Chronique. Revisiter la politique au Maroc

Chronique. Revisiter la politique au Maroc

En ce début d'année 2024, comment se présente donc la politique au Maroc ? Tout dépend évidemment du lieu d'où l'on parle : gouvernement, opposition, réseaux sociaux... Une chose paraît sûre en tout cas : la stabilité politique. Un acquis précieux alors que l'environnement régional, arabe et continental se distingue par tant de spasmes et de convulsions qui sont éligibles à une forte instabilité, marquée du sceau de la violence, de la division de la confrontation et même des coups de force. Tel est le tableau. Cela tient à quoi dans le Royaume ?

A l'attachement historique à un principe de légitimité qui confie au Roi la défense des fondamentaux; à une culture nationale aussi, adossée au compromis, à la transaction et à l'arbitrage même si le corps social, comme formation historique, s'articule toujours autour de différenciations socioculturelles. Sur ces bases-là, comment peuton appréhender le déploiement de la vie politique nationale, son déroulé et ce que l'on pourrait appeler son rendu  ?

Ce premier constat est à faire : les secteurs régaliens dit de souveraineté présentent un caractère satisfaisant. Référence est faite à des domaines comme les Forces Armées Royales, la Sûreté nationale, le champ religieux, le département de l'Intérieur et la politique étrangère servie par une diplomatie d'influence, rayonnante et même flamboyante. Conclusion : c'est là l'essentiel national dont le Souverain a la charge.

Un gouvernement comptable

Qu'en est-il maintenant dans les autres domaines ? Pour ce qui est du gouvernement, bien des positions passablement contrastées sont à relever. Ce cabinet arrive-t-il vraiment à imprimer, si l'on ose dire ? Pas vraiment. La question des conflits d'intérêts demeure, d'autant plus que la décision du Conseil de la concurrence sur des pratiques anticoncurrentielles de sociétés d'hydrocarbures - dont celle du chef de l'exécutif - en date du 23 novembre dernier ne peut être évacuée : tant s'en faut. Dans un contexte économique et social difficile avec la détérioration du pouvoir d'achat des citoyens, comment rendre audible et crédible la parole publique ?

De plus, ce cabinet est à mi-mandat : il ne peut plus se défausser désormais sur le passif des dix ans de gestion des deux gouvernements PJD; il est désormais comptable de ce qu'il a fait ou pas depuis son investiture en octobre 2021. Il est vrai que les politiques publiques ont été fortement impactées par la pandémie Covid-19 (2020-2021) et ses conséquences ultérieures. Elles ont aussi pâti des effets du conflit Russie-Ukraine ouvert en février 2022 (envol des prix des hydrocarbures et du blé et d'autres matières premières, renchérissement des frais de logistique, inflation supérieure à 10 %, économie mondiale en berne,...). Il faut y ajouter des facteurs endogènes liés à des années successives de sécheresse et à une contraction de la croissance, sans oublier la catastrophe du séisme d'Al Haouz, voici quatre mois, le 8 septembre dernier.

En 2022, le taux de croissance a été médiocre avec 1,3%; pour 2023, il a atteint 2,8% et il est prévu 3,7% en 2024 - une prévision d’ailleurs déjà revue à la baisse compte tenu d'une sécheresse qui s'installe. L'offre extérieure est incertaine, avec une baisse du rythme de progression de l'activité, surtout dans les économies européennes, premier marché du Maroc avec 66% environ de ses échanges.

Pour ce qui est de l'emploi, c'est un marché dans une situation difficile : baisse du taux d'emploi des 15-24 ans de 29% à 27,4%; celui des hommes a aussi reculé de deux points (60,7%) ainsi que celui des femmes (15%); et les pertes d'emploi ont frôlé les 300.000 personnes en 2023, surtout dans le milieu rural (270.000). Il faut évoquer encore la tendance à la hausse du sous-emploi de l'ordre de 94.000 personnes pour atteindre 1.005.000 individus. Le chômage, lui, s'est élevé à 1,63 million de personnes, passant de 11,4% à 13,5% -, taux plus élevé dans les villes et en particulier chez les jeunes de 15-24 ans de 38%, en hausse de sept points.

Inflexion sociale

Cela dit, les grands équilibres macroéconomiques restent solides et confortent la bonne signature du Maroc auprès de la communauté financière internationale (FMI, Banque mondiale, BAD,...) et des marchés, comme l'a illustré à ce sujet le succès de l'opération d'emprunt de 2,5 milliards de dollars en février 2023, puis la ligne de crédit modulable (LCM) de 5 milliards de dollars accordée par le FMI pour deux ans, début avril. L'année 2023 a été, par ailleurs, la séquence d'inflexion sociale devant traduire les orientations royales énoncées depuis 2020.

Le dispositif a pris du retard. Il a fini par être mis sur pied dans certains domaines : allocations familiales, aide et prise en charge médicale, aide mensuelle de 500 DH pour les personnes nécessiteuses soit, sur la base du RSU, un total de 3,5 millions dont le tiers a été identifié comme éligible et bénéficiaire (1,2 million à la fin décembre). Reste la capacité de ce cabinet à porter encore les autres grandes réformes annoncées dans son programme et qui peinent encore à avancer. Comment expliquer ces lenteurs et le manque d'élan réformateur actuel ? L'on peut observer que cet exécutif ne fait plus référence à son programme d'octobre 2021, comme si cette plateforme avait perdu de sa pertinence.

Dans cette même ligne, aucun des trois partis de la majorité ne veille à particulariser ce qui est fait par chacun d'entre eux. De même, qui parle encore du nouveau modèle de développement (NMD) publié à la fin mai 2021 et qui devait être le référentiel des stratégies à l'horizon 2035 articulé autour de leviers de changement  ? Autre observation  : le surplomb des grands chantiers royaux qui enjambent l'agenda de la législature actuelle jusqu'à 2026; et le grand programme d'infrastructures et de développement prévu dans le cahier de charges de la Coupe du monde en 2030.

Une quête de crédibilité ?

La tâche du gouvernement actuel est de s'insérer dans cet agenda de la fin de la présente décennie, de mobiliser les ressources appropriées et de promouvoir les chantiers adéquats. Le fait-il dans des conditions optimales ? La majorité qui le compose est-elle solidaire et homogène avec une grande ferveur réformatrice ? Ce qui frappe, à mi-mandat, c'est la nécessité d'un nouveau souffle. Des ministres paraissent fourbus; d'autres quatre au moins - en ont tiré cette la conclusion de leur départ souhaité.

Des ajustements s'imposent sans doute pour ce qui est de la nature et de la dimension à donner à un cabinet Akhannouch II. Dans le même temps, il serait question d'une refonte de la structure gouvernementale en place sur des bases plus resserrées et plus homogènes autour de grands pôles.

Le congrès du PAM, prévu à Bouznika début février, peut être la première étape de cet «aggiornamento», son secrétaire général, Me Abdellatif Ouahbai ne postulant pas pour un second mandat. Pourra-t-il alors continuer à être ministre de la Justice ? L'autre allié, le PI de Nizar Baraka, tiendra lui aussi ses assises en avril - une opportunité attendue pour unifier les rangs... Ce gouvernement a sans doute besoin d'une quête - d'une reconquête ? - de crédibilité.

La valorisation du dialogue social est l'un des axes de ce redressement. La pratique qui en a été faite, au vu du traitement de la grève des enseignants, témoigne du déficit en la matière. La confiance des citoyens est aussi à l'ordre du jour : ce taux est en chute libre avec 46%, le chiffre le plus bas depuis 2008. La confiance ? Elle ne se décrète pas : elle se construit par des actes, pas avec des postures et des annonces.

 

Par Mustapha. SEHIMI / Professeur de droit (UMV Rabat) Politologue 

 

 

 

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