Soraya Mahfoud, directeur de BMCI-BNP Paribas Banque Privée, nous livre dans cet entretien une lecture détaillée de l’environnement macro-économique au Maroc et du comportement des marchés financiers.
Elle nous parle également des différentes thématiques d’investissement privilégiées en cette période inflationniste.
Propos recueillis par Y. Seddik
Finances News Hebdo : Quelle lecture faites-vous de l’environnement macroéconomique au Maroc en 2022 ? Et quels sont les principaux enseignements à tirer des dernières crises ?
Soraya Mahfoud : A l‘échelle internationale, l'année 2022 a connu l'émergence d'une forte inflation, et celle-ci a affiché des niveaux jamais atteints depuis des décennies (plus de 9% aux EtatsUnis et dans la zone Euro). En effet, la reprise post-Covid de la demande étant plus rapide que celle de l'offre, celleci a conduit à la hausse généralisée et durable des prix. En outre, les tensions géopolitiques ont amplifié les pressions inflationnistes. Cette situation a eu raison tant de la croissance économique (risque de récession) que de la performance des marchés financiers (impact baissier). Elle a également obligé les Banques centrales à se concentrer sur la maîtrise de l'inflation en resserrant leurs politiques monétaires et en relevant leurs taux directeurs dans un contexte macroéconomique difficile. Le Maroc n'a pas dérogé à cette règle mondiale. Initialement importée, la hausse des prix s'est propagée et a touché la majorité des produits. L’inflation s’est établie selon la Banque centrale à 6,6%, en moyenne sur 2022.
Quant à la croissance, elle a nettement ralenti à 1,2% en 2022, sous l’effet de la sécheresse et de la détérioration de l’environnement externe. Sur le volet des comptes extérieurs, le déficit commercial s’est creusé de +57%, soit son plus haut niveau historique. Toutefois, les indicateurs post-balance commerciale ont surperformé sur l’année 2022, avec des transferts MRE et des recettes voyages qui ont atteint des niveaux exceptionnels. De ce fait, le contexte macroéconomique et des marchés financiers était particulièrement tendu en 2022, mettant les portefeuilles des investisseurs à rude épreuve. Néanmoins, les crises passées ont montré qu’investir sur le long terme à travers des portefeuilles diversifiés permettait de traverser plus sereinement ces épreuves. Il faut se rappeler que toutes les crises ont une fin et qu’avec chaque crise, de nouvelles opportunités se créent. Une réalité historique que les investisseurs oublient parfois lorsque, au cœur de la tempête, voyant leur portefeuille perdre 10%, 20%, voire 30% de sa valeur en quelques jours ou quelques semaines, ils cèdent à la panique et vendent leurs titres. Une réaction à chaud qu’il faut tenter de combattre. Bien entendu, prendre une crise de plein fouet alors qu’on vient d’investir est douloureux, mais vendre est une erreur, car c’est le meilleur moyen de manquer le rebond du marché.
F.N.H. : Comment avez-vous géré cette période de crise au niveau de BMCI BNP Paribas Banque Privée ?
S. M. : L’accumulation des incertitudes économiques et géopolitiques, conjuguée à la mauvaise performance des marchés, a rendu les investisseurs pessimistes quant à l’avenir. Dans ce contexte, la communication auprès de nos clients a été primordiale. Nous nous devons de garder la tête froide et de rassurer nos clients afin de leur éviter de réagir trop violemment et d’impacter ainsi leur investissement à long terme. En effet, c’est précisément lors des phases de pessimisme généralisé qu’il convient de se rappeler des leçons de l’Histoire. Par le passé, les points extrêmement bas de l’indice de confiance des investisseurs ont précédé un fort rebond des marchés. Cet environnement crée des conditions favorables pour ajuster les allocations de portefeuilles afin de profiter de la volatilité des marchés et des opportunités d’investissement qui se présentent, tout en veillant à maintenir un portefeuille diversifié.
F.N.H. : Avec des tensions inflationnistes qui persistent et une politique monétaire plus restrictive, comment devrait se comporter l’économie nationale cette année ? Quid des marchés financiers ?
S. M. : Selon la Banque centrale et en comparaison avec 2022, la croissance sur 2023 devrait s’améliorer sous l’hypothèse d’une meilleure année agricole. Elle passerait de 1,2% à 2,6% sur 2023. L’inflation, quant à elle, continue d’afficher des variations élevées, et elle a atteint 10% en février. Elle pourrait décélérer cette année à 5,5% en moyenne, profitant de l’effet de base 2022, mais le contexte de prix élevés dure. Pour la contenir, le resserrement monétaire a démarré en septembre 2022 et se poursuit actuellement. Il est de nature à agir sur la demande, mais ce mécanisme de transmission met du temps à avoir un réel impact. Rappelons que le taux directeur se situe désormais à 3%. Sur le volet des échanges extérieurs, il est prévu un léger recul des importations (après un bond de 40% en 2022) et un ralentissement des exportations en 2023 (après une hausse 29% en 2022). Avec des recettes de voyage en légère baisse, des transferts MRE quasi-stables, des IDE en légère hausse et la concrétisation des financements externes prévus par le Trésor, les avoirs officiels de réserves devraient s’améliorer jusqu’à 5 mois et 21 jours d’importation de biens et de services. Compte tenu des rentrées fiscales et non fiscales prévues courant 2023, le déficit budgétaire devait s’améliorer pour s’établir à 4,7% du PIB.
Sur les marchés financiers, 2022 a été une année exceptionnelle où les deux marchés (actions et taux) ont enregistré des baisses significatives. Sur le marché de la dette, la courbe des taux a fortement augmenté (plus de 150 pbs par rapport à fin 2021). Récemment, le Trésor a actionné le levier de financement à l’international à travers une levée de 2,5 Mds de dollars, profitant d’un contexte favorable, avec notamment la sortie du Maroc de la liste grise du GAFI. Cette sortie aiderait à alléger les pressions de financement sur le marché domestique et aussi à renflouer les caisses de devises. Ainsi, les niveaux de taux élevés resteraient toujours d’actualité en 2023, et les supports de taux continueraient à offrir des rendements intéressants. Après une contreperformance de 20% sur 2022, le marché actions a connu de la volatilité en ce début d’année. D’abord, il a réagi à la baisse suite à l’envolée des taux obligataires en signant -9% sur les premières semaines de janvier. Ensuite, il a repris sur un news flow positif, en lien notamment avec la pluviométrie et la sortie du Maroc de la liste grise du GAFI. Toutefois, et malgré cette légère reprise, le marché actions reste fragile avec des volumes traités modestes.
F.N.H. : Quelles sont les thématiques d’investissement que vous conseillez en 2023 (ou à courtmoyen terme) ? Et pourquoi ?
S. M. : Chez BMCI BNP Paribas Banque Privée, nous accompagnons nos clients dans la construction de leur stratégie d’investissement en fonction de leur profil d’investisseur, de leur expérience sur le marché, de leur appétence au risque et de leur horizon d’investissement. Nous proposons ainsi des allocations personnalisées et diversifiées. Ces allocations sont déclinées en s’appuyant sur la lecture des experts marchés de BMCI (Broker, Asset Manager et salle des marchés). Dans ce contexte d’instabilité économique et de volatilité de marchés, nous privilégions une stratégie qui repose sur un socle «Core», constitué de produits de taux et d’assurance-vie, avec un objectif de sécuriser un minimum de rendement. A ce socle, viennent s’ajouter des «Satellites» pour optimiser la performance globale sur l’horizon d’investissement.
Dans cette poche risquée, nous retrouvons les produits actions et diversifiés (titres vifs, OPCVM actions et diversifiés). Nous conseillons de l’implémenter de manière prudente, par palier et en multipliant les points d’entrée. Dans le cadre de la diversification, nous proposons également une offre de produits structurés à travers nos certificats de dépôt à taux révisables indexés sur des sous-jacents internationaux. Ces supports, libellés en dirhams, offrent une espérance de rendement supérieure à celle d'un placement sans risque de même durée, tout en préservant le capital à l’échéance. Par ailleurs, la réglementation offre la possibilité d’accéder à divers placements à l’étranger. Nous faisons profiter les clients éligibles de l’expertise du Groupe BNP Paribas et les accompagnons sur leurs placements à l’international, dans le respect des directives de l’Office des changes.