Réaliser un taux de croissance moyen de 5,5% au cours des dix dernières années est certes une prouesse pour l’Afrique. Une croissance qui, au demeurant, reste insuffisante pour un continent, dont les ambitions et les défis à relever sont importants aussi bien en termes de projets sociaux qu’en termes d’infrastructures.
Tous ces défis ont pour pierre d’achoppement la problématique du financement, surtout dans une logique où le développement durable de l’Afrique ne peut provenir que de ses propres ressources. Tel un serpent de mer, le déficit en matière de financement des projets vitaux (eau, énergie, transport etc.), suscite des débats houleux. La sempiternelle question qui se pose : quels leviers de financement de projets en Afrique ?
Le dernier débat en date est celui initié par le Club Afrique développement du Groupe Attijariwafa Bank, ce lieu de rencontres et de réflexion dédié à la communauté des affaires engagées en Afrique. Il succède à ceux opérés en Côte d’Ivoire, au Mali, au Cameroun et au Sénégal. Plus de 200 rendez-vous d’affaires ont été programmés sur deux jours (26 et 27 octobre), en particulier dans les secteurs des énergies renouvelables, du commerce et de la distribution, de la chimie-parachimie, de l’agro-industrie et de la pêche, du BTP et de l’immobilier.
A cette occasion, un panel de haute facture dédié aux infrastructures s’est attelé à débattre de la problématique du financement, qui tient en otage le développement social de tout un continent.
Dans son allocution, Youssef Rouissi, Directeur général adjoint en charge de la banque de financement et d’investissement du groupe Attijariwafa bank, rappelle les trois défis majeurs qui guettent le continent. Le premier est celui énergétique dans la mesure où l’Afrique importe 60% de ses besoins, le deuxième est alimentaire, et ce bien que 65% de ses terres soient arables. En cause, le changement des habitudes des consommateurs, la croissance démographique etc., qui se traduisent par des besoins additionnels en alimentation. Le dernier défi concerne l’urbanisation croissante (une hausse de 9 millions d’habitants est prévue d’ici 2040). C’est dire que dès à présent, les villes africaines doivent se doter d’infrastructures adéquates.
Pour un besoin de financement de 200 Mds de dollars par an, l’Afrique ne mobilise que la moitié de ses besoins, soit 100 Mds de $.
«Face à des besoins aussi importants, le continent africain devra augmenter son autonomie financière par le biais de la mobilisation des ressources longues, le développement du marché institutionnel, le PPP, la promotion des marchés de capitaux, l’encouragement des fonds d’investissement», rappelle Y. Rouissi.
L’éducation financière fait défaut
En brossant la problématique du financement dans le continent, Lamia Merzouki, DGA à Casa Finance City, évoque deux obstacles majeurs : le premier est relatif à l’environnement des affaires peu fluide mais aussi peu prévisible. Le deuxième a trait à la grande fragmentation de l’économie africaine. D’où l’enjeu d’aller vers plus d’intégration financière.
«L’adhésion du Maroc à la CEDEAO est très bonne en soi», annonce-t-elle. Elle considère que la société financière africaine est intermédiée à 95% (les crédits bancaires augmentent plus vite que la croissance économique). Et c’est là où le bât blesse. Elle étaye ses propos par le financement des marchés de capitaux, qui représente à peine 5% du total.
Ces marchés sont certes en essor, mais leur contribution reste limitée. Idem pour le capital investissement qui ne concourt que modestement.
«Dans une Afrique plurielle, les mécanismes et outils de financement diffèrent d’un pays à l’autre», rappelle L. Merzouki qui ne souhaite pas loger tous les pays africains à la même enseigne.
A son tour, Badr Benyoussef, directeur de développement à la Bourse de Casablanca, rappelle à juste titre le rôle qu’est appelé à jouer la Bourse dans le financement économique, mais s’indigne contre le tissu économique qui n’est pas encore conscient de ce rôle.
«On ne fait pas l’effort pour éduquer les entreprises afin que les dirigeants puissent utiliser le levier de la Bourse à bon escient». En matière d’éducation financière, l’Afrique est encore loin !
«La société africaine et les marchés financiers africains sont deux mondes qui ne se parlent pas : d’où l’effort à fournir pour les rapprocher», conclut B. Benyoussef.
A noter que cette mission s’est clôturée par la visite de Casablanca Finance City. Le périple est loin d’être terminé, la prochaine escale est prévue au Gabon, le 13 décembre, autour des banques de projets d’investissement du pays. ■
S. Es-siari