Alors que les tensions inflationnistes persistent, l’épargne financière marocaine reste largement sous-utilisée comme moteur de croissance. La récente enquête du haut-commissariat au Plan souligne l’urgence de transformer cette ressource dormante en véritable levier d’investissement.
Par Désy M.
L'épargne financière au Maroc n’a pas encore trouvé son rôle stratégique dans le financement du développement. Le premier trimestre 2025 en témoigne : selon les dernières données du hautcommissariat au Plan (HCP), seuls 11,2% des ménages marocains estiment pouvoir épargner au cours de l’année. Un chiffre qui révèle à la fois la fragilité du tissu socioéconomique national et les limites du modèle actuel d'intermédiation financière.
«Dans une perspective économique classique, une épargne élevée se traduit par une augmentation des ressources disponibles pour l’investissement, renforçant ainsi l’offre de capital et soutenant la croissance économique», explique Hassan Edman, professeur d’économie et gestion à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir.
Pourtant, souligne-t-il, cette dynamique ne s’amorce pas encore au Maroc, où une grande partie de l’épargne reste captée sous forme de dépôts liquides, loin des circuits d’investissement. En effet, près de 710 milliards de dirhams sont placés dans des dépôts à vue ou des comptes épargne classiques, reflet d’une stratégie de prudence face aux incertitudes économiques persistantes. Cette épargne «de précaution» limite la transformation du capital disponible en investissements productifs, freinant la dynamique de croissance tant attendue.
L'enquête de conjoncture du HCP met en lumière une réalité préoccupante : 55,8% des ménages indiquent que leurs revenus couvrent à peine leurs dépenses, tandis que 42% sont obligés de s’endetter ou de puiser dans leur épargne antérieure pour subvenir à leurs besoins. Dans un contexte d'inflation persistante, où 97,6% des ménages constatent une hausse continue des prix alimentaires, la capacité à épargner devient un luxe réservé à une minorité.
À cette contrainte économique directe s'ajoutent des facteurs plus structurels : la faible inclusion financière, l’insuffisance de l’éducation budgétaire, la méfiance envers les institutions bancaires et une offre de produits d’épargne encore trop limitée pour séduire une clientèle diversifiée. «L’épargne, pour se développer, a besoin d’un environnement stable, transparent et d’une offre accessible à tous, notamment dans les zones rurales», précise Hassan Edman.
La nécessaire mutation culturelle de l’épargne
Pour relever ce défi, Hassan Edman estime qu’il faut agir sur plusieurs fronts simultanément. L'amélioration du pouvoir d’achat figure en première ligne des priorités : selon la théorie keynésienne, la propension à épargner augmente naturellement avec l’élévation du revenu disponible. Ainsi, des politiques publiques orientées vers la revalorisation des salaires, la protection du pouvoir d’achat et le soutien aux ménages vulnérables s’avèrent indispensables. Parallèlement, le développement d’une offre de produits financiers simples, flexibles et sécurisés apparaît essentiel pour attirer l’épargne populaire.
Edman insiste sur l'importance de rendre l’épargne accessible, y compris dans les régions rurales, et de restaurer la confiance dans les circuits financiers par un cadre réglementaire clair et prévisible. La consolidation d’une culture de l’investissement doit également devenir une priorité nationale. Dès le plus jeune âge, l’éducation financière devrait permettre aux citoyens de mieux comprendre les mécanismes de l’épargne et de l’investissement, les incitant à s'engager dans des placements plus dynamiques et utiles à l’économie réelle. Si certains signes d’amélioration émergent, notamment les actifs sous gestion des OPCVM qui ont franchi 740 milliards de dirhams à fin avril 2025, l’essentiel du chemin reste à parcourir. La dynamique reste concentrée sur les segments institutionnels, alors que l’élargissement de l’investissement aux ménages demeure timide. «Il ne s'agit pas seulement d’accroître l’épargne, mais de transformer la manière dont elle est mobilisée», résume Hassan Edman.