Le secteur bancaire marocain ploie sous un stock de crédits en souffrance supérieur à 89 milliards de DH, avec un taux de sinistralité de 8,2%.
Par Y. Seddik
Alimenté par les effets des crises, l’encours des créances en souffrance est passé de 84,8 milliards de DH à fin 2021 à 89,5 milliards de DH à fin 2022, soit une augmentation de 5,5%. En fait, le chiffre n’a cessé de grossir depuis 2021, après une année 2020 où, entre moratoires et crédits garantis, les banquiers ont eu un répit sur le volet des créances en souffrance. Dans ces conditions, le taux de sinistralité (créances en souffrance rapporté au crédit bancaire) ressort à 8,4% à fin décembre 2022.
Une sinistralité qui, d’un côté, pèse sur la rentabilité des banques, et de l’autre, entrave leur capacité à financer proprement l’économie. Pour les analystes de CDG Capital Insight, ceci traduit d’une part, «une légère hausse des créances en souffrance détenues sur les ménages qui ont enregistré une progression de 0,5%, portant le taux d’impayé a 10,0% a fin 2022». Et d’autre part, «les contreperformances de l’activité économique qui n’ont pas manqué de se traduire sur la solvabilité des entreprises. Dans ce sens, l’encours des créances en souffrance des entreprises non financières a cru de 9,3% en 2022».
Il faut dire que le niveau des créances en souffrance est intimement lié à l’environnement économique. Un contexte actuellement morose marqué par une inflation galopante (conséquence de la guerre en Ukraine et de la reprise de la demande mondiale), une sortie de crise en demi-teinte pour certains secteurs, un allongement des délais de paiement, des défaillances des entreprises, au moment où l’aggravation de la sinistralité sur les secteurs les plus sensibles n’arrangent pas les choses. Pour l’année 2023, CDG Capital Insight s’attend à un taux d’impayé aux alentours de 8,2%; quoiqu’en légère amélioration, il demeure à un niveau assez élevé. Ceci traduit l’amélioration prévue de la croissance économique.
Cependant, les effets de la sécheresse couplée à la hausse des prix des matières premières et des produits énergétiques continuent de peser sur certains secteurs d’activité. Signalons aussi que l’encours des provisions a progressé de 4,1% à 60,1 Mds de DH, soit un taux de provisionnement de 67,2% à fin 2022. Suite à une légère baisse du taux d'impayé par rapport à 2021 et tenant compte de l’effort de provisionnement des banques ces deux dernières années, CDG Capital Insight table sur une amélioration aux alentours de 15% à 10,85 Mds de DH. Jusqu’à maintenant, la mise en place d’un marché secondaire s'impose comme l’unique solution pour libérer les bilans des banques des prêts non performants.
Depuis quelques années, Bank Al-Maghrib a enclenché, avec les différentes parties prenantes publiques, les travaux visant la mise en place d’un marché secondaire des créances nonperformantes, dont le besoin devient encore plus pressant avec la détérioration de l’environnement économique. Le projet avance bien après une phase où il fallait mettre tout le monde autour de la table. D’ailleurs, un groupe de travail inter-institutions a été mis en place sous l’impulsion de Bank Al-Maghrib et sous l’égide du secrétariat général du gouvernement, comprenant les ministères de l’Économie et des Finances, de la Justice, de l’Industrie et du Commerce, le Conseil du pouvoir judiciaire et le ministère de l’Investissement, de la Convergence et de l’Évaluation des politiques publiques.
Amélioration du coût du risque
Le secteur bancaire présente un profil de croissance différent de celui de la cote. Grâce à un effort de provisionnement important réalisé au début de la pandémie en 2020, les banques disposeraient toujours d’une marge d’amélioration de leurs bénéfices en 2022. Au troisième trimestre 2022, le coût du risque a poursuit sa normalisation à travers une baisse de -7,3%, et ce en dépit de la détérioration des perspectives de croissance économique tant au niveau local qu’international.
Cette situation s’expliquerait par un effort de provisionnement important réalisé au début de la pandémie en 2020. «À cet effet, nous nous attendons à une poursuite de la normalisation du coût du risque du secteur durant le T4-22», estiment les analystes de AGR, pour qui la normalisation du coût du risque demeure en effet le principal driver de la croissance bénéficiaire des banques cotées depuis 2021.