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«La transition énergétique n'est pas un luxe pour un pays comme le Maroc»

«La transition énergétique n'est pas un luxe pour un pays comme le Maroc»

Entretien sans concession avec Fouad Benseddik, expert international en RSE, consultant indépendant (FBS Consulting- Paris) et membre du Conseil économique, social et environnemental, autour de la question du changement climatique et ses implications pour le Maroc.

Pour notre expert, la COP22 a été mise à mal dès son ouverture à Marrakech, coïncidant avec l’élection et l’annonce de Trump du retrait américain des Accords de Paris.

Le gouvernement a formalisé, sans réelle consultation des parties concernées, une «stratégie» clé en main, séduisante sur le papier, mais sans suite.

 

Propos recueillis par Y. Seddik

 

Finances News Hebdo : Tout d'abord, comment évaluez-vous la prise de conscience des décideurs marocains face aux changements climatiques, surtout depuis la COP22 ?

Fouad Benseddik : La prise de conscience de la gravité du risque climatique a besoin de lucidité. Pour en entrevoir les conséquences inéluctablement dramatiques. Elle a besoin aussi d’un cadre réglementaire incitatif, de ressources financières dédiées et d’audace pour en saisir les opportunités qui peuvent être considérables. De ce point de vue, quatre ans après la flamboyante édition de la COP22 à Marrakech, le bilan marocain est mitigé. Avec toujours cette même difficulté à garder le cap et à déployer avec une granularité suffisamment les grands engagements. SM le Roi Mohammed VI a dû en appeler à plusieurs reprises à l’adoption d’une Charte nationale pour le développement durable. Le gouvernement a alors formalisé, sans réelle consultation des parties concernées, notamment les entreprises, une «stratégie» clé en main, séduisante sur le papier mais sans suite. Le choix d’obtenir un mix énergétique majoritairement renouvelable a été une décision audacieuse, là encore impulsée par le Roi, mais l’efficience énergétique, la réduction des consommations des énergies fossiles dans les transports et l’industrie ne suivent pas. Il ne s’agit pas ici de culpabiliser les entrepreneurs, mais de montrer que la transition énergétique est un tout, qui engage la conception des produits et services, les critères et les modalités d’investissement, la politique du crédit, la fiscalité, le régime douanier, la promotion immobilière, les transports.

 

F.N.H. : Peut-on dire que la lutte contre le changement climatique a été mise en «pause» cette année, puisque toute notre attention est tournée vers la crise sanitaire ?

F. B. : La COP22 a été mise à mal dès son ouverture à Marrakech, coïncidant avec l’élection et l’annonce de Trump du retrait américain des Accords de Paris. Triste souvenir. L’année 2020 peut être regardée de plusieurs manières. Un moment de répit pour la nature; la planète a mieux respiré pendant le confinement, la biodiversité retrouvant momentanément ses droits. Pour les entrepreneurs, pour les pouvoirs publics et pour les citoyens aux prises avec les effets économiques, humains et sociaux de l’arrêt de l’activité et de la sécheresse, l’enjeu de la lutte contre le changement climatique risque en effet de s’obscurcir. Ce serait une erreur. Ce que, en Europe, en Asie, et désormais en Amérique du Nord, on appelle «le monde d’après» s’organisera en grande partie par de la relance dans de l’investissement et des restructurations dans des produits et des services à impact environnemental et social positif. La sortie de la crise sanitaire sera douloureuse pour les pays en développement à qui la monnaie hélicoptère n’est pas accessible, mais ceux qui parmi eux sauront se positionner sur les métiers et les technologies de la durabilité réussiront mieux et plus vite leur transition.

 

F.N.H. : Quels sont les défis du changement climatique pour un pays comme le Maroc ? Peut-il en tirer des bénéfices ?

F. B. : La transition énergétique et la durabilité environnementale et sociale ne sont pas une option ni un luxe pour un pays qui s’est ouvert à l’économie mondiale comme le Maroc, ce sont des impératifs. Le pays a tiré bénéfice de ses choix de spécialisation, il a été une destination phare des IDE dans la région, la pauvreté a reculé, ses équilibres macroéconomiques sont solides et ses spécialisations ont été positives dans certains secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique. Mais pour garder son attractivité, il lui faut monter en gamme en intégrant, précisément, les technologies, les services et les exigences de la durabilité. Quelques banques ont compris cette dynamique. Les grandes entreprises industrielles ont du mal à suivre. Les PME ont besoin d’appui. Ces sujets restent malheureusement hors des débats politiques.

 

 

 

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