Alors que le cadre normatif du secteur du bâtiment et des travaux publics se consolide, l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) a tenu une masterclass à Casablanca à l’intention des journalistes spécialisés. L’objectif était d’expliciter le régime des assurances obligatoires «Tous risques chantier» (TRC) et «Responsabilité civile décennale» (RCD), dont l’entrée en vigueur au 30 décembre 2024 marque une étape déterminante dans l’encadrement assurantiel des projets de construction au Maroc.
Par Y. Seddik
Annoncée dès 2016 dans le cadre de la loi 59-13, modifiant le Code des assurances, l’obligation d’assurance TRC et RCD n’avait jusque-là pas connu de mise en œuvre effective, faute de textes d’application.
Or, cette lacune a été comblée par la publication, en décembre 2024, de deux arrêtés ministériels (3201-24 et 3202-24) définissant les conditions contractuelles types, les franchises applicables, les plafonds minimaux de garantie et les exclusions autorisées.
En effet, la TRC et la RCD s’inscrivent dans une logique complémentaire : la première couvre les dommages matériels et responsabilités pendant la phase d’exécution du chantier; la seconde prend le relais pour une période de dix ans suivant la réception des travaux, ciblant les dommages graves affectant la structure ou compromettant la sécurité de l’ouvrage.
Ainsi, l’assurance «Tous risques chantier», désormais obligatoire pour toute construction à usage d’habitation de plus de trois étages ou de surface supérieure à 800 m² (ou usage mixte dépassant 400 m² pour la partie non résidentielle), vise à prémunir le maître d’ouvrage contre les sinistres survenant pendant la période de construction.
Par ailleurs, le périmètre de couverture inclut les dommages affectant l’ouvrage, les matériaux et équipements destinés à être incorporés, ainsi que les atteintes à des tiers résultant des travaux. La responsabilité civile chantier, distincte de la RCD, fait donc partie intégrante du contrat TRC.
Concernant les modalités, les franchises peuvent être fixes ou proportionnelles, mais sont encadrées réglementairement (plafonnées à 7% du montant des dommages ou 20.000 dirhams forfaitaires). Le plafond de garantie, quant à lui, ne peut être inférieur au coût déclaré du chantier, dans la limite de 500 millions de dirhams pour un ouvrage unique.
RCD : dix ans de couverture pour les sinistres structurels
La responsabilité civile décennale, régie par l’article 157-10 du Code des assurances, reprend les principes déjà ancrés dans le Code des obligations et contrats (article 769), mais leur donne désormais une assise assurantielle obligatoire.
Autrement dit, elle vise les dommages graves affectant la solidité ou l’usage de l’ouvrage : effondrement total ou partiel, menace d’effondrement, défauts de fondation ou vice de conception. Elle ne couvre ni les dommages mineurs, ni les éléments de second œuvre, sauf rachat explicite.
La durée de garantie s’étend à dix ans à partir de la réception des travaux, sans tenir compte de la date de souscription. En pratique, l’assurance peut être contractée par le maître d’ouvrage pour le compte des intervenants, ou directement par ces derniers. En cas de contrôle, la présentation de l’attestation est obligatoire.
Quant aux franchises, elles sont fixées selon une double logique : pour les projets d’un coût inférieur à 500 millions de dirhams, elles ne doivent pas dépasser 50.000 dirhams; au-delà, elles sont plafonnées à 100.000 dirhams. Une formule de revalorisation du coût de reconstruction est prévue pour le calcul de l’indemnisation, intégrant un coefficient d’actualisation annuel de 5%, avec prise en charge des frais de démolition et de déblaiement à hauteur d’un dixième de la valeur du sinistre.
En outre, les exclusions autorisées (guerres, émeutes, faute intentionnelle, non-respect des réserves du bureau de contrôle technique) sont listées de manière exhaustive dans les textes d’application. À l’exception des pertes issues de fautes dolosives, toutes peuvent être rachetées via une surprime.
Un dispositif contrôlé et assorti de sanctions
L’entrée en vigueur du nouveau régime ne repose pas sur l’autodéclaration : au contraire, elle est assortie de mécanismes de contrôle et de sanctions. Les agents chargés du contrôle de l’urbanisme peuvent vérifier l’existence des assurances en cours de chantier. L’absence d’attestation RCD au moment de la demande du permis d’habiter entraîne une amende proportionnelle à la superficie construite (6 dirhams/m²).
Les amendes prévues vont jusqu’à 100.000 dirhams pour chaque manquement. Il convient de souligner que le régime s’applique uniquement aux ouvrages privés. Les constructions réalisées pour le compte de l’État, ou les ouvrages d’art, maritimes, fluviaux, infrastructures linéaires (ponts, routes, barrages) sont exclus du champ de l’obligation. Toutefois, les marchés publics restent soumis à des exigences assurantielles contractuelles spécifiques.
À travers cette initiative, l’ACAPS ne se limite pas à son rôle de régulateur technique. L’Autorité s’engage dans un effort de vulgarisation ciblée à l’intention des médias, afin d’instaurer une culture assurantielle plus ancrée dans le secteur. Le dispositif vise à garantir la sécurité juridique des maîtres d’ouvrage, protéger les acquéreurs finaux et accélérer l’indemnisation des victimes en cas de défaillance structurelle.
Comme l’ont souligné les intervenants, la mise en place de ce cadre obligatoire traduit un changement de paradigme : «l’assurance n’est plus une variable d’ajustement ou une formalité administrative, mais un levier de qualité et de sécurisation à chaque étape du cycle de vie d’un ouvrage».