Après la fin de partie de Benkirane, El Othmani fragilisé ou conforté ?

Après la fin de partie de Benkirane, El Othmani fragilisé ou conforté ?

Par Mustapha SEHIMI, Professeur de droit, politologue

 

 

Assurément, il y a du nouveau dans la vie politique, avec le refus d’amendement des articles 16 et 37 des statuts du PJD. Abdelilah Benkirane, secrétaire général sortant, deux mandats depuis 2008, ne peut plus postuler pour être reconduit à la tête de cette formation islamiste.

Quelles conséquences peuvent en être tirées tant pour le statut du Chef de gouvernement actuel, Saad Eddine El Othmani que, plus globalement, pour sa majorité ? Est-il fragilisé ou est-il au contraire conforté?

Trois points doivent être relevés à cet égard : Les relations qu’il aura avec SM le Roi, ses rapports avec la majorité, enfin son double statut de chef de l’Exécutif et de très probable secrétaire général du PJD après le congrès des 9-10 décembre.

 

El Othmani / SM le Roi

 

Ces relations sont institutionnelles. L’on peut douter qu’elles enregistrent des crispations comme ce fut le cas avec Benkirane, alors qu’il était Chef du gouvernement de janvier 2012 à octobre 2016.

Le type de rapport entre le Souverain et El Othmani s’inscrit dans une conjoncture bien différente de celle de 2011. Parce que Benkirane est sorti des urnes à la tête de son parti, le PJD, alors que du côté de certains cercles du Méchouar, il était prévu que ce soit le G8, formé six semaines avant les élections législatives du 25 novembre 2011.

Il était également annoncé, sinon programmé, que c’était Salaheddine Mezouar, alors président du RNI, qui devait être nommé sur ce calcul-là à la tête de l’Exécutif gouvernemental.

C’est dire que la nomination de Benkirane contrecarrerait tout un «Programme»… Le Palais n’avait d’autre choix que d’appliquer la Constitution, laquelle dans son article 47 stipulait que le Roi nomme un Chef du gouvernement au sein du parti arrivé en tête, en l’occurrence le PJD.

Avec El Othmani, l’on a affaire à une application de la Constitution mais qui n’était pas la seule. Le Roi avait en effet d’autres options après l’échec de Benkirane à former une majorité. Lesquelles ? Une dissolution de la Chambre des représentants et donc des élections anticipées. Mais le coût politique d’une telle décision était-il supportable ? N’était-il pas très élevé, surtout après six mois de crise politique, entre octobre 2016 et mars 2017, et au surplus dans un contexte marqué aussi par les évènements d’Al Hoceima ? Refaire les élections n’aurait-il pas fait l’affaire du PJD qui aurait ravivé son discours contre le «tahakkoum» et les «résistances» s’opposant à la prise en compte du choix des électeurs et de la volonté populaire ?

En tout cas, El Othmani pose moins de problèmes que son prédécesseur. Il n’a ni la popularité ni le charisme de Benkirane. Il a un profil bas, par tempérament. Il a rapidement pris l’habit d’un «serviteur» chargé d’appliquer les orientations royales.

A-t-il toute latitude pour exercer la plénitude de ses attributions? Je pense qu’il les exercera a minima. Et puis autre chose : il doit gérer une situation de «codirection» de fait du gouvernement, Aziz Akhannouch, président du RNI étant davantage branché avec le Méchouar.

El Othmani a vite appris le code de la route, ses usages et ses procédures. Ses relations avec le Roi seront banalisées, exécutives.

 

El Othmani, gouvernement et la majorité

 

Deux questions doivent, me semble-t-il, être distinguées. La première est celle de la stabilité de ce gouvernement nommé le 5 avril dernier. En l’état, ce cabinet ira-t-il jusqu’au terme normal de la législature, à l’été 2021? C’est souhaitable, bien entendu, pour le bon fonctionnement des institutions et l’application de son programme.

Mais il faut bien relever que ce cabinet est déjà fortement affaibli et fragilisé huit mois après sa nomination. Pourquoi ? Par suite des conditions premières mêmes qui ont présidé à sa nomination.

El Othmani a été traité de Ben Arafa dans son propre parti parce qu’il a accepté des conditions refusées par Benkirane, à savoir la participation de l’USFP. Cette qualification est une forte charge contre lui. En plus, elle est injuste et pas pertinente. Mais elle a une connotation de délégitimation.

De plus, la répartition des départements ministériels minore le PJD et majore la place de ses alliés (RNI, MP, UC, USFP). Pourquoi ce traitement différent ?

La seconde question intéresse ceci : un tel gouvernement, pour quoi faire ? Pour appliquer en principe son programme. Mais quel programme ? Vous remarquerez qu’aucun ministre, ni a fortiori El Othmani, ne fait référence au programme d’investiture de ce gouvernement voté par la Chambre des représentants à fin avril 2016. Ce programme est devenu pratiquement obsolète, caduc, dépassé par la situation. Quelle situation ? Tout ce qui s’est passé depuis avril 2017 : les événements d’Al Hoceima, le blâme collectif adressé par le Roi lors du Conseil des ministres du 24 juin, les commissions d’enquête puis le rapport de la Cour des comptes, le renvoi de quatre ministres. Ce gouvernement gère au jour le jour, ballotté par les événements, sans vision pour les années à venir.

C’est encore le Roi qui a fait le constat sévère des insuffisances et des échecs des politiques publiques et qui a instamment appelé à élaborer un modèle économique et social. Où est la capacité réformatrice de ce gouvernement ? Il est à la remorque des choses ; il est décalé, faute d’une dynamique. Son discours se veut attaché aux réformes. Mais lesquelles ? La poursuite de la décompensation, le régime des retraites, la fiscalité, l’éducation, la compétitivité de l’appareil de production : voilà les grands dossiers encore en instance. Et pour les appréhender, il faut du leadership politique et le soutien populaire. Est-ce le cas ?

Les partis de la majorité seront de plus en plus confrontés aux attentes des citoyens et à leurs insatisfactions. Veilleront-ils à préserver leur solidarité et leur discipline au sein du parlement ?

 

Le double statut d’El Othmani, chef du gouvernement et Secrétaire général du PJD

 

Le schéma le plus vraisemblable est que El Othmani soit élu secrétaire général du PJD à l’issue du 8ème congrès de ce parti, les 9-10 décembre.

En principe, cette double casquette devrait conduire à une cohérence et à une unité entre les positions du parti et celles du gouvernement. Ce fut le cas de Benkirane entre 2012 et 2016. Mais je doute que cela puisse être le cas, et ce pour plusieurs raisons.

El Othmani aura à côté de lui – ou plutôt en face de lui – au sein du PJD un leader comme Benkirane qui a une stature, une légitimité, une popularité quand bien même il ne deviendrait plus qu’un militant de base de la même formation islamiste.

Le PJD est divisé entre les pro-Benkirane d’un côté, et les pro-El Othmani et ses ministres de l’autre (sauf Mostapha Khalfi). Cette division va-t-elle perdurer? Je crois que oui, parce qu’aujourd’hui, l’on a affaire à deux «lignes» au sein de cette formation islamiste.

La première est disons participationniste, gouvernementale à tout prix, se distinguant par de larges compromis. Elle est nourrie par l’addition de stratégies et d’ambitions personnelles de carrière.

Elle me rappelle la situation de l’USFP en 2002, après la fin du cabinet d’alternance d’Abderrahmane Youssoufi. Ce n’est que tardivement d’ailleurs, en 2011, que l’USFP a fait son autocritique. Et plus, le PJD d’El Othmani soutiendra cette politique de «continuité» gouvernementale et de participation et plus, il perdra son attractivité et les ferveurs d’adhésion et d’engagement des 1.600.000 voix qu’il a gagnées en 2016.

L’autre ligne est celle de Benkirane et des siens. Elle a l’avantage d’être critique aujourd’hui et plus encore demain contre l’action du gouvernement, ses politiques publiques et ses mesures. Elle se voudra gardienne du référentiel d’origine du PJD, avec ses valeurs et ses ferveurs. Elle affaiblira El Othmani en rendant peu audible son discours. Elle accrochera sans doute aussi l’intérêt des jeunes, des militants de base, des électeurs, des classes populaires aussi, toutes catégories dont les conditions de travail et de vie n’auront pas été satisfaites par ce gouvernement.

Il peut arriver qu’à terme, en 2018 ou 2019 au plus tard, El Othmani soit considéré comme un boulet encombrant pour ses alliés actuels de la majorité. Ils pourraient être tentés alors de reprendre la main, plus globalement pour se mettre en marche vers 2021 en marginalisant le PJD d’El Othmani après le PJD de Benkirane en 2017… ■

 

 

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