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Fintech: «Si nous restons passifs, des milliards de dollars échapperont au Royaume»

Fintech: «Si nous restons passifs, des milliards de dollars échapperont au Royaume»

L’industrie de la fintech au Maroc est émergente. Il y a une vraie infrastructure bancaire qui pourrait drainer l'éclosion et l'explosion de ce secteur.

L'écosystème fintech en Afrique a levé plus de 2 milliards de dollars en 2021; le Maroc n’a récupéré que 0,1% de ces investissements.

Entretien avec Sofiane Gadrim, directeur des nouvelles technologies (CTO) et co-fondateur d’Atela.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Tout d’abord, quel état des lieux faites-vous de l’industrie de la Fintech au Maroc ?

Sofiane Gadrim : L’industrie de la fintech au Maroc est émergente, mais c’est très en deçà de ce que l’on pourrait attendre d’un pays comme le nôtre. Nos voisins ont compris l’importance de ce secteur qui représentera plus de 30 milliards de dollars en 2025 en Afrique; on escompte une croissance de 800% de ce secteur d’ici 3 ans. Si nous restons passifs, des milliards de dollars échapperont au Royaume. Heureusement, il y a une prise de conscience de ce retard depuis quelque temps. Des démarches sont entreprises un peu partout dans le Royaume par différents acteurs nationaux, régionaux et financiers pour résorber cet attentisme. J’en veux pour exemple la démultiplication de centres de formation et d’incubateurs comme le technopark, des programmes de financement de projets et la création d’un ministère dédié à la transition digitale. Atela a pu profiter de ces initiatives et des infrastructures dédiées aux start-up; c’est donc dans ce contexte d’écosystème naissant qu’Atela a vu le jour.

 

F.N.H. : Quelle appréciation faitesvous du niveau d’investissement dans les fintech au Maroc en comparaison avec certains pays africains (plus avancés que nous) ?

S. G. : L'écosystème fintech en Afrique a levé plus de 2 milliards de dollars en 2021; le Maroc n’a récupéré que 0,1% de ces investissements. Ce retard ne peut se justifier au regard de la place que le Maroc occupe dans le continent (rappelons que le Maroc représente dans les environs de 6,5% du PIB africain). Nous disposons de 2 mastodontes que sont la Banque Populaire et Attijariwafa bank qui ont un rayonnement dans toute l'Afrique. Il y a donc une vraie infrastructure bancaire qui pourrait drainer l'éclosion et l'explosion du secteur fintech. Ceci est une opportunité à saisir; la marge de progression étant grande, c'est donc le moment de mettre un coup d'accélérateur. C'est très bien parti avec toutes ces initiatives entreprises par les différents acteurs marocains. On voit Bank Al- Maghrib initier la création d'un sandbox permettant aux fintech d'éprouver leurs concepts dans un cadre spécifique. La Bourse de Casablanca est très active auprès de la jeunesse en effectuant des partenariats avec des universités. Enfin, les banques et autres institutions financières commencent à s'intéresser aux innovations des fintech. J’en profite pour lancer un appel aux institutions de notre pays à organiser des tablesrondes, des colloques qui regrouperaient des banques et des fintech. Cela permettrait de réfléchir sur des collaborations, comment pourrions-nous créer des synergies, et explorer ensemble les opportunités en Afrique.

 

F.N.H. : Il est clair que l’écosystème des fintech peine à décoller au Maroc. Qu’estce qui bloque selon vous ? Et comment peut-on pallier cela ?

S. G. : Je tiens à reconnaître des avancées salutaires. Peut-on mieux faire ? Oui, nous avons la chance d'avoir un grand potentiel. Ce qui bloque pour les fintech, c’est aussi ce qui bloque pour les start-up en général. Premièrement, j’évoquerais les problèmes liés à une administration qu’il faudrait alléger. Cela permettra à l’entrepreneur de se concentrer sur sa tâche, c’est-à-dire innover et créer. Je sais que des efforts sont entrepris à ce niveau, j’espère que cela continuera. Deuxièmement, parlons de la difficulté d'accès aux appels d'offres. Comment une start-up pourrait-elle être compétitive lorsqu’on lui demande de remplir 70 pages pour répondre à un appel d’offres ? Cela disqualifie d’emblée ces petites structures, bien qu’elles puissent avoir des solutions parfois plus innovantes et efficaces que des acteurs plus gros. Troisièmement, j’aimerais parler d’une problématique liée à l’acquisition de talents. Lorsque l’on parle de profils informatiques, les start-up sont aujourd’hui en concurrence avec de grosses entreprises de services du numérique (ESN). Ces dernières exercent une forme de dumping au niveau des salaires; cela fait baisser la compétitivité et désorganise le marché. Si l’on veut créer de futurs champions dans les fintech, je pense que tout se joue au niveau de la formation, l’éducation et plus d’investissements sur les porteurs de projets. C’est pour cela qu’à Atela, nous intervenons à ces niveaux-là en accompagnant et en formant nos collaborateurs sur les technologies que l’on utilise.

 

F.N.H. : Le Royaume a-t-il les moyens et les acquis pour devenir leader régional dans ce domaine ?

S. G. : Le Maroc a certainement les moyens et les acquis pour devenir le dans le domaine des fintech. Je vais même aller plus loin. Le Maroc a le devoir de devenir leader, car à défaut, il risque de perdre le leadership dans les domaines où il est déjà à la première place du podium. Les banques n’ont pas d'autres choix que d’adopter les dernières technologies dans leur process. Si elles ne le font pas, elles ne risquent pas seulement de perdre des parts du marché au Maroc, mais également à l’échelle continentale. Le Maroc a déjà un leadership dans le continent via les acteurs bancaires traditionnels. Les fintech sont un moyen d’étendre et de pérenniser cette avance. Je crois que c’est une question de volonté et de vision. Ceci passe par le renforcement et le support des fintech à l’échelle nationale. C’est un peu comme le football. C’est parce que la Botola Pro est compétitive que nous avons pu gagner les 2 coupes continentales.

 

F.N.H. : Pour vous, comment la fintech peut-elle aider à promouvoir l’inclusion financière dans le Royaume ?

S. G. : La fintech a les moyens de faire progresser l'inclusion financière en offrant aux clients des moyens rapides, pratiques et abordables d'utiliser les services financiers. Nous devons exploiter la puissance de la technologie pour la mettre au service de l’inclusion financière. La fintech inclut des clients traditionnellement non desservis dans le système financier grâce à des innovations telles que le mobile money, les paiements numériques, la notation alternative du crédit ou encore la blockchain. Par exemple, en raison des coûts élevés et des longues distances, les services bancaires traditionnels sont hors de portée pour de nombreux Marocains habitant dans les villages et les petites villes, leur interdisant l'accès à tout service financier formel. Mais cette population non bancarisée peut être atteinte grâce à la technologie des communications mobiles et aux plateformes de paiement numérique, ce qui permet de combler efficacement le fossé et de fournir un accès facile à des services financiers abordables et fiables par le biais de téléphones et d'autres interfaces numériques. Par ailleurs, l'utilisation de la fintech comporte également des risques importants, notamment liés à la confidentialité des données, à la protection du consommateur et à la cybersécurité. Les sociétés de technologies financières et les décideurs doivent comprendre ces risques et prendre les mesures appropriées pour les atténuer.

 

F.N.H. : La technologie est aujourd’hui un must pour plusieurs secteurs d’activité. Quelle place prend-elle réellement dans le monde de la finance ?

S. G. : Le développement des technologies a permis une forte amélioration de toute la chaîne de valeur du secteur financier. Ces technologies ont permi à des fintech comme Atela de créer de nouveaux produits financiers de qualité de manière agile. L'essor de l'open-source et du cloud a permis d'innover rapidement et à moindre coût. Ces hautes technologies sont devenues accessibles, les machines disposent de puissances de calcul phénoménales. Toutes ces révolutions technologiques ont amené à l’émergence spectaculaire des fintech. La data est la matière première des fintech. Elles la consomment et la produisent en même temps; on parle ici de Big data. Nous devons exploiter la puissance de la technologie pour la mettre au service de l’inclusion financière. Vu qu’une fintech est amenée à manipuler une grande masse de données structurées ou non, elle se doit de s’outiller d’infrastructures de stockage et de systèmes permettant le traitement de ces données pour les collecter, les traiter et ensuite les analyser.

 

F.N.H. : Vous êtes cofondateur d’Atela qui offre plusieurs solutions pour le secteur financier. Parlez-nous en.

S. G. : Atela est une fintech basée sur Agadir. Nous sommes spécialisés dans le développement d’applications pour les marchés financiers. Pour la genèse, mon co-fondateur Abdelkbir et moimême sommes des Marocains issus de la diaspora. Nous avons décidé de venir nous installer dans notre terre-mère pour y investir et créer un centre d’expertise dans les technologies financières. Nous avons pu constater que la région disposait d’un vivier de talents avec lesquels nous travaillons aujourd’hui. Nous avons la même mission, la même vision, relever ensemble les défis qui s’imposent au Maroc dans ce secteur. Pour cela, nous opérons à plusieurs niveaux, à commencer par l’éducation. En effet, investir dans les marchés financiers nécessite une certaine familiarité avec les acteurs et les techniques d’investissements. Nous avons développé des applications éducatives qui permettent aux étudiants d’apprendre et de simuler le comportement des marchés. L’objectif également est de sensibiliser sur l’importance de l'épargne et d’apprendre les notions de diversification. Notons par exemple que l’investissement et l’épargne sont enseignés à des élèves de primaire dans certains pays. Ensuite, il y a les outils de trading. Il est effectivement assez compliqué pour un particulier de mettre en place une infrastructure solide pour gérer son portefeuille. Souvent, de tels outils sont l’apanage des institutions. Chez Atela, nous avons développé des applications de type SaaS. Ces outils s’adressent à des institutions financières en leur proposant des modules personnalisés qui leur permettent de tester rapidement des hypothèses, les alléger de la lourdeur du traitement des données et du codage de certaines briques. Enfin, pour la Data, nous avons développé des interfaces de programmation d'applications (API) pour accéder à des données historiques des marchés financiers d’une manière normalisée. La mise en place de cette solution permettra l’émergence d’autres fintech qui pourront s’appuyer sur une accessibilité facile des données pour entrer dans ce marché. Notre objectif est donc de contribuer à une meilleure inclusion financière. 

 

 

 

 

 

 

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