S’il manquait une preuve irréfutable pour Emmanuel Macron d’opérer un rétropédalage sur le Maroc, elle vient de lui être fournie par la visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune en Russie. Il s’agit incontestablement d’un tournant diplomatique qui clarifie les alliances et les rapports de force dans la région du Maghreb. Le pari algérien du président français vient de voler en éclats et impose à la diplomatie française une inévitable révision de ses choix.
L’atmosphère politique entre les deux pays est devenue très chargée et vient de connaître un nouveau palier de tension après la décision présidentielle algérienne de réintégrer un couplet, très hostile à la France, à l’hymne national algérien. En effet, en se mettant volontairement sous la protection des Russes, en optant pour le choix de s’inscrire dans la stratégie de rupture politique et de défiance économique choisie par Moscou à l’encontre des Européens et des Américains, le régime algérien a ouvertement choisi son camp. Il n’est plus dans la perspective d’être considéré comme un allié de la France ou de Bruxelles, mais plutôt comme un adversaire faisant partie d’une architecture ouvertement antagoniste.
Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a marqué la diplomatie française par un tropisme algérien sans commune mesure avec ses prédécesseurs. Pour lui, le chantier de la réconciliation mémorielle avec l’Algérie, le rapprochement stratégique entre Paris et Alger, était primordial. Il voulait le réaliser à n’importe quel prix. Au prix de fermer les yeux sur les dérives lourdement autoritaires du régime algérien. Au prix, sinon de sacrifier, du moins de mettre en danger le partenariat stratégique entre la France et le Maroc. Ce que vient de faire Abdelmadjid Tebboune en Russie fait voler en éclats les espoirs français.
Le régime algérien a déclaré partager la même vision, la même stratégie de Vladimir Poutine dans la région du Sahel, à commencer par le Mali où le groupe Wagner travaille depuis longtemps et avec une forme d’efficacité, au dégagisme français de cette région. Il est certain que cette nouvelle donne ne va pas passer sans conséquences pour la diplomatie française et ses ambitions algériennes. Emmanuel Macron aura du mal à continuer à défendre la nécessité de faire pencher la balance des équilibres au profit de l’Algérie aux dépens du Maroc.
Aujourd’hui, le régime algérien a choisi d’être dans une logique de confrontation, d’animosité et de défiance avec la France, l’Europe et l’Amérique et met par la même occasion Emmanuel Macron dans une situation délicate. Peut-il continuer à défendre impunément sa politique de rapprochement avec le régime algérien ou sera-t-il dans l’obligation d’opérer une réévaluation de celle-ci, qui passe fatalement par une relance de son partenariat avec le Maroc ?
Même s’il le désire au fond de lui-même, Emmanuel Macron ne pourra pas rester les bras croisés devant les nouveaux choix du régime algérien. Sauf à subir une sorte de masochisme diplomatique, le locataire de l’Élysée se doit de clarifier sa doctrine en la matière. Il ne peut, d’un côté claironner aux côtés de Bruxelles et de Washington la nécessité d’affaiblir Vladimir Poutine pour l’obliger à envisager une solution diplomatique à sa guerre en Ukraine, et accepter en même temps que le régime algérien sert de financier à la machine de guerre russe. Il ne peut, d’un côté, continuer d’entretenir une crise froide avec le Maroc pour répondre aux contraintes politiques imposées par le régime algérien, et subir en même temps ses défis, de plus s’aligner sur ses choix politiques.
Aujourd’hui, dans les cénacles de la diplomatie française, revient sans cesse et avec beaucoup d’insistance cette interrogation qui reflète les angoisses et les craintes des milieux d’affaires français : risquer de perdre le Maroc sans avoir gagné l’Algérie est une équation perdante pour la diplomatie française. S’y maintenir relève de myopie politique. La seule porte de sortie pour Emmanuel Macron est de trouver les voies pour relancer le contact à haut niveau avec le Maroc et tenter de faire bouger les lignes de sa diplomatie sur la préoccupation cardinale du Royaume, le Sahara. Emmanuel Macron ne pourra en aucun cas faire comme si cette intimité militaire consacrée entre le régime algérien et le régime de Vladimir Poutine était un non-événement. L’ouverture sur le Maroc devient aujourd’hui une nécessité politique pour redonner à la diplomatie française une forme de cohésion et de logique.
Par Mustapha. Tossa journaliste et politologue