La COP30 vient de s'achever à Belém, et le Maroc y a brillé par ses ambitions climatiques : énergies renouvelables, décarbonation, agriculture durable. Pourtant, derrière les discours officiels et les stands rutilants, une question taraude : les entreprises marocaines sont-elles vraiment à la hauteur ? Ou assistons-nous à un gigantesque exercice d'écoblanchiment qui menace la crédibilité de toute notre transition verte ?
Le Royaume n'a pas usurpé sa place sur la scène internationale du climat. Noor Ouarzazate, Génération Green, objectif de 52% d'énergies renouvelables d'ici 2030 : la vision est là, portée par une volonté politique forte. Mais si l'État impulse, ce sont les entreprises qui doivent transformer. Et entre celles qui intègrent sincèrement la RSE dans leur ADN et celles qui se contentent de verdir leur image, l'écart est béant.
Le greenwashing progresse au Maroc
L'écoblanchiment consiste à donner une image écologique trompeuse d'un produit ou d'une entreprise. Au Maroc, cette pratique progresse à mesure que la sensibilité environnementale des consommateurs croît. Les associations comme Green Invest de l'ENCG Settat tirent régulièrement la sonnette d'alarme.
Les techniques sont bien rodées. D'abord, le vocabulaire vague : "naturel", "écoresponsable", "respectueux de l'environnement" fleurissent sur les emballages sans aucune preuve tangible. Ensuite, la promesse disproportionnée : mettre en avant un emballage recyclable pour masquer l'impact désastreux de la production. Puis viennent les faux labels : des logos aux noms évocateurs comme "Éco-label Maroc" ou "100% naturel certifié" apparaissent sans qu'aucun organisme indépendant ne les cautionne.
Contrairement à Ecocert ou Nordic Swan, ces autocollants fantaisistes exploitent la méconnaissance du public et l'absence d'un registre national officiel. Enfin, l'absence totale de transparence : certaines entreprises sont incapables de fournir la moindre donnée chiffrée pour justifier leurs allégations.
Heureusement, des bons élèves existent. L'OCP investit massivement dans les renouvelables pour décarboner sa production et développe des engrais verts à faible empreinte carbone. La CDG intègre des critères ESG dans ses décisions d'investissement et finance des projets d'énergies renouvelables. Barid Al-Maghrib déploie des véhicules électriques pour ses services de distribution et optimise l'efficacité énergétique de ses bureaux de poste. Ces entreprises prouvent que durabilité et performance peuvent aller de pair.
L'urgence d'un cadre clair
Contrairement à l'Union européenne, qui dispose d'un arsenal législatif offensif (Green Deal, directive sur le devoir de vigilance, interdiction des allégations non étayées), le Maroc navigue avec des textes épars. La loi 31-08 sur la protection du consommateur interdit la publicité trompeuse, ce qui peut viser le greenwashing. La circulaire AMMC 03/19 impose aux sociétés cotées la publication de rapports ESG. La loi 49-17 encadre l'évaluation environnementale des grands projets.
Mais une loi spécifique dédiée à l'écoblanchiment fait défaut. Ce vide laisse les entreprises peu scrupuleuses dans une zone grise où le risque de sanction reste faible. Un cadre législatif clair s'impose d'urgence : définir ce qu'est une allégation acceptable, imposer traçabilité et vérifiabilité, prévoir des sanctions dissuasives, créer un registre national des certifications reconnues.
Le Maroc ne peut ignorer les évolutions européennes. Les entreprises marocaines exportatrices devront s'y plier pour accéder au marché européen. Adopter dès aujourd'hui un cadre anti-greenwashing rigoureux donnerait au Royaume un avantage concurrentiel certain par rapport à ses voisins nord-africains.
Ainsi, pour passer de la "RSE communication" à la "RSE performance", le Maroc doit accélérer sur trois fronts complémentaires : d’abord, le législateur doit adopter une loi spécifique contre le greenwashing, s'inspirant des meilleures pratiques internationales. Ensuite, les entreprises doivent cesser de traiter la RSE comme un département de communication. Il faut intégrer les indicateurs ESG dans le pilotage stratégique, adopter des standards internationaux robustes (GRI, SASB), accepter la vérification par des tiers indépendants, et publier des rapports transparents avec données chiffrées. Enfin, la société civile et les consommateurs ont un pouvoir immense : celui de récompenser, par leurs choix, les entreprises véritablement engagées. Un consommateur informé et exigeant est le meilleur rempart contre le greenwashing.
La COP30 a rappelé que le temps presse. Dans ce contexte, le greenwashing n'est pas une simple entourloupe marketing : c'est un poison qui mine la confiance, retarde l'action et discrédite les efforts sincères. Face à ce défi, le Maroc a besoin d’entreprises qui agissent vert, pas seulement qui en parlent; des réductions d'émissions vérifiables; une transparence irréprochable.
La crédibilité de notre transition ne se joue pas dans les pages glacées des rapports RSE, mais sur le terrain, dans les usines, les champs, les bureaux.
Car au final, la COP30 nous rappelle une vérité simple mais puissante : il est rentable d'être responsable. Les entreprises marocaines qui l'auront compris seront les champions de demain. Les autres regarderont le train partir sans eux.
Par Dr. Mohamed Boiti
Expert RSE & finance durable