Le 32ème sommet arabe a pu se tenir à Djeddah. Un premier acquis tant il est vrai que la Ligue arabe n'a pas toujours réussi à réunir de telles assises par le passé... Qu'en tirer comme conclusions même provisoires ? La réintégration de la Syrie, suspendue depuis près de douze ans, en novembre 2011, à la suite des massacres de la répression du régime de Bachar Al Assad.
Cette question était débattue pour permettre à Damas de retrouver son siège. Et l'Algérie s'était mobilisée à cet effet en préparant le précédent sommet en novembre dernier dans la capitale de ce pays sans succès. Cette fois-ci, l'«activisme» saoudien a porté ses fruits. En amont, tout un processus a été mis en œuvre qui a conduit à cette réadmission. L'Arabie Saoudite a ainsi pris l'initiative de réunir des pays arabes pour aplanir les divergences sur le rétablissement des relations avec la Syrie (les six pays du Conseil de coopération du Golfe - Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite et Emirats Arabes Unis ainsi que l'Egypte).
L’Algérie out…
Tenue un mois auparavant le sommet du 19 mai, il faut relever que l'Algérie n'y a pas été associée alors qu'elle est présidente en exercice de la Ligue arabe. Preuve de l'isolement du régime d’Abdelmadjid Tebboune. Plus encore : expression d'une humiliation amèrement ressentie. Illustration supplémentaire enfin de ce fait : l'Algérie n'a pas - ou plus ? la main au Proche-Orient ni d'ailleurs en Afrique ou en Méditerranée. Des médias algériens ont critiqué les «manœuvres unilatérales» de Mohamed Ben Salman (MBS) alors que «La Ligue arabe a besoin d'actions multilatérales». L'Arabie Saoudite s'est en effet comportée comme la présidente en exercice de l'Organisation panarabe alors que statutairement c'est elle qui assure cette fonction, elle est «out». Au final, une opération réussie par MBS qui est arrivé à convaincre deux pays du Golfe- Qatar et Koweït- de «tourner» la page du dossier syrien, et ce dans un contexte géopolitique en pleine recomposition. Le Qatar a en effet fortement soutenu les groupes armés contre les autorités de Damas et financé l'opposition. S'il a salué le rapprochement entre Riyad et Téhéran, il était cependant hostile à une normalisation avec Damas.
Ce sommet a été marqué par l'invitation surprise faite au président ukrainien par MBS et non par la Ligue arabe. Vladimir Zelenski a invité les vingt deux membres à «jeter un regard honnête» sur la guerre. S'il a remercié les autorités saoudiennes, il a déclaré aussi que «malheureusement, certains pays dans le monde et ici, parmi vous, ferment les yeux sur l'invasion de son pays par la Russie». Il faut observer que la majorité des pays arabes n'ont jamais condamné ce pays aux Nations unies. Les uns sont «attentistes», les autres «équilibristes» optant pour une position de neutralité. Certains d'entre eux se voient cependant accusés d'aider le Kremlin à contourner les sanctions occidentales. L'Arabie saoudite compte -elle- s'affirmer comme un médiateur possible et efficace dans ce dossier ? Même si Riyad a alloué 400 millions de dollars d'aide humanitaire à l'Ukraine, la place est prise, pourrait-on dire, par d'autres, en particulier la Chine avec son Plan de paix de douze points publié le 24 février dernier.
Soudan, Yémen…
A la différence des précédentes éditions, n'a pas été mise sur le devant de la scène la question iranienne. C'est que sous l'égide de la Chine, le 10 mars dernier, un accord de normalisation a été signé entre Ryad et Téhéran. Ce qui a prévalu, ce sont plutôt des délibérations axées sur les questions de stabilité sécuritaire et économique. Dossier brûlant : celui du Soudan avec la guerre depuis plus d'un mois entre le général Abdel Fattah al-Burhane, chef des Forces armées, et Mohammad Hamdane Dagalo, chef des Forces de soutien rapide (FSR). Avec les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite offre sa médiation. Le communiqué final soutient l'instauration d'un cessez-le-feu et l'ouverture de couloirs humanitaires. Plus d'un millier de morts et un demi-million de réfugiés dans les pays voisins (Egypte, Tchad, Ethiopie, Soudan du Sud,...). Les deux parties ont bien annoncé leur acceptation du principe du respect des règles de la guerre mais les combats se poursuivent sur le terrain...
Sur le dossier yéménite, une certaine stabilisation est intervenue ces derniers mois, notamment depuis l'accord irano-saoudien précité du 10 mars signé à Pékin. Ryad œuvre ainsi pour conclure un accord de long terme avec les Houthis, soutenus par Téhéran. L'objectif ? Éviter de nouvelles attaques sur son territoire ne pouvant que compromettre son plan Vision 2020 de développement économique. Cet accord avec le régime des mollahs tiendra-t-il ?
Le communiqué final a réaffirmé la «centralité de la cause palestinienne» pour les pays arabes : elle est présentée comme l'un des principaux facteurs de stabilité dans la région. Il condamne toutes les pratiques et violations infligées aux Palestiniens. Il souligne d'autres points : un règlement global et juste de la question palestinienne, la solution de deux Etats conformément à la résolution 242 du Conseil de sécurité et à l'initiative de paix arabe de 2002, la création d' un Etat palestinien indépendant sur la base des frontières de 1967 avec Jérusalem -Est pour capitale, la protection des sites musulmans de Jérusalem. A cet égard, le sommet salue l'action du Maroc et celle de SM le Roi, président du comité Al Qods. Dans cette même ligne, il fait expressément référence à la politique unitaire du Royaume et à ses efforts dans la recherche de règlements pacifiques en Libye, au Yémen, au Soudan ainsi que dans d'autres pays.
Enfin, dans le domaine sécuritaire, le texte rejette «toute ingérence susceptible d'attiser les tensions dans le monde arabe menaçant la sécurité et la stabilité régionales». Sont visées dans cette même ligne, les ingérences dans les affaires intérieures des pays arabes et tout soutien aux groupes armés et aux milices non autorisées et illégitimes. Il souligne également que les conflits internes ne peuvent en aucun cas constituer une solution : ils ne font en effet qu'exacerber les souffrances des populations de la région et entraver le développement.
La déclaration réaffirme enfin l'importance du développement durable, de la sécurité, de la stabilité et de la paix des droits inaliénables pour tous les citoyens arabes qui ne peuvent être garantis que grâce aux efforts concertés et intégrés de tous les Etats membres.
Une rhétorique unitaire
Au final, une nouvelle dynamique en cours au Moyen-Orient ? Ce qu'il faut relever c'est la prise en compte par les acteurs régionaux que cette zone n'est plus prioritaire pour l'administration Biden. La Chine entend, au contraire, y jouer un rôle politique plus important. De plus, les Etats du Moyen-Orient mesurent qu'il leur faut prendre davantage en main le règlement de leurs différends. L'exigence d'ne région stabilisée - pacifiée même ? - s'impose pour favoriser et promouvoir le développement. L'Arabie Saoudite veut accélérer cette politique dans la mise en œuvre de la «Vision 2030». Les incertitudes ne manquent pas : fin de la guerre au Yémen, acquis de l'Iran au Moyen-Orient (Liban,...), Syrie, Soudan, Libye, sans oublier la question palestinienne. Une rhétorique se voulant unitaire qui doit se décliner dans des approches convergentes...
Par Mustapha SEHIMI
Professeur de droit (UM5R)
Politologue