Pour Youssef Baghdadi, président du Directoire de Bank Assafa, plus important que la course aux chiffres, le secteur doit veiller au respect de l’éthique, gage de confiance et de succès de la finance participative auprès du public.
Finances News Hebdo : Plus de deux mois après le lancement de la banque participative au Maroc, quel retour d’expérience pour Bank Assafa ?
Youssef Baghdadi : Nous avons démarré la banque fin juillet, puisque nous avons au préalable mené une campagne de communication et plusieurs actions pour répondre aux attentes de la nombreuse clientèle qui demandait d’abord à avoir l’information. Nous avons eu beaucoup de curieux qui cherchaient d’abord à comprendre en quoi consistait la banque participative. 95% des clients qui venaient à la pêche à l’information s’intéressaient à l’acquisition d’un logement. Par la suite, nous avons rebondi pour leur expliquer que nous sommes également une banque commerciale qui offre une palette de prestations, notamment les ouvertures de comptes, les remises des cartes bancaires et des chéquiers, etc.
F.N.H. : Avez-vous senti que le marché était réellement demandeur ?
Y. B. : Bien sûr, il y avait une attente certaine pour ce type de produits. Seulement, il faut tempérer les ardeurs, car pour l’instant, parmi les produits commercialisés, les banques participatives n’offrent que la convention de compte et la Mourabaha immobilière. Les autres produits devant compléter l’écosystème des banques participatives ne sont pas encore disponibles. Du coup, certains clients qui viennent nous voir, dès qu’ils constatent qu’il n’y a pas encore le Takaful ou les autres produits d’investissement, préfèrent attendre pour voir comment les choses vont évoluer avant de concrétiser, alors que d’autres entament la relation.
F.N.H. : Etes-vous satisfait de votre bilan durant ces premiers mois de lancement, sachant que tous les opérateurs s’y sont mis en même temps, un élément certain de concurrence ?
Y. B. : Nous sommes satisfaits du lancement, surtout que nous nous appuyons sur un réseau de 23 agences qui couvrent l’ensemble des régions. Nous travaillons sur un businessplan qui s’étale sur cinq années, puisque nous lançons toute une industrie avec des cycles de vie assez longs, notamment atteindre une centaine d’agences sur quatre ans, un certain nombre de clients et de dépôts. Cela dit, nous avons des ambitions très importantes sur l’année 2018, dans la continuité de 2017. Nous sommes en phase avec nos objectifs, mais cela aurait été mieux si tout l’écosystème était totalement prêt pour convaincre les clients hésitants.
F.N.H. : En l’absence du Takaful, comment gérez-vous les contrats de la Mourabaha immobilière ?
Y. B. : Aujourd’hui, l’obligation de souscrire au Takaful relève de la responsabilité du client. Mais en attendant sa mise en place qui aura lieu certainement au cours du deuxième semestre de 2018, nous avions deux options : soit démarrer l’activité de la banque sans la Mourabaha immobilière; auquel cas, étant sur le marché depuis 2010 à travers Dar Assafaa, la clientèle allait, en plus d’avoir longuement attendu, être frustrée de ce lancement de la banque participative au Maroc. Le démarrage des banques participatives au Maroc aurait été un flop total ! L’autre option, du fait que la responsabilité historique de Bank Assafa était d’éviter l’échec du lancement de la banque participative au Maroc, a été de décider de commercialiser la Mourabaha avec un risque étudié, puisque le client signe l’engagement de souscrire au Takaful dès sa mise en place. Donc, notre rôle consistera à accompagner nos clients lorsque le Takaful sera en place pour y souscrire.
F.N.H. : En attendant, face au scénario catastrophe, notamment celui du décès du client, quelles sont les dispositions prévues ?
Y. B. : Disons que nous sommes partis avec un risque mesuré. Du fait de notre existence depuis 2010, nous disposons de données et d’éléments qui nous permettent de mesurer le risque encouru.
F.N.H. : Pour transformer l’essai et assurer le plein succès de la banque participative au Maroc, quelles sont les actions menées pour compléter l’écosystème, notamment auprès d’autres acteurs comme les notaires, l’administration ou encore les promoteurs ?
Y. B. : Il y avait deux façons de procéder. Ou bien attendre que tout soit prêt, que tous les intervenants soient formés et rodés et que tous les produits soient finalisés : là, il aurait fallu attendre des années encore pour lancer la banque participative au Maroc. Ou bien se lancer et, chemin faisant, apporter des explications, de la pédagogie et de la vulgarisation, parce que nous serons devant des cas réels et concrets, ce qui permet d’ancrer la banque participative. D’ailleurs, nous avons déjà formé un certain nombre de notaires et de journalistes sur la finance participative. D’autres séances de formation sont également programmées dans l’optique de la vulgariser davantage. Et Bank Assafa s’inscrit dans cette dynamique pédagogique pour apporter son savoir-faire à la place et de la sensibilisation à travers des demijournées de formation. L’essentiel à retenir est que nous continuons d’avancer pour compléter l’écosystème. D’ailleurs, des clients ont profité de leur Mourabaha immobilière et ont acquis leur logement grâce à la banque participative. C’est ainsi que les choses se concrétisent. Aussi, le PLF 2018 contient-il des dispositions qui sont de nature à assurer la neutralité fiscale entre les deux systèmes, conventionnel et participatif. C’est dire que si le secteur bancaire avait encore attendu, nous n’aurions pas eu la même dynamique, notamment sur le Takaful mais aussi pour les Sukuk.
F.N.H. : Sous d’autres cieux, la finance participative est un réel appui au développement économique. Qu’en est-il au Maroc et comment se positionne Bank Assafa dans ce sens ?
Y. B. : Aujourd’hui, les produits lancés par la Banque centrale sont surtout orientés vers les particuliers. Les autres suivront bien évidemment. Le régulateur regarde l’écosystème bancaire dans sa globalité et décidera de l’évolution à donner à la chose. Mais telles que les choses se pré- sentent, nous commençons par les particuliers et nous irons vers d’autres produits qui seront validés par le Conseil supérieur des Ouléma (CSO) et destinés aux entreprises, probablement vers fin 2018 pour compléter la palette de produits proposés par la banque participative. Bien évidemment, il s’agit de produits plus complexes qui seront adressés à une niche d’entreprises bien déterminée.
F.N.H. : S’agira-t-il plus d’entreprises marocaines ou d’accompagner des investisseurs étrangers habitués à ce type de produits ?
Y. B. : Pourquoi pas ? Seulement, ce n’est pas une chose qui va se faire du jour au lendemain. Cela se construit dans le temps.
F.N.H. : Une idée sur le volume du marché et comment se positionnent les différents acteurs ?
Y. B. : Il est prématuré de parler de parts de marché. Nous sommes beaucoup plus focalisés sur la construction d’une finance participative saine, et c’est à mon sens le plus important. Ce secteur est fondé sur la crédibilité et l’éthique. Et pour réussir le pari de l’industrie participative, il faut cadrer toute l’activité et éviter les écarts. En tant qu’opérateur, c’est notre objectif, car la course aux chiffres au détriment de la qualité, de la conformité ou de l’éthique est très mauvaise pour le secteur. Il en va de la crédibilité du secteur dans son ensemble et de la confiance de la clientèle.
F.N.H. : Pour conclure, comment hiérarchiseriez-vous les difficultés rencontrées par Bank Assafa depuis le lancement à ce jour ?
Y. B. : La difficulté majeure est la méconnaissance de la finance participative par les citoyens, puisqu’au début les gens pensaient que c’est de la finance gratuite. Cela se comprend, d’autant que nous n’avons pas cette culture et qu’on ne nous a jamais enseigné ce qu’est la finance participative. Aujourd’hui, ils comprennent mieux que nous sommes également des banques commerciales. Un effort doit être fait par les banques pour vulgariser davantage. Le deuxième palier de difficultés a trait au respect de l’éthique de la finance participative. Il faut que les banques fassent très attention au respect de la conformité, de l’éthique et des orientations du CSO pour gagner en crédibilité et acquérir la confiance des clients.
Propos recueillis par Imane Bouhrara