Par M. Diao
La crise liée au coronavirus est un accélérateur de changement pour les entreprises, abstraction faite de leur taille. Nombreuses sont les entités privées, notamment les sociétés anonymes (SA), qui se sont appuyées sur cette crise porteuse de risques mais aussi d’opportunités pour opérer des changements afin de tirer leur épingle du jeu. Dans cette période de fortes turbulences économiques, la restructuration, la réorientation, le renouvellement du top management ou encore la redéfinition des missions et responsabilités des dirigeants sont autant d’options pour la SA. C’est en cela que le masterclass en ligne portant statut du mandataire social salarié, organisé récemment par l’Association pour le progrès des dirigeants (APD), est pertinent.
D’autant que l’événement virtuel a permis de circonscrire les volets juridique et fiscal des dirigeants de la SA, régie par la loi 17.95. Notons d’emblée que la complexité du statut du mandataire social salarié est tributaire de l’intervention de quatre régimes juridiques. Lors de son intervention, Nawal Ghaouti, avocate agréée près la Cour de cassation, s’est employée à préciser que le droit commercial organise le mode de gouvernance de l’entreprise. Le droit civil fixe les conditions du mandat. A cela s’ajoutent le droit du travail et les dispositifs juridiques relatifs à la fiscalité, qui traitent le mode de rémunération et des indemnités éventuelles
Dispositif légal du cumul du statut de mandataire social et de salarié
L’avocate d’affaires, qui a une connaissance très pointue des subtilités de l’arsenal juridique en lien avec l’entreprise, notamment la S.A, a attiré l’attention sur l’existence à la fois d’obstacles au régime du cumul et l’organisation ainsi que les conditions du cumul décrites dans les textes et la jurisprudence. Pour ce qui est des obstacles au régime du cumul, la nature juridique incompatible entre les régimes juridiques du mandat social et du salarié se retrouvent dans le droit du travail et le DOC (Droit).
En effet, le mandataire social est subordonnant et subordonné à l’entreprise. Le droit du travail met en évidence l’impossibilité de concevoir un lien hiérarchique à soi-même. Le mandat est un acte intuitu personae «en fonction de la personne». D’ailleurs, l’article 880 du DOC exige que «le mandant soit capable de faire par lui-même l’acte qui en est l’objet». Par ailleurs, l’organisation et les conditions du cumul dans les textes et la jurisprudence évoquées plus haut mettent en relief le fait que ni le code du travail ni le DOC ne traitent de cette question.
Ceci dit, le droit des sociétés, notamment la loi 17-95 sur la société anonyme, ne donne pas une autorisation générale du cumul (mandataire social et salarié). D’ailleurs, toutes les fonctions d’administration ne sont pas autorisées au cumul. Les membres du Conseil de surveillance sont exclus implicitement par une rémunération exclusive en jetons de présence et par leur fonction de contrôle des membres du Directoire.
L’appréciation de la Cour de cassation
L’article 43 de la loi 17-95 concerne le cas du salarié qui est nommé administrateur et pose cinq conditions de cumul (dont l’une provient de la Cour de cassation). Il s’agit d’un travail effectif salarié antérieur à la nomination et d’une tâche préalable et non postérieure à la fonction d’administrateur. Le travail doit aussi être effectif durant le mandat d’administrateur. Le nombre de salariés administrateurs est limité au tiers du CA afin d’éviter d’inféoder les administrateurs au DG, alors que ceux-ci doivent le contrôler.
Dans l’optique de transcender la complexité juridique perceptible lors des litiges (licenciement, révocation de l’administrateur), Nawal Ghaouti suggère l’élaboration d’un avenant qui tienne compte de l’aménagement du temps de travail du salarié mandataire social. L’avocate recommande d’éviter de libeller des fonctions de DG dans le contrat de travail. Pour la cinquième condition posée par la Cour de cassation, il importe de souligner que le juge social applique la loi commerciale. Celui-ci s’attèle à rechercher le lien de subordination du salarié mandataire social. En clair, le supérieur hiérarchique doit être une personne tierce à lui-même et au Conseil d’administration (CA).
«Nul ne peut se subordonner à lui-même», explique l’ancienne présidente de la Commission juridique, fiscale et sociale de la CFCIM, qui a soulevé dans le même temps la problématique liée à l’organigramme dans le cas d’espèce. L’avocate, forte d’une longue et grande expérience, est formelle : «en écartant l’article 43 de la loi 17-95, le mandataire social et salarié ne perd pas le bénéficie du contrat de travail». Néanmoins, cette disposition s’efface derrière la logique du juge social.
S’inscrivant dans une optique de contournement, certaines sociétés recrutent par le biais d’une holding ou une filiale le salarié et le nomment mandataire social dans une autre entité. Toujours est-il que cette organisation ne dilue pas la complexité, mais corse davantage la réalisation de la condition de l’effectivité des fonctions salariées sur un site différent de la société où il exerce son mandat social.
Quid du régime juridique et jurisprudentiel de la révocation et du licenciement ?
L’article 931 du DOC a le mérite de ne comporter aucune ambiguïté. Il stipule que le mandant peut, quand bon lui semble, révoquer sa procuration. Toute clause contraire est sans effet entre les parties et vis-à-vis des tiers. La stipulation d’un salaire n’empêche pas le mandant de faire usage de ce droit. Nawal Ghaouti met en relief deux conséquences majeures que sont le principe de libre révocation d’ordre public, et le pouvoir discrétionnaire du mandant (actionnaires). A noter tout de même que de possibles dommages et intérêts peuvent être évalués par le juge en cas d’abus du droit de la part des actionnaires (mandants). La loi 17-95 prévoit la révocation libre et celle qui doit reposer sur un juste motif. Il est important de préciser que la révocation libre concerne les administrateurs et le PDG, lequel peut être révoqué ad nutum (de manière immédiate, sans formalités), avec l’impossibilité de demander des dommages et intérêts si cette révocation n’est pas fondée sur de justes motifs (article 43). L’article 48 stipule de la loi 17-95 que «les administrateurs peuvent être révoqués à tout moment par l’AGO sans même que cette révocation soit mise à l’ordre du jour». Pour sa part, l’article 63 du même dispositif juridique indique «le PDG peut être révoqué à tout moment par le CA». Par ailleurs, la révocation qui doit reposer sur un juste motif concerne les DG, Directeur général délégué (DGD) et membres du Directoire. La révocation de ceux-ci, décidée sans justes motifs, peut donner lieu à des dommages et intérêts.
Différents modes de résiliation autonomes
L’articulation en droit et en pratique du licenciement et de la révocation permet de constater que les deux régimes juridiques distincts comportent des modes de résiliation différents et autonomes. En pratique, le mandataire social est remercié pour faute et révoqué immédiatement. Le motif «de perte de confiance» est utilisé. En droit, la révocation du mandataire ne met pas un terme au contrat de travail. Les articles 67 ter et 80 de la loi sur la SA stipulent que «le contrat de travail du DG ou du DGD n’est pas résilié du seul fait de la révocation».
En pratique, la révocation préalable est possible, sauf si celle-ci ne repose pas sur une faute, mais un changement de stratégie. Le contrat de travail est également résilié. Si le licenciement est tacite, la Cour vérifie les conditions du cumul et considère que le contrat de travail est «caduc» par renoncement du mandataire social à ce lien de droit (contrat de travail) et rejette la demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Notons enfin que le marché concurrentiel des dirigeants performants a conduit à un aménagement d’usage des règles de libre révocation et de faible indemnisation grâce au mimétisme du modèle américain. L’objectif recherché a été d’échapper au régime aléatoire des juges et masquer les désaccords par une démission. L’on note ainsi, entre autres, la pratique des golden parachutes, les conventions de versement de pension de retraite et les conventions de mission de prestataire.