Azad Lusbaronian, directeur du développement d'ISART Digital, présente le programme «Video Game Creator», qui vise à former des développeurs et à soutenir l’émergence du secteur du jeu vidéo au Maroc. Dans cet entretien, il évoque les objectifs de cette formation, les partenariats locaux et l’impact futur de l’intelligence artificielle sur le développement des jeux.
Propos recueillis par K. A.
Finances News Hebdo : Le programme «Video Game Creator» vise à former une nouvelle génération de développeurs au Maroc. Quels sont les objectifs pédagogiques clés de cette formation, et comment comptezvous les adapter aux besoins spécifiques du marché marocain ?
Azad Lusbaronian : Notre école est fondée sur trois axes fondamentaux : la créativité, la technique et les aspects business. Ces trois éléments fonctionnent ensemble et constituent l'ADN d'ISART Digital depuis sa création en 2001. Pour le programme «Video Game Creator», nous adaptons cet ADN aux besoins du marché marocain en proposant une formation courte axée sur le game design, la programmation gameplay et le prototypage. La formation est structurée autour de projets, permettant aux étudiants de travailler en équipe, ce qui est essentiel dans l'industrie du jeu vidéo. Nous incluons également des notions importantes sur l'entrepreneuriat, le management et le marketing. L'objectif est de permettre aux étudiants de lancer leur propre entreprise et de travailler sur diverses plateformes comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée, le PC ou le mobile, afin d'être polyvalents dans différents environnements.
F.N.H. : Le programme se déroule en collaboration avec des institutions marocaines. En quoi cette synergie locale contribue-t-elle à enrichir l'expérience d'apprentissage des étudiants ?
A. L. : Lorsque nous collaborons à l'international, il est important de s'associer avec des partenaires locaux de confiance qui partagent nos standards de qualité internationale. L'Université Internationale de Rabat (UIR) est un partenaire de choix qui nous aide à déployer cette formation, en adéquation avec les attentes des étudiants marocains. Travailler main dans la main avec les enseignants de l'UIR apporte une coloration unique à la formation et renforce sa légitimité sur le terrain. Cette collaboration est bénéfique pour les étudiants, qui profitent de l'expertise conjointe d'ISART Digital et de l'UIR. Cultiver l'esprit de collaboration est essentiel dans les industries culturelles et créatives, et c'est le cas dès la conception pédagogique du programme. Je salue également le travail du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, ainsi que de l'Ambassade de France, qui ont rendu ce projet possible. C'est un véritable travail coopératif.
F.N.H. : Former des jeunes talents est une chose, mais les intégrer dans l'industrie en est une autre. Quelles sont les stratégies prévues pour faciliter l'insertion professionnelle des diplômés du programme ?
A. L. : Il est important de s'inscrire dans une vision globale. Former des personnes ne suffit pas; il faut également qu'elles puissent trouver du travail, des structures pour s'épanouir et créer des propriétés intellectuelles (IP). Le Maroc ne fait pas les choses à moitié et a une stratégie claire pour devenir un hub incontournable dans l'industrie vidéoludique mondiale. Cela passe par le développement d'infrastructures, la mise en place de crédits d'impôt pour attirer les studios étrangers et la création d'incubateurs pour propulser les jeunes talents. La formation est un des piliers de cette équation complexe. Avec nos 23 années d'expérience, nous contribuons à rendre cette équation concrète, permettant aux étudiants de s'épanouir dans la création vidéoludique au Maroc ou ailleurs.
F.N.H. : Le Maroc est un marché émergent en matière de gaming. Quels sont, selon vous, les principaux défis à relever pour structurer cette industrie localement, et comment le programme pourrait y contribuer ?
A. L. : Bien que le marché soit émergent, il n'est pas récent. Le Maroc a une longue histoire avec le jeu vidéo. C’est un terreau de développeurs indépendants assez dynamique. On a pu le voir encore récemment lors de la présentation du programme à l’UIR, où plusieurs développeurs indépendants étaient présents. Ce terreau de talent local ne demande qu'à être mis en avant. Il est crucial que ces talents puissent non seulement placer leurs créations sur le marché local, mais aussi penser à une portée internationale. Lorsqu’on crée un jeu vidéo, ce n'est pas suffisant de faire de jolies images ou d'avoir une bonne idée; il faut aussi avoir une vision produit du jeu, savoir comment positionner son IP à l’échelle mondiale. Il faut garder en tête qu'environ 15.000 jeux sont sortis l'an dernier sur Steam, et les journées des joueurs ne font que 24 heures. Pour se démarquer, il faut une vraie stratégie. L’ancrage culturel des jeux peut devenir un atout différenciant, permettant de mettre en lumière des univers peu exploités. Avec ces éléments à l’esprit, le «Video Game Creator» pourrait agir comme un véritable catalyseur pour les talents marocains qui participeront à cette formation.
F.N.H. : ISART Digital est une référence mondiale en formation aux jeux vidéo. Comment comptez-vous contribuer à l'émergence d'un écosystème de gaming au Maroc grâce au programme «Video Game Creator» ?
A. L. : Nous avons une relation de travail privilégiée avec le Maroc et nous nous engageons à garantir la même exigence de qualité, quel que soit le continent où nous intervenons. Lorsque nous avons formé nos premiers diplômés à Montréal en 2013, certains ont contribué à l'essor de l'écosystème indépendant local. À l'époque, il n'y avait que des gros studios, mais aujourd'hui, Montréal est reconnu pour son dynamisme en termes de studios indépendants et de créativité. Nous croyons que ce schéma peut se reproduire au Maroc, soutenu par une volonté politique forte. La présence d'acteurs reconnus comme ISART Digital rassure également les studios étrangers qui cherchent à s'installer dans le pays, sachant qu'il y a une formation de qualité sur place.
F.N.H. : Comment voyezvous l'évolution du secteur du gaming au Maroc dans les 5 à 10 prochaines années, et quel rôle ISART Digital espère-t-elle y jouer à travers ce programme et d'éventuelles initiatives futures ?
A. L. : Je suis convaincu que le Maroc deviendra un pilier économique important dans l'industrie vidéoludique mondiale. Avec la passion, le talent et la volonté des acteurs locaux, le pays s'imposera sur la scène internationale. ISART Digital sera là pour accompagner cette évolution, en apportant notre expertise et en soutenant les initiatives locales.
F.N.H. : À une époque où l’IA se développe à grands pas, comment voyez-vous son application dans la création et le développement de jeux vidéo ?
A. L. : L'IA est déjà présente dans le jeu vidéo depuis des années, notamment dans l'intelligence des personnages non jouables (PNJ ou NPC). Aujourd'hui, l'IA générative transforme complètement les capacités mises à disposition des créateurs. Elle permet d'optimiser et d'accélérer certaines phases de développement. Les métiers évoluent constamment, avec des professions qui disparaissent et d'autres qui émergent. L'IA contribue à cette mutation permanente en impactant la nature des métiers et la valeur ajoutée que l'humain peut apporter. Chez ISART Digital, nous apprenons aux étudiants à utiliser ces outils tout en les encadrant avec une charte éthique claire. L'IA est un outil supplémentaire avec lequel il faut savoir composer.