Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : Quel a été l'impact de la crise liée à la Covid-19 sur l'activité de Credinfo Maroc ?
Sidimohamed Abouchikhi : La pandémie de la Covid-19 a certainement impacté tous les secteurs de l’économie nationale, à des niveaux différents, y compris le secteur financier, en lien direct avec notre activité. Les mesures sanitaires adoptées et nécessaires à la limitation de la propagation du virus, notamment le confinement, combinées à une digitalisation limitée, ont conduit à une rétractation des demandes de crédit sur la place. Cela s’est traduit naturellement par une baisse importante des consultations au Credit Bureau, voire même un arrêt chez certains établissements de crédit entre mars et mai 2020. Toutefois, les mesures et les dispositions mises en place par le Comité de veille économique pour relancer le financement de l’économie ont permis d’atténuer l’impact négatif et une évolution des consultations a été enregistrée sur le deuxième semestre de l’année. Ainsi, à fin 2020, le volume global des consultations n’a enregistré qu’une baisse de 6% par rapport à 2019, et ce grâce à une évolution des consultations des banques de l’ordre de +11% par rapport à la même période. Cette évolution est tirée principalement par une augmentation des consultations sur les entreprises avec +32% par rapport à 2019. Enfin, grâce à la stratégie de diversification des services développée par Creditinfo Maroc, ayant pour objectif d’accompagner les établissements sur l’ensemble des étapes du cycle de vie de leurs clients, les services de scoring, de monitoring et d’alerting se sont révélés être des outils indispensables pour traverser cette crise. En atteste l’évolution de ces services allant jusqu’à 300%, dans un contexte où les prêteurs ont de plus en plus besoin d’évaluer leurs portefeuilles et de mieux connaître le comportement de leur clientèle.
F.N.H. : Dans ce contexte de crise économique due à la pandémie, quelle lecture faites-vous des risques d'insolvabilité des particuliers et des entreprises, notamment pour les banques, les sociétés de financement et les associations de microcrédit ?
S. A. : Comme précédemment mentionné, cette crise a exposé les emprunteurs à des degrés différents selon leur nature et le secteur dans lequel ils opèrent. Une augmentation de la défaillance est donc certaine, mais restera inégale face à la crise. Dans ce sens, les solutions apportées par les différents intervenants (Gouvernement, organisme de garantie -CCG- et établissements de crédit) ont permis de limiter l’envolée des impayés. Le report des échéances, la suspension des crédits, Crédit Oxygène et Damane Relance sont des exemples de ces solutions. Avec la reprise de certaines activités et le retour de la croissance économique, le risque d’impayés, toujours présent, sera mieux maîtrisé. Le système bancaire marocain restera résilient face à ce choc et surmontera cette crise, tout en continuant à jouer son rôle de locomotive pour le financement de l’économie. D’ailleurs, en réponse au risque d’insolvabilité, à travers notre expertise nous lancerons incessamment le 1er score de recouvrement Place pour aider les établissements de crédits à optimiser leur recouvrement et réinjecter les fonds récupérés dans la distribution de nouveaux crédits.
F.N.H. : Aujourd'hui, où en est concrètement le dossier portant sur l'utilisation des données dites alternatives par le secteur du Credit Bureau au Maroc ?
S. A. : Les données non traditionnelles dites alternatives, provenant des grands facturiers tels que les opérateurs télécoms, les fournisseurs de services publics (eau et électricité), les compagnies d’assurances ou autres, permettront de combler l’absence d’historiques d’informations pour les clients non bancarisés. La disponibilité de ce type d’informations donnera la possibilité aux établissements de financement de s’ouvrir, avec moins d’appréhension, sur une nouvelle clientèle (particuliers et TPME) ne disposant pas d’historique bancaire, mais justifiant de bonnes habitudes de paiement, et ce tout en réduisant le recours aux garanties. Nous appelons à accélérer ce processus, car il aura impact positif sur l’inclusion financière et sur l’économie nationale. Pour Creditinfo, l’intégration de ces données nous permettra d’activer et d’enrichir notre offre au marché par de nouveaux services comme le mobile score et la détection de la fraude.
F.N.H. : Avec l'augmentation du plafond de crédit à 150.000 DH, les associations de microcrédit sont appelées à financer des TPE et PME. En quoi le Credit Bureau peut-il contribuer au développement de la mésofinance au Maroc ?
S. A. : Avant de répondre à votre question, il est essentiel de présenter succinctement l’environnement de la microfinance au Maroc. Se caractérisant par la maturité de ses acteurs clés, ce secteur octroie annuellement, et depuis plusieurs exercices, plus de 850.000 prêts, tout en maîtrisant le coût du risque. Cela trouve explication dans la parfaite connaissance des AGR (Activités génératrices de revenus), la maîtrise de l’environnement des clients et un montant moyen déboursé de 11.200 DH (donnée au 31/12/2020). Avec la modification de la loi n°18.97 en décembre 2018, les associations de microcrédit peuvent désormais répondre aux besoins confirmés des TPE n’ayant pas les garanties ou le volume d’opérations suffisants pour prétendre aux crédits bancaires. Si ce changement permet donc aux AMC d’octroyer des prêts de 50.000 à 150.000 DH, il les expose surtout à une clientèle peu connue, ce qui les priverait d’une clé de succès de taille (la connaissance du client et de l’AGR) et augmenterait éventuellement leur coût du risque. Et c’est face à cette difficulté qu’intervient Creditinfo Maroc. Nous offrons aux AMC des informations sur la santé financière des TPE et sur leurs historiques de transactions. Nos solutions de scoring permettent aux AMC de revoir leurs appétits aux risques, d’adapter leur politique crédit et de décider sereinement quant aux limites de financement de leurs clientèles potentielles. Nous parlons ici d’une nouvelle clientèle, mais également de la clientèle actuelle qui aspirent à grandir mais qui n’auraient pas l’expérience de gérer des engagements plus importants.
F.N.H. : Quel est l'avenir de l'activité de Credit Bureau au Maroc ? Existe-t-il d'autres relais de croissance jusque-là non explorés ?
S. A. : Au niveau international, les Credit Bureau utilisent différentes données à leur disposition, notamment les données alternatives qui permettent aux prêteurs une meilleure évaluation du risque d’un client. D’ailleurs, notre Groupe, qui opère à l’international, gère ce type de données dans ses Credit Bureau en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, et Creditinfo Maroc est outillée et dotée de l'expertise nécessaire pour cette intégration. Après 12 années d’activité, le Credit Bureau au Maroc a contribué à une meilleure maîtrise des risques systémiques et à la réduction de l’asymétrie de l’information. L’accessibilité à d’autres types de données, en plus des données alternatives, permettra de poursuivre l’amélioration de l’inclusion financière et de s’ouvrir à d’autres secteurs, tels que les télécoms et assurances, pour ne citer que ces exemples. Aussi, le Credit Bureau peut contribuer à l’accélération de la digitalisation, relais de croissance certain, à travers des solutions de détection de la fraude telles que le KBA (Knowledge Based Authentication), ou encore via le développement des services financiers des fintech à travers l’Open Banking. Tant que les consommateurs auront besoin de crédit, les fonctions actuellement assurées par les Credit Bureau resteront essentielles pour le bien-être des consommateurs, l'efficacité des marchés financiers et la vigueur de l'économie dans son ensemble.