Dans le cadre du 16ème Colloque international des finances publiques, Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume, est revenu sur les enjeux de la coopération Maroc-France en la matière, les défis auxquels le Maroc fait face dans un contexte économique et géopolitique mondial controversé, ainsi que sur les mesures pour une meilleure gestion des finances publiques.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Dans un contexte encore marqué par la récente visite d'État du Président Emmanuel Macron, à l'invitation de S.M le Roi Mohammed VI, peut-on considérer que ce colloque vient à point nommé ?
Noureddine Bensouda : Effectivement, ce 16ème colloque survient juste après la visite du chef de l'État français, Emmanuel Macron, et met en évidence les liens profonds que le Maroc entretient avec la France, notamment dans le domaine spécifique des finances publiques. Nos relations avec le ministère de l'Économie et des Finances français, en particulier avec la Direction générale des finances publiques, nous permettent d'échanger sur des questions clés, telles que la gestion publique, les comptes publics et la fiscalité, qu'elle soit d'État ou celle des collectivités territoriales.
F.N.H. : Les finances publiques sont confrontées à de nombreux défis (soutenabilité de la dette, déficits budgétaires, pressions accrues sur les dépenses) exacerbés par la crise de la Covid-19, les conflits géopolitiques et les défis climatiques. Dans ce contexte, l'idée de restructuration relèvet-elle d'une démarche de rupture ou d'une continuité du modèle de gouvernance des finances publiques au Maroc ?
N. B. : Nous vivons dans un monde connecté, où chaque changement international impacte notre économie. Les crises successives - Covid-19, crise économique de 2008, tensions géopolitiques - influencent les prix des matières premières et, en conséquence, notre balance des paiements et notre budget. À cela s’ajoutent des défis nationaux comme le stress hydrique et le changement climatique, sans oublier les objectifs de développement durable de l’ONU qui s’imposent à tous les États. Dans cette ère d'incertitudes, il est primordial d'assurer la stabilité économique et financière pour soutenir nos opérateurs économiques et nos citoyens. Au Maroc, l’État joue un rôle central dans l’investissement, notamment par le biais des entreprises publiques et des collectivités territoriales, tout en assurant une protection sociale essentielle pour les citoyens les plus vulnérables. Notre orientation vers un État social, avec des mesures telles que l’aide aux défavorisés et le soutien à l'acquisition de logements, témoigne de notre engagement à répondre aux besoins croissants en éducation, santé et ressources en eau. Toute cette pression sur les finances publiques appelle à une gestion où chaque acteur doit contribuer, dans le respect d’un contrat social clair et transparent. Au niveau des recettes, ceux qui ont la capacité de contribuer le font; au niveau des dépenses, elles soutiennent les opérateurs économiques à travers les marchés publics et la population. De plus, l’État reste un employeur majeur, avec la création de nombreux postes chaque année pour accompagner l’insertion des jeunes, véritable force du Royaume. Cette dynamique doit se lire dans le secteur public comme dans le privé, de sorte que s'il y a une bonne complémentarité de ces secteurs, s’ensuivra la création de richesse et tout le monde pourra bénéficier des fruits de la croissance.
F.N.H. : Concernant les marchés publics, il ressort d’analyses d’experts que l’accès pour les PME et TPE reste difficile. Quelle est votre vision à ce sujet ?
N. B. : La réforme des marchés publics de 2023 vise justement à soutenir les PME, TPE et coopératives. Elle prévoit une sous-traitance par les grandes entreprises obtenant des marchés publics. Bien que la mise en œuvre puisse être progressive, nous espérons une participation accrue de ces entreprises. La notion d’égalité des chances, inscrite dans notre Constitution, prend tout son sens ici. Nous veillons à ce que cette volonté de l’État, déclinée par le gouvernement, soit appliquée sur le terrain. Notre rôle est de conseiller et d’accompagner les différents intervenants pour garantir que cet objectif d’inclusion soit atteint.
F.N.H. : En juillet 2023, la loi 69-21 sur les délais de paiement pour les entreprises a été modifiée. Quel bilan pouvez-vous dresser aujourd'hui ?
N. B. : Les premiers résultats sont positifs, avec une réduction des délais de paiement et une traçabilité améliorée grâce à notre système d’information. Cependant, le processus de certification des travaux en amont reste un point d’attention. Nous collaborons avec les fédérations pour renforcer la transparence tout au long du processus, car notre mission est de garantir que la législation soit respectée et que les entreprises ne subissent plus de retards indus.
F.N.H. : Au regard de votre expertise, quel est l’état de santé actuel des finances publiques du pays ?
N. B. : Les finances publiques sont éminemment politiques; elles traduisent des orientations, des trajectoires. La gouvernance doit allier vision et mise en œuvre, et cela repose sur une collaboration orchestrée entre les différents acteurs. Parfois, des décalages apparaissent entre la stratégie nationale et la mise en œuvre locale, mais notre travail est de réduire ces écarts pour que chacun contribue efficacement. Nous observons une évolution positive, avec une prise de conscience accrue de l'importance de la contribution pour financer les grands projets du pays. Du côté des ministères et collectivités, il devient également essentiel d’optimiser l’exécution des budgets, car chaque budget non utilisé représente une opportunité perdue. Etant à la croisée des chemins, car présente dans toutes les structures ministérielles et territoriales, donc pratiquement tous les flux transitent par nous, notre mission est de sensibiliser, d’accompagner et de marteler sur la gestion du temps. Parce qu'un service public ne vaut que par sa concrétisation, mais le plus rapidement possible. Quand le gouvernement a décidé de soutenir la population pour acquérir des logements, le fait que cela devienne palpable avec des virements ou des versements effectués dans les meilleurs délais, concrétise le contrat social et répond aux attentes de la population. Le plus important, c'est donc l'exécution.