Le chantier de mise à niveau du système national de santé est en marche, comme le confirme l’adoption du projet de loi-cadre.
Il prévoit que les secteurs public et privé travaillent en parfaite synergie pour répondre de manière optimale aux importants besoins de soins des Marocains.
Entretien avec Abdelmajid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la Société marocaine de l’économie des produits de santé.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Le projet de loi-cadre n°06-22 a été adopté le 25 octobre 2022 à la Chambre des conseillers. Quels changements va-t-il apporter pour le système de la santé au Maroc
Abdelmadjid Belaïche : La loi-cadre n°06-22 est une étape primordiale pour formaliser la refonte du système de santé. Toutefois, cette étape reste nécessaire, mais insuffisante. C’est pour cette raison que cette loi-cadre doit être complétée par des lois plus spécifiques et, surtout, par des décrets d’application. A cet effet, un gros travail est en cours pour faire sortir ces lois et décrets, sans lesquels la refonte ne pourrait être opérationnalisée. C’est une véritable course contre la montre, car aucun retard en la matière ne pourrait être toléré au vu des délais déjà annoncés et des exigences royales pour une mise en place effective de ce mégaprojet.
F.N.H. : Ce projet de loi qui vise la refonte du système de santé, met l’accent sur l’amélioration de l’offre en soins et facilitera grandement la tâche des citoyens marocains. Qu’en est-il ?
A. B. : L’amélioration de l'offre de soins passe d’abord par une offre suffisante en ressources humaines. Ce qui représente à ce jour un véritable défi dans un pays où les effectifs en médecins sont insuffisants et très mal répartis géographiquement, mais aussi entre le secteur privé et le secteur public. L’Etat a compris que la couverture sanitaire universelle ne pourrait réussir sans l’implication du secteur privé à travers la mise en place immédiate de partenariats public-privé et d’achat de services auprès du secteur privé. D’ailleurs, la loi-cadre a prévu ceci dans plusieurs de ses articles. L’offre de soins comprend également des infrastructures sanitaires nouvelles ou anciennes, mais améliorées et mises à niveau. Cette foisci, et contrairement au Ramed, l’ensemble des Marocains pourront bénéficier des soins de l’ensemble des infrastructures aussi bien publiques que privées et de tous les équipements sanitaires, qu’ils soient fixes ou mobiles. Désormais, il n’y aura plus de santé à deux vitesses comme c’était le cas pendant les décennies passées, où les plus nantis des Marocains et ceux bénéficiant de l’AMO pouvaient se faire soigner dans les meilleures cliniques. Alors que les plus démunis n’avaient qu’un seul choix, celui de s’adresser à des structures hospitalières publiques «pauvres pour des patients pauvres», et par ailleurs mises en faillite par un système Ramed qui exigeait des hôpitaux des soins sans offrir une contrepartie financière. La loi-cadre a prévu que les secteurs public et privé doivent travailler en parfaite synergie et de manière complémentaire et cohérente pour répondre de manière optimale aux importants besoins en soins, de l’ensemble de la population marocaine.
F.N.H. : Dans le même sillage, qu’en est-il de l’amélioration de l’offre des médicaments et des autres produits de santé ?
A. B. : Effectivement, la loi-cadre dans sa version finale met l’accent sur l’amélioration de l’offre de soins, et notamment en médicaments. Pour cela, il est prévu de mettre en place rapidement deux agences. L’agence nationale des médicaments et des produits de santé et une autre agence totalement dédiée au sang et à ses dérivés. La mise en place d’une agence des médicaments et des produits de santé en lieu et place de la direction des médicaments est en soi une révolution. Cette agence, qui sera indépendante administrativement et financièrement, permettra au Maroc d’abandonner un modèle devenu vétuste, inadapté et qui a été malheureusement miné par de nombreux scandales au cours de la dernière décennie, à tel point qu’il a perdu la confiance des opérateurs économiques. Par ailleurs, la majorité des pays a abandonné le modèle de la direction du médicament et de la pharmacie (DMP) et adopté un modèle plus moderne des agences de médicaments, non seulement dans les pays occidentaux, mais aussi en Afrique. L’agence des médicaments sera autonome administrativement et financièrement. Ses moyens financiers lui permettront d’attirer les meilleures compétences en matière pharmaceutique, aussi bien chimique que biotechnologique, afin de mieux définir les règles de sécurité et de qualité dans le domaine de la fabrication, de l’importation, de l’exportation, de la distribution et de l’évacuation des médicaments. Ajouter à cela, le recrutement d’ingénieurs en bio-équipements pour évaluer également la qualité des dispositifs médicaux.
Quant à l’agence du sang, elle permettra de faire face à des tensions dangereuses en sang et ses dérivés que connait de temps à autre le Maroc, en améliorant davantage les conditions de collecte de sang, de son stockage et de sa délivrance à travers tous les territoires du pays. La loi-cadre de la santé engage aussi l’Etat à renforcer le développement d’une industrie pharmaceutique locale et à encourager la fabrication et l’utilisation des médicaments génériques et biosimilaires pour consolider notre souveraineté sanitaire. Ceci constituera une rupture totale avec l’ancienne approche de la DMP qui était déconnectée des intérêts supérieurs du pays, à tel point qu’elle a torpillé le contrat de performance du ministère de l’Industrie. Ce contrat visait justement la substitution des importations par la fabrication locale, en encourageant le tissu industriel pharmaceutique local et en accompagnant les investissements industriels. L’agence des médicaments et des produits de santé, avec un nouveau mode de gouvernance plus transparent, mettra certainement fin à des autorisations accordées à des laboratoires fantômes, à des autorisations de mise sur le marché (A.M.M.) à l’importation à des médicaments fabricables au Maroc, et limitera les durées des autorisations temporaires d’utilisation (A.T.U.). Enfin, la nouvelle loi-cadre 06-22 va encourager la recherche scientifique dans la pharmacie, la médecine et d’une manière générale dans les sciences de la santé.
F.N.H. : Justement, à l’ère de la transformation digitale, la numérisation du système de santé est indispensable. On parle de la mise en place d’un système informatique intégré. Parleznous en ?
A. B. : L’ampleur du projet royal de la couverture sanitaire universelle et de la protection sociale et sa complexité imposent le passage obligé par une digitalisation du système de santé pour une meilleure gouvernance du système. Cette digitalisation permettra de connecter les différents acteurs, bénéficiaires et institutions impliquées. Il s’agira de mettre en place un système informatique intégré pour la collecte, le regroupement, le traitement et l'exploitation des principales informations liées au système de santé. Dans ce cadre, les patients auront une carte électronique qui permettra de les identifier et de tracer les soins dont ils auront bénéficié, et donc de s’assurer du respect du parcours des soins coordonnés et d’éviter les redondances inutiles des soins et les dépenses catastrophiques qui peuvent en résulter. La connexion avec les médecins, les pharmacies, les structures de soins et les structures gestionnaires de la couverture sanitaire universelle, permettra de mettre en place le système du tiers payant pour les patients. Ces derniers ne seront plus obligés de payer la totalité de leurs soins ou médicaments et d’attendre le remboursement, mais de payer seulement le reste à charge qui représente 20 à 30%, voire 0% dans certaines maladies chroniques.
F.N.H. : Cette nouvelle loi-cadre englobe plusieurs aspects. Quelle est sa plus-value par rapport aux autres déjà existantes ?
A. B. : À ma connaissance, le premier projet de loi-cadre de la santé a été proposé au Conseil du gouvernement par Yasmina Baddou en novembre 2008. En réalité, ce projet a été élaboré à partir du dépoussiérage d’un projet déjà conçu par son prédécesseur, le professeur Biadillah. Les principales dispositions de cette première loi-cadre portaient déjà sur la carte sanitaire, sur la complémentarité entre les secteurs public et privé ainsi que sur des schémas sanitaires régionaux pour maintenir un équilibre spatial entre offre de soins et besoins des populations dans les différentes régions du Maroc. Ces éléments se retrouvent aujourd’hui dans la nouvelle loi-cadre, mais ont été complétés par d’autres dispositions plus importantes. Ces dernières touchent la gouvernance, qui a été totalement revue, mais aussi la digitalisation qui n’était pas à l’ordre du jour en 2008, mais qui est devenue aujourd’hui une nécessité, sans oublier la valorisation des ressources humaines et la mise à niveau des infrastructures hospitalières. Si la première loi-cadre n’a pas pu être opérationnalisée ni par l’ex-ministre Yasmina Baddou ni par ses successeurs, Houcine El Ouardi et Anas Doukkali, la nouvelle loi-cadre a en revanche bénéficié de la forte volonté royale, des grands enseignements de la pandémie du Covid-19 et d’un financement conséquent. Grâce à tous ces atouts, nous sommes tout près de l’objectif d’une santé pour tous, visé par la réforme du système de la santé.