Le Maroc avance, mais pas encore assez vite. Le niveau de croissance projeté dans le Projet de Loi de Finances 2026, soit 4,5%, a de quoi séduire sur le papier. Après tout, dans un monde où la croissance mondiale plafonne à 3% et où l’Union européenne, premier partenaire économique du Royaume, se traîne à 1%, le Royaume fait figure de bon élève. Mais l’illusion se dissipe vite : 4,5% ne suffiront ni à absorber les cohortes de jeunes qui peinent à trouver un emploi, ni à concrétiser les promesses flamboyantes du Nouveau modèle de développement (NMD), qui ambitionne rien de moins que de doubler le PIB d’ici 2035.
Les faits sont têtus. Le chômage reste accroché à 12,8%, avec des pointes stratosphériques chez les jeunes : près de 36% des 15-24 ans sont sans emploi. On modernise les aéroports, on développe les infrastructures routières et ferroviaires, on construit de grands stades et on investit des milliards de dirhams dans l’hydrogène vert et les grands barrages : c’est très bien, mais l’angoisse de milliers de diplômés qui se heurtent à un marché du travail étroit demeure intacte.
Le Roi, dans son dernier discours du Trône, l’a dit sans détour. «(…) Aucun niveau de développement économique et infrastructurel ne saurait me contenter s’il ne concourt pas effectivement à l’amélioration des conditions de vie des citoyens, de quelque frange sociale et de quelque région qu’ils appartiennent», a-t-il déclaré.
Autrement dit, la croissance n’est pas une fin en soi : elle doit se traduire en emplois, en équité et être inclusive. Or, malgré une certaine embellie macroéconomique, avec notamment une trajectoire du déficit public en baisse, une inflation contenue et une dette sous contrôle, le moteur social patine. Le fameux ruissellement tant attendu ne fonctionne toujours pas.
Ce paradoxe n’est pas nouveau. Malgré l’importance de l’investissement public depuis plusieurs années, l’efficacité de cet effort reste discutable : pour un dirham investi, la croissance engrangée demeure faible. L’ICOR, cet indicateur qui mesure l'efficacité de l'investissement, demeure bien trop élevé, s’élevant à 6,1 sur la période 2000-2009, avant de se dégrader significativement pour atteindre 12,5 entre 2010 et 2019 et 11,8 entre 2010 et 2023.
Le Souverain, lucide, a aussi sonné l’alarme. «Voici venu le temps d’amorcer un véritable sursaut dans la mise à niveau globale des espaces territoriaux et dans le rattrapage des disparités sociales et spatiales», a-t-il affirmé.
Le sursaut, voilà le mot clé. Car le Maroc ne manque pas de visions, encore moins de chantiers. La généralisation de la protection sociale, la feuille de route pour l’emploi, la réforme de l’éducation, le développement des énergies renouvelables ou encore le Plan national de l’eau sont autant d’initiatives structurantes. Certes, il faut continuer à dérouler ces grands projets. Mais il importe également d’instaurer une cohérence d’ensemble, de réconcilier formation et emploi, de rendre l’investissement plus productif et l’économie plus inclusive... Bref, de transformer les 4,5% de croissance en 4,5% de progrès partagé. Et ce, en attendant de pouvoir atteindre les 6 à 7% de croissance qu’exige le NMD.