La 5ème édition du Baromètre de l’industrie financière africaine réalisée par Deloitte et AFIS révèle un regain de confiance sur les marchés locaux, malgré la volatilité et les obstacles persistants à l’intégration financière du continent. Le secteur mise sur une discipline budgétaire renforcée, une meilleure expérience client et une gestion des risques modernisée, portée par l’essor de l’intelligence artificielle. Frédéric Maury, DG délégué d’AFIS, et Ziad Baddou, Directeur Deloitte Conseil Maroc, co-auteurs dudit baromètre, nous en donne les détails. Entretien.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Que retenir de l’édition 2025 de l’AFIS ? Quelles avancées et quels défis restent-ils encore à relever pour booster l’industrie financière africaine afin qu’elle réponde aux besoins des différents acteurs économiques du continent ?
AFIS-Deloitte : L'année 2025 marque une période de stabilisation et de transformation pour l'industrie financière africaine. Les avancées sont significatives à plusieurs niveaux. Sur le plan économique, la stabilisation de l'inflation a offert une visibilité accrue aux acteurs économiques. Cette stabilité se traduit par une confiance renforcée, comme en témoigne la note de confiance impressionnante de 8/10 attribuée par les dirigeants du secteur que nous avons interrogés. Les progrès technologiques sont aussi notables, avec des avancées en matière de digitalisation. Les services financiers ont considérablement évolué, avec le développement du mobile banking, des plateformes électroniques et des innovations dans la gestion des paiements. Cette transformation digitale se reflète concrètement dans les résultats financiers: plus de 80% des dirigeants constatent une hausse de leurs revenus, concernant aussi bien les banques traditionnelles que les assurances et les fintechs. Pour autant, les défis sont nombreux. Le premier, c’est la taille des acteurs africains de l’industrie financière. Comme l’a rappelé Jérémy Awori, le CEO d’Ecobank, pendant AFIS 2025, «les 100 premières banques détiennent ensemble 126 milliards de dollars de capitaux, soit moins que Citigroup à elle seule (175 milliards de dollars) et bien moins que les grandes banques chinoises (300 à 500 milliards de dollars)». Ensuite, parmi les autres défis économiques, il faut noter que la volatilité des marchés des capitaux persiste, freinée par la persistance des défis structurels et la forte exposition aux flux d’investissements étrangers. Enfin, le continent gagnerait à développer l’intégration financière à travers l’harmonisation réglementaire et les régimes de change. Des projets ont été lancés dans ce sens, mais ils nécessitent une convergence pour progresser efficacement.
F. N. H. : Le baromètre de l’industrie indique que les banques africaines se concentrent moins sur la simple croissance et plus sur la rentabilité. Qu'est-ce que cela change concrètement pour les clients et pour les stratégies des banques ?
AFIS-Deloitte : En effet, selon les conclusions de ce baromètre Deloitte - AFIS, dont le rapport final sera publié en janvier 2026, la période récente a été marquée par une inflexion stratégique pour les banques africaines. Elles passent d'une logique de croissance pure à une approche centrée sur la rentabilité et l'efficacité opérationnelle. Cette mutation se traduit par des investissements plus sélectifs et une discipline budgétaire renforcée. Les chiffres sont éloquents: 46% des acteurs priorisent désormais la rentabilité, et 85% en font une priorité stratégique. Il faut noter que c’est beaucoup moins le cas pour les assureurs, pour qui la croissance sur un marché encore peu développé reste prioritaire. Les banques concentrent aussi leurs efforts sur l'expérience client, vue comme un facteur de différenciation important sur un marché très concurrentiel. La conformité et la gestion des risques restent centrales, 66% des dirigeants interrogés par AFIS et Deloitte les plaçant au cœur de leur stratégie.
F. N. H. : L'intégration financière en Afrique est difficile, car les pays n'ont pas les mêmes règles. Comment peut-on rendre les règles de change plus similaires entre les pays africains, sachant que 87% des institutions trouvent ce point urgent ?
AFIS-Deloitte : Jules Ngankam, le patron d’African Guarantee Fund, a eu cette analyse pendant l’AFIS : «Plus de 40 devises et des règles fragmentées; ce patchwork représente une double imposition sur l'investissement: coût et risque. L'unification libère les capitaux». On ne saurait dire mieux. Pour renforcer l’intégration financière, il faut renforcer le rôle des institutions régionales (comme l’UEMOA ou la CEMAC) en centralisant la politique de change avec des règles partagées. Il est également nécessaire de mettre en place un cadre continental de convergence réglementaire en définissant des principes communs (convertibilité partielle, gestion prudente des réserves, flexibilité graduée) et introduire des normes minimales de transparence, de reporting et de supervision des flux transfrontaliers. Il faut aussi encourager le rapprochement entre Banques centrales : accords de swaps régionaux, partage d’informations sur les réserves, cadres de gestion des flux de capitaux. La promotion de l’interopérabilité des paiements est également fondamentale pour le développement de l’industrie financière et pour réduire la dépendance au Dollar ou à l’Euro. Les avancées de PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System) en la matière sont essentielles.
F. N. H. : Les technologies comme l'intelligence artificielle (IA) sont vues comme la clé pour améliorer les services bancaires. Pourtant, l'étude montre que les banques manquent d'infrastructures solides et de personnel qualifié. Comment les institutions peuvent-elles utiliser l'IA de manière efficace et en toute sécurité ?
AFIS-Deloitte : L’utilisation des technologies de pointe comme l’IA requiert des prérequis technologiques et règlementaires. Le premier de ces prérequis c’est le recours à grande échelle au cloud. Il demeure limité en Afrique pour diverses raisons (souveraineté de la data, règlementation…), et plus largement des infrastructures et des capacités techniques qui restent insuffisantes. Ensuite, la data doit être disponible et fiable. Enfin, il faut un cadre réglementaire permettant de sécuriser le déploiement de l’IA dans un contexte légal évolutif. La mise en place de ces prérequis vient également faciliter la mise en place de dispositifs de cybersécurité plus performants.
F. N. H. : Vous notez une situation étonnante : les acteurs financiers locaux et panafricains sont de plus en plus confiants en l'avenir, mais les investisseurs étrangers, eux, le sont moins. Pourquoi cette différence ?
AFIS-Deloitte : Le niveau de confiance global affiché par l’ensemble des acteurs de l’industrie reste élevé, mais il est vrai qu’il est en recul pour les acteurs internationaux. La note de confiance pour les acteurs panafricains est ainsi de 8.44/10 contre 7.45/10 pour les internationaux (-0.66). Ce n’est pas réellement une surprise : depuis une dizaine d’années, plusieurs groupes bancaires internationaux ont réduit leur présence en Afrique. Cela a permis à de nouveaux acteurs locaux d’émerger.
F. N. H. : Que doit faire le secteur pour rendre les marchés financiers africains moins volatils et moins dépendants des décisions des investisseurs étrangers qui peuvent partir rapidement ?
AFIS-Deloitte : Pour réduire la volatilité des marchés financiers africains, l’amélioration de l’environnement et du climat des affaires et une intégration plus forte des marchés africains sont essentielles. Sur ce dernier volet, le projet de l’AELP (African Exchanges Linkage Project) va dans la bonne direction, même si 59% des financiers sondés sont sceptiques quant à l’impact de ce projet. Ensuite, il faut parvenir à développer la collecte de l’épargne et son orientation vers les marchés financiers locaux. Comme il a été souligné à de nombreuses reprises pendant l’Africa Financial Summit à Casablanca, les capitaux existent en Afrique mais ne sont pas orientés vers les endroits productifs, soit pour des raisons réglementaires,