Il y a une indéniable réalité politique aujourd’hui. La crise du Niger est en train de rebattre les cartes de la relation entre la France et le Maghreb. Dans sa relation avec les capitales de l’Afrique du Nord, Paris considérait le Sahel et ses enjeux économiques et sécuritaires comme une justification importante dans la balance. Le Sahel était un élément constitutif du tropisme algérien de la France d’Emmanuel Macron.
Par Mustapha Tossa, journaliste et politologue
C ette vision était déjà menacée par les deux coups d’Etat militaires qui ont secoué le Mali et le Burkina Faso. Ces accélérations ont joué comme une sérieuse alerte. Mais la crise au Niger a fini par frapper ce qui était présenté comme l’un des derniers bastions de l’influence et la présence françaises. Niamey est perçue par les stratèges français comme le dernier verrou. S’il saute, c’est toute l’architecture de la présence française dans cette région qui sera remise en cause.
La gravité des enjeux pour Paris explique pour quelles raisons la France mène une politique radicale contre les putschistes et se tient prête à soutenir toutes les actions, y compris militaires, pour rétablir l’ordre institutionnel. Or, il se trouve qu’un des pays qui s’oppose ouvertement à l’agenda français dans cette région est l’Algérie de Abdelmadjid Tebboune. Pour la classe politique française, le choc est immense. Le positionnement algérien a lutté ouvertement contre les intérêts français, allant jusqu’à créer des polémiques artificielles sur l’ouverture de l’espace aérien algérien devant les avions français censés apporter une aide logistique à l’opération militaire de la CEDEAO qui se prépare contre le Niger. Pour Emmanuel Macron, le désaveu est spectaculaire. Le régime algérien sur lequel il a parié au détriment de sa relation avec le Maroc, lui donne ouvertement le coup de pied de l’âne. Le président français est allé jusqu’à prendre le risque de sacrifier ses relations avec le Maroc pour satisfaire les lubies algériens sur le Sahara. Malgré des demandes insistantes de Rabat pour que Paris adapte sa position aux nouvelles évolutions internationales sur le sujet, Emmanuel Macron fait toujours la sourde oreille.
La position française gris-clair sur cette question n’a pas encore changé. L’option de l’autonomie est l'une des options pour régler cette crise et non la solution comme le désire le Royaume du Maroc, ce qui équivaudrait à reconnaître officiellement la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Ce blocage français sur le Sahara était destiné en priorité pour le régime algérien qui semble avoir fait de cette affaire une ligne rouge dans sa relation avec la France. Emmanuel Macron avait consciencieusement accepté les enjeux de ce deal espérant obtenir en échange faveurs économiques et soutiens militaires à la France au Sahel.
Or, ce que vient de révéler la crise du Niger, c’est que si la France de Macron avait tenu sa parole en s’abstenant de reconnaître la marocanité du Sahara au risque de provoquer une crise froide avec Rabat, le régime militaire algérien a trahi la sienne après le coup d’Etat militaire à Niamey. Il préfère se mettre sous le parapluie russe et se ranger ouvertement dans le camp des pays qui combattent les intérêts français dans cette région.
Devant une telle réalité, le président Macron, d’habitude si disert sur ses passions algériennes, si prompt à expliquer, même entre les lignes, pour quelles raisons il a élaboré son pari algérien, observe un silence remarqué. Et pour cause. Comment pourrait-il continuer à justifier ses choix quand la réalité des faits les invalide de manière aussi tranchante et aussi visible. Emmanuel Macron continue aussi d’ignorer les nombreuses demandes venues des sphères politiques et diplomatiques françaises et qui l’interpellent sur la pertinence de ses choix algériens au détriment de son allié traditionnel le Maroc. Tous demandent au président de la République de rectifier le tir et de choisir une politique et des alliances qui soient en phase avec les intérêts de la France et non à contre-courant comme le montre le permanent antagonisme des militaires algériens à l’égard de la France.
Pour certains, il est temps qu’Emmanuel Macron reconnaisse ouvertement que son pari algérien s’est fracassé sur la réalité du Sahel et que ce régime algérien pour lequel il avait fait des concessions et donné des cadeaux politiques, ne vaut pas la chandelle d’être soutenu. Ce n’est qu’à ce prix que la diplomatie française pourra traiter les enjeux de cette région avec un regard dessillé de tout faux semblant, de toute naïveté ou de toute mauvaise foi.