Le 26 mai, le Hirak entamé depuis plusieurs mois à Al Hoceima a pris un tournant dangereux. Ce jour-là, les vidéos et les directs sur les réseaux sociaux filment des protestataires appelant à l’arrêt de la prière dans les mosquées d’Al Hoceima à cause du prêche du vendredi qui aurait des connotations politiques. Ce prêche qui aurait traité les protestataires du Rif de séparatistes, a provoqué des manifestations qui s’intensifieront dans la journée par des heurts entre contestataires et forces de l’ordre. La situation s’embrase avec l’ordre du procureur du Roi à Al Hoceima de procéder à l’arrestation de Nasser Zefzafi, leader du Hirak, et de ceux qui l’accompagnaient pour acte d’entrave à la liberté de religion pendant la prière du vendredi.
La liste des chefs d’accusation s’étendra jusqu’à l’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat et la préparation de complot, prononcés par le procureur général du Roi près la Cour d’appel de Casablanca, où les détenus du Rif ont été transférés. Aujourd’hui, nous en sommes à ce stade : la tension dans la ville d’Al Hoceima ne fléchit pas et le mouvement semble avoir gagné des sympathisants dans d’autres villes du Royaume, notamment Casablanca, Rabat ou Fès. De plus, Al Adl Wal Ihsane vient de dévoiler son intention de participer à la marche du 11 juin en solidarité avec le Hirak.
Alors que cela faisait des mois que le mouvement de protestation s’intensifiait à Al Hoceima, depuis le décès tragique de Mohcine Fikri, on sentait une sorte de silence radio de la part de l’Etat qui sera rompu très maladroitement par le fameux communiqué de la Majorité gouvernementale qui n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Une majorité qui va se rétracter et se fendre d’un autre communiqué pour calmer les esprits. Mais le mal est déjà fait et la confiance est rompue !
Pour preuve, la délégation ministérielle qui s’est déplacée sur place sur instructions royales, n’arrive pas à convaincre, avec toute la volonté du monde, que les chantiers lancés sont porteurs d’emplois et de prospérité pour la région avec des retombées économiques importantes. Le montant mirobolant de 10 milliards de DH investis dans le cadre du programme «Al Hoceima Manarat al Moutawassit» ne semble pas apporter une réponse à une jeunesse fougueuse en mal d’écoute. Les incidents qui émailleront cette visite portent d’ailleurs un sacré coup à l’image de l’Etat.
Avec l’arrestation des leaders du Hirak, le discours officiel va une fois encore changer, favorisant l’approche sécuritaire à l’échec de résorber le mouvement de protestation. Pis, l’opinion publique se demandait quand le Chef de gouvernement allait réagir ? Deux semaines que la presse s’amusait à le qualifier de «porté disparu» à cause de l’absence de réaction face à une situation tendue. Il est enfin sorti de son «silence», puisque «Conformément aux hautes orientations de SM le Roi Mohammed VI, il a présidé, lundi au siège de son département, une réunion élargie consacrée à l'état d’avancement des projets de développement inscrits dans le cadre du programme Al Hoceima, Manarat Al Moutawassit».
Cela suffira-t-il à mettre fin à un mouvement de protestation qui prend des proportions politiques certaines, notamment avec des manifestations à l’étranger et à l’intérieur du pays, et surtout avec le feuilleton judiciaire de «Zefzafi and co» qui va démarrer ? Se pose d’ailleurs la question de la médiation, mais avec qui si tous les interlocuteurs du Hirak sont derrière les barreaux ?
Ce lundi 5 juin; Abdelilah Benkirane, ancien Chef de gouvernement débouté et SG du PJD, fait son entrée sur la scène notamment en recevant les parents de Nasser Zefzafi à son domicile à Rabat. Pour quelqu’un qui voulait battre en retraite, les explications vaseuses de cette rencontre ne semblent convaincre personne, d’autant plus que les rumeurs font état d’une rencontre la semaine dernière entre le responsable politique et le conseiller du Roi, Fouad Ali El Himma pour désamorcer la crise. Ce dernier fera une sortie dans un média de la place pour le moins surprenante et très «personnelle». Non pas pour réfuter les informations colportées ici et là, mais pour tacler Benkirane de vouloir « peut-être maintenir des illusions, taire la vérité ou laisser se répandre de fausses informations». Autant dire que le conseiller s’est départi de sa réserve légendaire. Qui alors a la légitimité de prendre l’initiative de renouer le dialogue et rétablir la confiance dans ce fâcheux feuilleton, qui désormais inquiète les Marocains ? Pour beaucoup, seul le Roi en sa qualité de Chef d’Etat, ayant donc l’autorité et la légitimité nécessaires, mais également en tant que père de la Nation pouvant faire preuve de bienveillance et de clémence envers tous les citoyens sans distinction, pourrait apaiser les esprits et asseoir les conditions d’un dialogue serein qui devient urgent. ■
Par I. Bouhrara
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