nouvel homme fort de l’Intérieur, déclare vouloir durcir la loi immigration malgré les censures du Conseil constitutionnel, on se surprend à observer ce cirque politique avec un certain amusement. Mais cette surenchère migratoire a aussi un caractère ironique : un pied à droite, un pied à gauche, et voilà la macronie qui tangue. D'un côté, l’on s’efforce de rassurer les électeurs de droite avec des mesures de «fermeté» : davantage de rétention administrative, réduction des droits sociaux pour les migrants et moins d’attractivité pour les nouveaux arrivants.
De l’autre, on trouve ceux de gauche dans la majorité qui protestent mollement, évoquant le «nécessaire humanisme», sans toutefois vraiment oser s’opposer. L’ironie ne s’arrête pas là. Avec sa loi, Retailleau semble s’engager sur des terres que Marine Le Pen connaît bien. En fait, ce ne sont pas seulement des idées de droite qu’il défend, mais celles du Rassemblement national (RN), de façon presque caricaturale.
Le Pen doit apprécier le spectacle : Retailleau martèle des propos dignes du RN, tout en restant dans le costume de la droite traditionnelle. En tentant de séduire les électeurs d’extrême droite, Les Républicains pourraient bien finir par les diriger directement vers l’original, Marine Le Pen. Mais ce rapprochement n’est pas sans risques pour la droite. En prétendant être les seuls à pouvoir «sauver la France» de l’invasion migratoire, Les Républicains se confrontent à une impasse : comment se différencier d’un RN toujours aussi intransigeant ? Cela donne l’impression qu’ils ont eux-mêmes perdu la boussole idéologique, se contentant de suivre le sillage de l’extrême droite dans un monde où la nuance a de moins en moins de place.
Quant à Emmanuel Macron, pris entre une aile droite qui réclame toujours plus de fermeté et une aile gauche qui hésite à critiquer trop ouvertement, il semble jouer les équilibristes en chef. Les commentateurs politiques notent qu’il s’agit avant tout de manœuvres pour satisfaire tout le monde. Une sorte de «grand écart» devenu routine au sommet de l’État. Car, bien au-delà de l’enjeu migratoire, il y a la question de la popularité. Difficile pour Macron de défendre une ligne claire quand il doit simultanément apaiser ses alliés modérés et rassurer les sympathisants de droite. De fait, il ne fait qu’exacerber le malaise au sein de sa propre majorité, qui elle-même peine à trouver un discours commun sur l’immigration.
Par F.Z Ouriaghli