Les pratiques de communication financière sont très contrastées.
Le régulateur veut améliorer ces pratiques.
A travers la communication financière, les entreprises véhiculent une image plus ou moins fidèle aux marchés financiers. Un exercice à double objectif : communiquer sur la marque de l'entreprise, et bien entendu rechercher de nouveaux actionnaires ou la fidélisation de l’actionnariat déjà acquis. Cela permet tout autant d'affronter les aléas (les événements bons et moins bons) qui jalonnent l’existence d'une entreprise.
En Europe, aux Etats-Unis ou encore en Asie, les marchés sont constamment alimentés par l’information des émetteurs pendant et hors périodes de publication. Au Maroc, le constat est clair : nous sommes tout à fait loin d’une telle configuration.
Dans l’attente d’un cadre réglementaire finalisé, seuls quelques émetteurs s’adonnent, en bonne et due forme, à cet exercice : il s’agit des banques et de quelques entreprises. Difficile donc pour les autres de séduire des investisseurs potentiels. En effet, la majorité des sociétés cotées se limite toujours au minimum légal. «Le SMIG de la communication», comme certains observateurs préfèrent l’appeler.
D’autres émetteurs vont jusqu’à faire fi des prescriptions légales. Peu d’entre eux assurent une communication à la hauteur des attentes du marché. Que ce soit en termes de qualité, de volume ou de fréquence de l’information, ce sont toujours les mêmes entreprises qui communiquent le mieux.
«Sur notre marché, les publications financières sont aléatoires. On les retrouve soit à la fin de la période limite de publication ou même après, chose que les investisseurs ne peuvent pas accepter», déplore Badr Benyoussef, directeur de développement à la Bourse de Casablanca.
«Les pratiques de communication financière et extra-financière des sociétés cotées à la Bourse de Casablanca sont très contrastées. Certains groupes et grandes sociétés sont très avancés, tandis que d’autres émetteurs publient a minima. Néanmoins, il conviendrait d’éviter certains écueils observés sur d’autres places financières internationales et qui sont liés à la multiplication des supports d’information, des cibles, ou encore des usages, à la pléthore des critères et à la lourdeur des rapports», expliquait dans nos colonnes, Rachid Belkahia, vice-président de l’Institut marocain des administrateurs (IMA).
Une volonté d’amélioration du régulateur
C’est dans ce cadre que l’Autorité marocaine des marchés des capitaux (AMMC) a adopté un projet de modification du livre III de sa circulaire (dont la deuxième phase de consultation publique s’est terminée le 15 novembre), qui tend à s’inspirer des meilleures pratiques internationales, pour remodeler le dispositif législatif et réglementaire encadrant l’appel public à l’épargne au Maroc.
Ainsi, indiquait Belkahia, «le dispositif marocain contenu dans le projet de modification du livre III de la circulaire de l’AMMC s’inscrit en fait dans un chantier plus global qui vise à renforcer et à améliorer la gouvernance des sociétés cotées. Celui-ci repose sur la loi 43-12 sur l’AMMC, sur la loi 44-12 sur l’APE et sur les innovations contenues dans la loi sur la SA».
Pour lui, ce nouveau cadre va incontestablement renforcer la gouvernance des sociétés cotées et contribuer à créer la confiance aux deux bouts de la chaîne d’investissement et avec tout l’écosystème (marché financier, parties prenantes, société civile).
En plus de la publication d’indicateurs trimestriels, les entreprises seront désormais tenues de publier un rapport ESG. «Le dispositif spécifique à la communication extra-financière (rapport ESG : ndlr) est à l’évidence avant-gardiste et va marquer un progrès sensible par rapport à l’état de l’art actuel», explique-t-il. Parce qu’en plus des informations chiffrées et stratégiques qui donnent au produit «action» un contenu objectif, l’élément extra-financier permet à l’entreprise de délivrer une image favorable de son activité. Or, lorsque la majorité des entreprises cotées remplissent a minima leurs obligations légales envers le marché, leur demander de fournir un effort de communication extra-financière institutionnelle paraît être un luxe. En tout cas pour le moment.
Une volonté d’informer… le moins possible
La dernière étude de l’AMMC sur la qualité de l’information financière remonte à 2014. Depuis lors, la situation n’a pas ou peu connu d’amélioration (les publications trimestrielles pour les banques, en l’occurrence). Les manquements et les insuffisances persistent.
Pour Benyoussef, deux pratiques de base doivent au minimum être instaurées : il s’agit de l’établissement d’un calendrier de communication financière, annoncé en début d’année et qui va être fait tout au long de l’année, et la nécessité de publier simultanément les comptes en version anglaise. «Ce sont des choses sur lesquels les émetteurs doivent travailler et se préparer pour le faire de manière naturelle. Il ne faut pas que cela soit un effort. Garder le contact avec le marché est la base pour un émetteur coté», renchérit-il.
Ce manque de communication est aussi accentué par le refus de la plupart des émetteurs d’organiser des conférences de présentation des résultats. Un rendez-vous pourtant susceptible de revêtir beaucoup d’importance en termes d’échanges avec les analystes, journalistes et investisseurs. Sur les 10 premières capitalisations de la place casablancaise, seulement 5 ont organisé des conférences de présentation des résultats 2017, dont 3 sociétés financières. Encore moins pour les résultats semestriels.
La communauté financière est constituée globalement d'investisseurs institutionnels marocains, d'institutionnels étrangers et d'actionnaires individuels. Face à ce public segmenté et mieux informé, l'entreprise doit adapter son discours et ses outils. Certains grands groupes l'ont bien compris, d’autres moins. D’ailleurs, «les remarques des investisseurs étrangers que l’on reçoit (la Bourse de Casablanca : ndlr), à chaque fois les mêmes, sont relatives à la langue, à la visibilité sur l’information, au manque de communication et aux réunions avec les analystes, qui ne sont pas faites de manière régulière, ce qui n’est pas accepté par les marchés internationaux», souligne Benyoussef.
Bousculade
Autre point noir dans ces pratiques, une vingtaine d’entreprises attendent chaque année les derniers jours du délai légal pour publier leurs résultats, dans des supports de presse parfois presque insoupçonnables. Cette année par exemple, à 4 jours de la fin du délai légal, nous comptions 22 sociétés qui n’avaient pas encore rendu publics leurs résultats annuels. Plus encore, certaines ont attendu la fin de la deadline (31 mars) pour le faire. Par ailleurs, pour une entreprise qui souhaite garder la confiance de ses investisseurs et des acteurs du marché, émettre un profit warning est nécessaire. Cela permet d'ajuster les effets d'annonce du marché, qui peuvent se révéler trop optimistes par rapport à la réalité. Il s'agit donc d'un signe de sérieux envers les investisseurs. Quelques émetteurs s'abstiennent de le faire. Cette année encore, de grosses capitalisations ayant enregistré des écarts entre prévisions et réalisations, n’ont pas jugé utile d’émettre un profit warning.
Au final, le moins que l’on puisse dire, c'est que excellence en matière de communication financière est loin d’être atteinte. Du chemin reste à faire par les émetteurs, pour représenter fidèlement l'une des «meilleures» places financières d'Afrique et s’aligner sur les standards internationaux. ■
Trois nouvelles règles dictées par l’AMMC
Pas moins de 34 nouvelles règles seront introduites dans le cadre du projet de modification du livre III de la circulaire de l’AMMC, et ce pour améliorer le coût et le contenu de la communication financière. On en retient 3 importantes : la première porte sur l’amélioration de la pertinence des informations exigées dans les documents d’information pour les opérations financières. En clair, les modèles types seront revus et certaines opérations financières bénéficient désormais d’allègements substantiels des informations à produire.
Le régulateur veut aussi enrichir le contenu des informations périodiques afin de donner une information plus complète aux investisseurs, notamment sur les aspects extra-financiers (ESG), car l'entreprise cotée ne peut plus se contenter de fournir de simples données comptables à ses actionnaires. La concurrence forte en matière de recherche de capitaux en est la cause. Enfin, l’une des nouveautés phares est l’introduction du site Internet comme principal support de publication de l’information, plus adapté pour certaines publications volumineuses et permettant une diffusion rapide et élargie de l’information réglementée.
Par Y. Seddik