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Informel: «Le nouveau régime prévu par le PLF 2024 peut réduire les incitations à la fraude»

Informel: «Le nouveau régime prévu par le PLF 2024 peut réduire les incitations à la fraude»

L’intégration du secteur informel dans l’économie nationale figure parmi les priorités du Projet de Loi de Finances 2024.

Ce secteur, qui génère un manque à gagner estimé à près de 40 milliards de dirhams, constitue un obstacle majeur au développement économique et social du pays.

Entretien avec Azzelarab Zaoudi Mougani, économiste et enseignant-chercheur à l’ISCAE.

 

Propos recueillis par M. Ait Ouaanna

Finances News Hebdo : L’informel coûte cher à l’économie nationale et représente, selon une étude réalisée par Bank Al-Maghrib en 2021, environ 30% du PIB. Dans quelle mesure ce secteur impacte-t-il la compétitivité des entreprises marocaines ?

Azzelarab Zaoudi Mougani : Tout d'abord, il est essentiel de comprendre que l'économie informelle englobe des activités diverses, allant du commerce et de la réparation, au textile, au cuir, et au transport routier de marchandises, etc. Il est à noter que ses formes les plus délétères demeurent la contrebande, les pratiques souterraines au sein des entreprises formelles, telles que la sous-déclaration du chiffre d'affaires ou des effectifs, ainsi que l'informel concurrentiel, où les opérateurs choisissent sciemment de se soustraire à leurs obligations malgré la disponibilité des ressources et des structures nécessaires pour s'en acquitter. Cette variété d'activités crée un contexte complexe où l'impact sur la compétitivité diffère selon les secteurs. Néanmoins, l’influence de l'économie informelle s'étend à divers niveaux, englobant la productivité, la compétitivité, l'innovation et la stabilité économique du pays, entre autres, que nous pouvons examiner sous différents prismes :

• Pression sur la concurrence et distorsion du marché : L'existence d'une économie informelle concurrentielle exerce une pression déloyale sur les entreprises formelles. Les entreprises informelles, bénéficiant souvent d'une moindre réglementation et d'une charge fiscale réduite, peuvent proposer des prix plus bas. Cela crée des distorsions sur le marché, désavantageant les entreprises formelles qui respectent les normes et s'acquittent de toutes leurs obligations légales.

• Contraintes à la qualité, à la productivité et à l'innovation : L'économie informelle au Maroc, souvent de petite taille et sous-capitalisée, maintient des normes de qualité inférieures en raison de contraintes financières, entraînant un déficit de productivité globale. De plus, les pratiques souvent traditionnelles de l'informel entravent l'innovation et limitent le dynamisme technologique, impactant négativement la compétitivité des entreprises formelles.

• Instabilité économique : La prévalence de l'économie informelle peut entraîner une instabilité économique en raison de la vulnérabilité des petites unités de production informelles aux chocs économiques. La faible résilience de ces acteurs peut amplifier les crises économiques et rendre le pays plus vulnérable aux fluctuations du marché mondial.

• Défis en matière de formation et de qualification : Le secteur informel est souvent caractérisé par un manque de qualification formelle. Cela peut entraver le développement de compétences spécialisées nécessaires à la croissance économique et à la compétitivité dans des secteurs tels que la technologie et l'industrie.

• Conséquences sur l'emploi et les conditions de travail : Une dimension cruciale de cet impact réside dans le domaine de l'emploi. L’emploi informel représente 67,6% de l’emploi total, selon une récente étude du HCP. Cette menace résulte de la flexibilité et de l'agilité dont disposent les acteurs informels pour échapper aux contraintes du marché du travail formel. L'emploi informel, souvent précaire et dépourvu de droits et avantages sociaux, crée une dualité sur le marché du travail. Les entreprises formelles, en concurrence avec des travailleurs informels moins coûteux, peuvent être tentées de réduire les coûts en adoptant des pratiques similaires, compromettant ainsi la qualité de l'emploi et les conditions de travail.

• Impact sur la fiscalité et les recettes de l'État : L'impact financier est tout aussi significatif. Le manque à gagner fiscal, estimé à 40 milliards de DH selon une étude publiée par le CESE, représente une diminution des ressources de l'État. Ceci a des implications directes sur sa capacité à investir dans des infrastructures, à financer des services publics essentiels et à stimuler le développement économique. En payant leurs impôts et en respectant les réglementations, les entreprises formelles contribuent au bien-être général du pays, et lorsque des pans entiers de l'économie échappent à ces obligations, cela crée une distorsion concurrentielle inéquitable.

• Défis en matière d'accès aux marchés et de financement : Les entreprises informelles, souvent exclues des circuits formels d'accès au financement et aux marchés, font face à des obstacles majeurs pour croître et améliorer leur compétitivité. Les initiatives visant à faciliter l'accès aux financements et aux marchés, comme suggéré par le CESE, pourraient jouer un rôle crucial dans la réduction de cette disparité.

 

F.N.H. : En vue d’accélérer le processus d’intégration du secteur informel dans l’économie structurée, le projet de Loi de Finances 2024 prévoit d'instituer un nouveau régime optionnel d'auto-liquidation de la TVA. Que pensez-vous de cette mesure ?

A. Z. M. : Le nouveau régime optionnel d'auto-liquidation de la TVA envisagé dans le cadre du projet de Loi de Finances 2024 (PLF 2024) représente une initiative significative visant à favoriser l'intégration du secteur informel dans l'économie formelle. Cette mesure propose un mécanisme particulier qui pourrait avoir des implications positives, bien que certains aspects soulèvent des interrogations légitimes. Ce régime est conçu pour faciliter l'intégration du secteur informel en permettant aux personnes exerçant une activité soumise à la TVA de calculer elles-mêmes le montant de la TVA sur leurs achats effectués auprès de fournisseurs non assujettis à la TVA ou exonérés sans droit de déduction. En parallèle, ces personnes peuvent déduire le montant de la taxe correspondante, avec une exclusion spécifique pour les opérations d'achat de terrains et de produits agricoles. Cependant, des questions surgissent quant à l'exclusion des opérations d'achat de terrains et des produits agricoles du nouveau régime. Si cette exclusion simplifie les procédures pour de nombreuses entreprises, elle pourrait créer des lacunes potentielles dans la déclaration fiscale, nécessitant une approche plus holistique pour garantir une portée complète sans distorsions.

L'impact sur le secteur informel dépendra fortement de la communication et de la mise en œuvre de cette mesure. Une perception positive pourrait émerger parmi les entreprises informelles, voyant dans cette option une incitation à régulariser leur statut grâce à une méthode simplifiée pour calculer la TVA. Cependant, le succès de cette stratégie dépendra également de la mise en place d'autres incitations, telles que des avantages fiscaux ou un accès facilité au crédit. Le lien entre cette mesure et la lutte contre la fraude fiscale mérite une exploration approfondie. En autorisant les entreprises à déduire la TVA sur leurs achats, le nouveau régime peut potentiellement réduire les incitations à la fraude en favorisant une comptabilité fiscale transparente. Toutefois, des mécanismes de contrôle efficaces seront nécessaires pour éviter toute exploitation frauduleuse de cette option. Enfin, la révision des règles de territorialité de la TVA pour inclure le commerce électronique témoigne d'une adaptation aux normes internationales. Cela renforcerait la position du Maroc dans l'économie mondiale, faciliterait les transactions numériques et contribuerait à une imposition plus équitable.

 

F.N.H. : L’économie informelle crée un manque à gagner certain en termes de recettes fiscales et sur le volet des cotisations sociales. Quelles sont donc vos recommandations pour lutter contre ce secteur ?

A. Z. M. : La question de l'économie informelle est cruciale pour le Maroc, en raison de son impact significatif sur les recettes fiscales, les cotisations sociales et la compétitivité globale de l'économie. Selon le Centre marocain de la conjoncture (CMC), l'économie informelle représente un manque à gagner estimé à près de 40 milliards de dirhams, dépassant 20% du PIB non agricole et menaçant près de 3 millions d'emplois. Face à ce défi majeur, des recommandations stratégiques s'imposent pour lutter contre ce secteur et favoriser son intégration progressive dans l'économie formelle. Premièrement, la réduction du gap de compétitivité fiscale entre le secteur formel et informel apparaît comme une mesure clé. L'allègement de l'imposition sur le travail et les outils de production dans le secteur formel peut contribuer à rendre les entreprises légales plus compétitives, réduisant ainsi l'incitation à opérer dans l'informel pour des raisons fiscales. Cette approche pourrait atténuer l'écart de compétitivité fiscal, incitant les acteurs informels à opter pour la légalité.

Deuxièmement, la lutte contre les leviers de l'économie souterraine nécessite une approche proactive. Impliquer l'ensemble des fédérations dans la détection des fraudes peut renforcer les mécanismes de contrôle. La collaboration entre le secteur privé et les autorités peut jouer un rôle crucial dans l'identification des pratiques illégales et la mise en œuvre de mesures dissuasives. La transparence et la coopération sont essentielles pour faire face à un problème aussi complexe.

Troisièmement, le développement d'un cadre réglementaire et incitatif pour les unités de production informelles est une démarche constructive. Accompagner ces unités dans leur transition vers le formel, en facilitant l'accès au marché et en renforçant leurs capacités, peut favoriser une intégration en douceur. Des incitations financières et des mesures d'accompagnement peuvent encourager les entreprises informelles à régulariser leur statut, contribuant ainsi à l'émergence d'un secteur formel plus robuste.

Quatrièmement, la sensibilisation des consommateurs aux méfaits de l'économie informelle est un volet important de la lutte. Informer le public sur les risques liés à la consommation de produits issus de l'informel, tels que le non-respect des règles d'hygiène et la contrefaçon, peut influencer les comportements d'achat. En créant une demande accrue pour des produits et services légaux, cette sensibilisation peut renforcer les incitations pour les entreprises informelles de rejoindre le secteur formel. La promotion de l'emploi formel et de ses avantages constitue une mesure préventive. Mettre en avant les bénéfices sociaux, tels que la sécurité sociale et les régimes de retraite, peut influencer les travailleurs à préférer des emplois formels. Cela peut également jouer un rôle dans la réduction du nombre d'emplois menacés par le secteur informel, contribuant ainsi à renforcer la stabilité sociale. Enfin, la lutte contre l'économie informelle au Maroc nécessite une approche multifacette, intégrant des mesures fiscales, réglementaires, incitatives et éducatives. En combinant ces recommandations, le Maroc peut espérer réduire progressivement le poids de l'économie informelle, stimuler les recettes fiscales, renforcer la compétitivité et améliorer la qualité de vie des travailleurs.

 

 

 

 

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