Par Y. Seddik
Le secteur bancaire se fait l'écho, depuis quelques années, du lancement d'un projet de structure de défaisance au Maroc pour alléger les bilans bancaires de leurs «actifs toxiques». Aujourd’hui, sur fond de crise sanitaire, ce besoin semble on ne peut plus pressant au moment où le stock des créances en souffrance culmine à 81 milliards de DH.
La mise en place d’une «Bad Bank» devrait protéger les banques d’une deuxième lame dans la crise économique provoquée par la pandémie, l’envolée attendue du chômage risquant de mettre de nombreux ménages en difficulté et de les rendre incapables de rembourser leurs prêts. Interpellé à ce sujet lors du point-presse post-Conseil de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri a reconnu que «ce projet est assez complexe, eu égard aux aspects légaux, fiscaux et institutionnels y afférents».
Sur le plan légal, «il va falloir réviser un certain nombre de dispositions du Code des obligations et des contrats (DOC), mais également du code de commerce», a-t-il détaillé, notant que le volet institutionnel comporte toute la législation qui concerne le transfert des créances à une entité et aussi les moyens et les règles du recouvrement. Au niveau fiscal, Jouahri a relevé qu'il est question des provisionnements et de l'acceptation du fait qu'il ne faut pas tenir compte des provisions qui ont été constituées, indiquant que sur ce point aussi, la Banque centrale est en discussion avec le fisc.
Autant de lourdeurs législatives, techniques et opérationnelles qui retarderont sans doute la création d’une Bad Bank au Maroc. Notons que le wali de BAM a également saisi le Secrétariat général du gouvernement pour piloter l'ensemble de ces aspects avec les départements ministériels concernés, et ce en vue de résoudre les problématiques dans les meilleures conditions possibles et dans les plus brefs délais.
Au final, A. Jouahri estime que «nous sommes sur la bonne voie et nous avons associé à des réunions le ministère de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration et le ministère de la Justice». Depuis mai 2020, BAM a mis l’accent sur ce dossier en lançant notamment une étude menée avec l’appui de la SFI pour décrypter la faisabilité technique et juridique du projet.
Financiarisation des prêts douteux : l’autre solution à l'étude
Il est à noter que la Banque centrale se penche aussi sur un projet de marché secondaire des créances en souffrance. Objectif : alléger les bilans des banques pour rétablir leur capacité à financer proprement l’économie.
«C’est un scénario que nous étudions très sérieusement avec le secteur bancaire. Ces techniques de titrisation donneront un nouveau souffle à ces créances en souffrance», nous expliquait à ce sujet, la Direction de supervision bancaire (DSB) relavant de BAM. Le mécanisme est assez simple : les banques peuvent, à travers la titrisation, céder un portefeuille de créances en souffrance à une structure ad hoc sous forme de fonds qui en finance l’acquisition par l’émission de titres financiers placés auprès d’investisseurs.
Une société de gestion spécialisée est désignée pour assurer le recouvrement des créances en souffrance titrisées. Les produits de recouvrement servent à rémunérer notamment les investisseurs financiers ayant souscrit audit fonds. C’est une solution valable pour les créances en souffrance, quel que soit le secteur d’activité.
«Tout dépendra de l’appétit des investisseurs par rapport à ce type de papier et des portefeuilles qu’ils vont analyser et sur lesquels ils vont faire des due diligence», fait savoir la DSB. Selon la même source, il y a beaucoup d’investisseurs locaux et étrangers qui seraient intéressés par ce type de papier. Généralement, ce sont des fonds spécialisés prêts à supporter le risque.
La titrisation des créances en souffrance offre une nouvelle classe d’actifs financiers non disponible sur le marché et destinée à des investisseurs, y compris étrangers, désirant des rendements et des primes plus intéressants, notamment les investisseurs institutionnels et les fonds spéculatifs (Hedge Funds).