L'année prochaine, le gouvernement marocain sera confronté à la gestion de priorités budgétaires complexes, avec des besoins de financement conséquents.
Des besoins qui seront couverts par diverses sources de financement, mais nécessitant une gestion prudente de la dette. Explications
Par Y. Seddik
Dans les semaines à venir, le gouvernement sera confronté à la complexe tâche d'élaborer et de dévoiler les schémas budgétaires prévus pour 2024. L’objectif sera de renforcer l'équilibre budgétaire et créer les marges nécessaires pour donner vie à une multitude de projets de développement. Des priorités clairement inscrites dans les orientations du PLF 2024. Néanmoins, cette mission s'annonce tout sauf simple, car le pays doit jongler avec une série de priorités ambitieuses et des facteurs économiques complexes et exceptionnels. En haut de la pile des priorités, le vaste programme de reconstruction de 120 milliards de dirhams, destiné à panser les plaies des régions dévastées par le séisme du 8 septembre dernier.
Le financement de ce grand programme sera assuré à partir de crédits alloués du budget général de l’État, de contributions des collectivités territoriales et du Compte spécial de solidarité dédié à la gestion des effets du tremblement de terre, ainsi qu’à travers des dons et la coopération internationale. Le gouvernement s’est déjà vu accorder par le Fonds monétaire international (FMI) un prêt de 1,3 milliard de dollars en vue, entre autres, de financer cette urgence, alors que l’activation de la ligne de crédit modulable de 5 milliards de dollars demeure toujours un scénario probable d’ici la fin de l’année.
Selon les économistes de la Banque mondiale, ces événements peuvent entraîner une période de ralentissement économique à court terme et une augmentation de l'endettement à moyen terme pour financer la reconstruction. Les données montrent que la dette publique a tendance à augmenter après une catastrophe, tandis que la croissance économique connaît une baisse temporaire. «La dette publique a tendance à s’accumuler après une catastrophe (vraisemblablement pour financer la reconstruction). La croissance de la dette publique bondit de près de 2 points de pourcentage l’année de la catastrophe, de près de 4 points l’année qui suit, et d’environ 3 points de pourcentage au cours des années 2 et 3 qui suivent», soulignent les économistes de la Banque mondiale.
Précisons que ces conclusions se basent sur des catastrophes ayant causé des dommages majeurs (supérieurs à 1% du PIB), et l'impact précis du récent séisme au Maroc est encore en cours d'évaluation. Projet capitalistique, la généralisation de la protection sociale est un autre pilier majeur de l'agenda gouvernemental. Cette extension exige des investissements considérables dans les programmes de sécurité sociale, impactant ainsi les finances publiques. Le coût estimé pour la généralisation de la protection sociale à horizon 2025 est de 51 milliards de DH annuellement, financés à 50% via le budget général de l’Etat. Ce n’est pas tout. Le Maroc doit également faire face à l'incertitude liée à une possible hausse des prix des matières premières sur les marchés internationaux. Cette volatilité pourrait mettre sous pression le budget de l'État, en particulier si les coûts d'importation de l’énergie s'envolent. Qui plus est, le calendrier de décom
pensation reste encore flou avec la conjoncture actuelle. L'année 2022 a déjà démontré comment le dérapage inflationniste a pesé sur la Caisse de compensation. Enfin, le Maroc va co-organiser avec l’Espagne et le Portugal la Coupe du monde de la FIFA en 2030. Bien que cette perspective puisse ouvrir la porte à des retombées économiques à long terme, l'organisation d'un événement d'une telle envergure nécessite des investissements substantiels. Selon les calculs du gestionnaire d’actifs Sogécapital Gestion, la part du Maroc dans ce budget d’organisation devrait se situer aux alentours de 5 à 6 milliards de dollars (soit entre 50 – 60 milliards de DH). Le coût total de construction des stades et centres d’entrainement devrait être supporté intégralement par l’État dans son budget sur l’horizon 2024-2030 : soit une enveloppe de 25 milliards de DH.
Toutefois, «il ressort de nos analyses que le solde budgétaire pourrait se détériorer légèrement, mais que le financement devrait se faire sans pressions supplémentaires sur les finances publiques. En revanche, nous devrions enregistrer un creusement à court terme du déficit du compte courant en raison de l'augmentation des importations de produits finis et semi-finis. Cette tendance devrait se renverser à moyen long terme grâce notamment à l’augmentation des recettes touristiques», explique l’Asset manager. Pour répondre à ces besoins financiers colossaux, l’État dispose de la possibilité d’emprunter, pour une période déterminée, auprès des emprunteurs nationaux (banques, établissements financiers, particuliers…), notamment en émettant des bons du Trésor et des obligations, dont la maturité varierait entre 13 semaines et 30 ans, parfois avec des montages spéciaux. Ou auprès d’emprunteurs internationaux, qu’ils soient bilatéraux (États) ou multilatéraux (partenaires techniques et financiers et institutions financières internationales, tels que la Banque mondiale ou le FMI), ou sur le marché international et les créanciers privés, sur lequel les conditions d’octroi s’assouplissent comparativement à l’année dernière.
Pour Attijari Global Research, «nous restons convaincus que l’offre du Trésor en bons du Trésor devrait rester maîtrisée durant le T4-2023, en marge de la situation favorable des finances publiques et de sa nouvelle orientation vers les financements extérieurs. Néanmoins, nous restons attentifs aux besoins du Trésor à court terme dans le cadre du déploiement du programme d’urgence de réhabilitation des régions sinistrées par le tremblement de terre du 8 septembre dernier». Au final, le Maroc se trouve face à un défi de taille, alors qu'il cherche à rétablir l'équilibre budgétaire et à financer ses projets de développement. Dans cette configuration, la gestion prudente de la dette, la mobilisation de financements extérieurs et la gestion efficace des dépenses publiques joueront un rôle déterminant pour atteindre les objectifs ambitieux du PLF 2024. Ce sera un test majeur pour la stabilité financière du pays, alors qu'il navigue dans un contexte économique de plus en plus complexe.