L’esthétique de l’action dans un monde fichu

L’esthétique de l’action dans un monde fichu
 
 
 
Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste
 
 
Nous sommes aujourd’hui dans un monde en proie à l’une des crises humaines les plus dangereuses, pour une éthique du faire face à un moment de l’histoire humaine où plus rien n’est à racheter, surtout par l’Homme et ce qu’il en est advenu. Nous sommes aujourd’hui dans un monde qui souffre de tous les maux, dans un univers éclaté et clivé, pour une volonté de résister même si la partie est déjà pliée. Car, il y a dans ce combat pour rien quelque chose d’héroïque, un je ne sais quoi de fou, d’insouciant, de ricaneur, d’ironique à la face d’un monde foutu. Savoir qu’il n’y a plus rien à sauver et y aller tout de même. Pour la beauté du geste, pour l’esthétique de l’action. On se prend en main et on sauve les rares choses qui aient encore une certaine valeur, telle que sa dignité, tel que son sens de l’honneur, tel que le regard que l’on porte sur soi et qui doit être à la hauteur des yeux, pour nous renvoyer une réfraction de nous-mêmes qui ne soit ni tronquée ni mensongère. Il peut y avoir de la grandeur même dans cet acte ultime de celui qui ne veut rien sauver du tout, mais qui va au charbon pour livrer bataille jusqu’à ce que mort s’en suive ou jusqu’à ce que le soleil brille à nouveau. C’est tout ce qui reste à faire dans un monde tel que celui qui s’achève devant nos yeux. Nous avons épuisé tous les recours. Nous avons tout démoli. Nous avons tout détruit. Nous avons tout terrassé. Nous avons tout défiguré. Nous n’avons rien laissé intact dans cet univers qui nous a été donné comme une offrande que l’on a bafouée et sacrifiée. Alors, on doit réapprendre certaines choses. Comme, par exemple, la confiance en soi. Oui, le fait de se dire, toujours dans cette logique du dernier acte : je suis capable de le faire et j’y vais.
 
Car sans la confiance, plus question d'insouciance ni de gaieté ; elle en est la condition indispensable. Et dans notre entreprise désespérée de réapprendre à aimer la vie, nous avons besoin et d’insouciance et de joie. Nous avons aussi besoin de retrouver notre goût pour le jeu. Oui comme cet enfant qui ne pense à rien d’autre que de s’amuser sans s’user l’âme mais en la nourrissant de subtilité, de défi, de franche rigolade et de rire franc. Oui, jouer sérieusement aussi comme cet enfant pour qui le jeu décide de la véracité de la vie ou de son inanité. Nous devons aussi retrouver cette aptitude à rêver. Créer des rêves de rien et les faire vivre devant soi. On peut s’imaginer sur scène, livrant le dernier acte d’une pièce improvisée et à un moment donné, le rêve s’impose à nous. On l’accepte, on le célèbre. On le glorifie et au diable, la mise en scène et la pièce qui se joue. Oui, la liberté de nos rêves ne doit en aucun cas céder à la logique de la scène. Au diable le metteur en scène, je vous dis. Il peut regimber tel un démon, le rêve passe d’abord. Et surtout ne pas céder à cet appel sournois qui vient des coulisses : «Vous ne pensez rien. Vous ne pensez à rien. Nous pensons à votre place. Vous n'acceptez pas que nous pensions à votre place. Vous voulez rester objectifs. Vos pensées sont libres. Tout en le disant, nous nous glissons insidieusement dans vos pensées», comme le dit Peter Handke dans «Outrage au public». La moralité de cette histoire est simple : nous vivons les derniers moments d’un monde où existent des personnes qui font tout pour brouiller vos pensées. Ils redoublent d’ingéniosité et de technicité pour vous faire croire que ce que vous croyez penser est ce que vous devez penser par vous-mêmes, dans un acte libre de revendiquer son droit à définir autrement les règles de ce faux-jeu.
 
 

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