Prix de transfert : La Loi de Finances 2019 exige désormais des filiales de multinationales de mettre à la disposition du Fisc, en cas de contrôle, le manuel y afférent.
Arji Abdelaziz, expert-comptable, auditeur commissaire aux comptes et président de la Commission juridique et fiscale de la Chambre française de commerce et d'industrie, nous en dit plus sur les enjeux de cette mesure qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2020.
Finances News Hebdo : Les prix de transfert de sociétés internationales, de quoi s'agit-il concrètement ?
Arji Abdelaziz : L’enjeu est important pour le Maroc. Il s’agit de rémunérer le travail fourni par les filiales marocaines de sociétés étrangères à leur juste valeur. Cela passe par les flux financiers que ces filiales échangent avec leur maison-mère et sociétés-sœurs. Il s’agit, entre autres, des marchandises vendues par la maison-mère ou les sociétés-sœurs à la filiale, des services rendus par la maison-mère ou les sociétés-sœurs à la filiale ou encore d’assistance technique, droits de marque et de licences, royalties, management fees, prestations de services de maintenance, service après-vente, marketing etc. Cela peut aussi concerner les services ou les biens vendus par la filiale aux sociétés du groupe. Si ces prix ne répondent pas au principe de pleine concurrence, la filiale s’en trouve lésée et par la même occasion le fisc est en droit de réclamer des redressements.
F.N.H. : Dans ce cadre, comment se fait alors l'optimisation fiscale ?
A. A. : Je considérerais cela plus comme étant de l’évasion, car l’optimisation vise à utiliser la loi et en profiter sans la détourner, au moment où l’évasion fiscale se fait par la minoration du chiffre d’affaires de la filiale ou la majoration des charges facturées par la maison-mère et ses filiales, qui traitent avec la filiale basée au Maroc. Elle intervient également par la mise en place d’un montage consistant à passer par un pays de transit dans lequel la fiscalité est très avantageuse. Ainsi, le groupe réalise des bénéfices réduits dans les pays fortement taxés et localise sa grande marge dans ce pays que l’on peut qualifier de paradis fiscal.
F.N.H. : Comment le fisc contrôle-t-il les prix de transfert des sociétés étrangères ?
A. A. : Le fisc marocain dispose de l’article 213 du CGI, qui lui permet de redresser les sociétés qui ne pratiquent pas des prix qui répondent au principe de pleine concurrence. Mais la contrainte de ce processus est que ce n’est pas une science exacte. La fixation des prix nécessite une réflexion approfondie de tous les intervenants sur la chaîne de valeur de la société. Ils doivent être aidés par leur expert-comptable qui va leur apporter son expérience mutualisée de différentes sociétés similaires et de plusieurs secteurs.
F.N.H. : Y a-t-il un manuel concernant les prix de transfert que les filiales des sociétés internationales doivent appliquer au Maroc ?
A. A. : La Loi de Finances 2019 exige désormais que les sociétés mettent à la disposition du vérificateur, en cas de contrôle, le manuel des prix de transfert sous format électronique. L’entrée en vigueur sera effective le 1er janvier 2020. Il ne s’agit pas de présenter quelques pages écrites à la hâte. C’est une description qui engage la société et le Groupe. Il doit être établi par le service financier de la société, ses fiscalistes et par son expert-comptable qui, lui, a le sens de l’analyse et maîtrise les besoins du fisc.
F.N.H. : Quel est le manque à gagner du fisc s’il ne resserre pas le contrôle sur les prix de transfert ?
A. A. : Avec des prix de transfert non équitables, tout le monde est perdant : la filiale en premier lieu, qui ne va pas rémunérer correctement ses ressources humaines, ses fournisseurs et ses associés hors groupe. Puis, bien évidemment, le fisc marocain, car il est censé financer à travers le budget de l’Etat les infrastructures, la formation des ressources humaines et les incentives qu’il offre aux opérateurs étrangers qui s’installent au Maroc.
F.N.H. : Les sociétés concernées peuvent-elles refuser de se soumettre à un accord avec le fisc sur leurs méthodes de calcul des prix de transfert ?
A. A. : Autant le manuel des prix de transfert est une obligation, autant l’accord préalable conclu avec l’administration fiscale reste optionnel. Nous avons noté que nos clients sont moins hésitants pour faire la démarche.
En effet, ils l’étaient plus pour la catégorisation fisc-douane, car cela revient à ouvrir les livres et l’organisation de la société aux auditeurs de l’administration fiscale. Cependant, l’enjeu encourage à profiter de cette opportunité pour éviter des redressements importants en cas de contrôle. L’APP permet à la filiale de travailler sereinement pendant quatre ans sans craindre que ses prix de transfert soient remis en question par le fisc. La Direction général des impôts garantit un traitement étanche avec le Centre des impôts. En effet, la cellule APP est rattachée à la direction de la législation, qui a une approche plus juridique que d’investigation.◆