La conférence de résultat du groupe Attijariwafa bank a été l’occasion pour son président de passer en revue la riche actualité du groupe qu’il dirige. Il a distillé sa vision du métier de banquier et esquissé la stratégie adoptée, que ce soit à l’égard de la TPME ou de la gestion du risque. Pour la TPE, les process sont désormais industrialisés. Quant aux risques de la Samir et d’Alliances, ils sont maitrisés. Compte rendu.
La conférence de présentation des résultats semestriels du groupe Attijariwafa bank (AWB) aura été riche en enseignements et fort instructive pour celles et ceux qui s’intéressent au secteur bancaire. Car au-delà des chiffres et des performances qui, globalement se maintiennent (voir financenews.press.ma), Mohamed El Kettani, président du groupe AWB, s’est longuement exprimé, plus qu’à l’accoutumée, sur la philosophie qui habite la banque qu’il dirige, et sur ses principales orientations stratégiques.
TPE : industrialisation des process
El Kettani, qui revendique son statut de banquier à l’ancienne, a d’emblée voulu tordre le cou à un a priori qui a la peau dure : «les enquêtes d’opinions ont commencé à lier l’image d'AWB à une banque qui s’intéresse davantage aux avoirs les plus consistants, aux grandes entreprises et aux multinationale», confie-t-il. Réfutant cette étiquette de banque des puissants, il rappelle qu'AWB a toujours eu la TPME dans son ADN. Et, aujourd’hui, la banque s’oriente plus que jamais vers cette catégorie de clientèle, qui a longtemps été le parent pauvre du crédit bancaire. En réalité, comme les grands comptes ont montré leur fragilité (Samir, Alliances, etc.), et la bancarisation des ménages est presque à son maximum, la TPE représente l’un des derniers gisements de croissance pour le secteur bancaire.
AWB l’a bien compris et déploie toute sa puissance de frappe sur ce segment pour prendre une longueur d’avance sur ses concurrents. «Sur ce segment, nous avons l’ambition d’acquérir des centaines de milliers de TP; ce n’est pas une affaire de quelques milliers de TPE. Nous avons donc industrialisé les process destinés à cette population», explique El Kettani. La banque a ainsi bâti les premiers outils au Maroc de scoring industriel des TPE qui sont traités aujourd’hui comme les ménages. C’est ce qui permet aujourd’hui à la banque de délivrer aux TPE des décisions de crédits en temps réel, à travers un réseau dense qui leur est spécialement dédié (les Centre TPE) et des commerciaux spécialement formés. «Nous avons professionnalisé l’approche et innové dans ce domaine. Dans le concept Ana M3ak (voir financenews.press.ma), nous avons insisté sur l’approche psychologique et comportementale de nos collaborateurs à l’égard des TPE», précise El Kettani. Par ailleurs, le président fait savoir que les recettes appliquées au Maroc vont également l’être dans les pays d’Afrique où AWB est présente.
Eloge du «bon sens»
L’orientation franche vers le marché de la TPE fait naturellement écho aux difficultés rencontrées par certaines grandes entreprises qui ont eu l’habitude de truster les financements bancaires (Alliances, Addoha, Samir, pour ne citer que les cas les plus médiatisés). Sur ce point précis, El Kettani a des idées bien arrêtées. Il affirme qu’un banquier ne doit jamais être gourmand et faire à tout prix la course aux parts de marché sur les gros contrats, pour ne pas risquer «l’indigestion». Un éloge du «bon sens» du banquier qui, à bien des égards, sonne comme une pique destinée à la concurrence. «Le banquier, c’est le métier de la raison», assure-t-il. «Il faut partager le risque et, sur les gros contrats, nous sommes souvent loin de notre part de marché naturelle, qui est de 27%. Nous ne faisons pas la course aux parts de marché. S’il faut en lâcher pour protéger notre bilan, nous le faisons sans hésiter», déclare le Président d'AWB qui, par cette phrase, cherche à asseoir l’image d’une banque qui, parce qu’elle est leader, se doit d’être responsable, équilibrée, gouvernée par ce fameux «bon sens» et ne pas être «otage des grands encours». Rappelons que le gouverneur de la Banque centrale a déjà identifié le risque de concentration sur les grands comptes comme l’un des facteurs de fragilité les plus menaçant pour la stabilité du système bancaire.
Samir, Alliances : «risques maitrisés et anticipés»
Ces précisions sont bien entendu à rapprocher des dossiers brûlants que sont la Samir et Alliances, qui n’ont pas manqué d’être au centre des interrogations des analystes et des journalistes. Une fois de plus, AWB met en avant son expertise en matière de gestion des risques. «La maîtrise du risque est dans notre ADN depuis des décennies, cela ne date pas d’hier», renchérit El Kettani. «Nous avons toujours provisionné un an à un an et demi avant les créances malades», poursuit-il. C’est ce qui explique, selon lui, que la crise de la Samir «n’a aucun impact significatif sur les comptes d’Attijariwafa bank», sans toutefois dévoiler le montant de l’exposition de la banque face au risque du raffineur, contrairement à d’autres banques (la Banque Populaire, par exemple, qui a chiffré son exposition). «Le marché n’a aucune inquiétude à avoir, le risque est pris en charge et anticipé», rassure-t-il. Par ailleurs, El Kettani indique que le plan de restructuration de la Samir est en cours de stabilisation avec le concours d’Attijari Finances, la banque d’affaires du groupe.
Concernant l’exposition du groupe bancaire vis-à-vis du groupe immobilier Alliances, le discours est le même : «C’est derrière nous en termes de provisions, et c’est pris en charge dans nos comptes à fin juin 2015. Nos encours sont sécurisés», affirme El Kettani. Si, une fois de plus, le management d'AWB a joué la carte de la confidentialité pour ne pas donner d’informations plus précises sur ce risque, il a toutefois précisé que la banque ne détient pas le moindre dirham de dette privée d’Alliances. «Il y a toujours des crises, l’essentiel c’est d’en sortir indemne», résume le dirigeant de la banque qui, on l’aura compris, joue la carte de l’expérience et l’expertise.
C’est cette même expertise en matière de gestion des risques qui, selon le management de la banque, fait que son taux de contentialité a toujours évolué en deçà de celui du secteur bancaire, A fin juin 2015, le taux de contentialité d’AWB est de 5,12% contre 7,36% pour le secteur. Le coût du risque est en recul de 25% entre le 30 juin 2014 et le 30 juin 2015. Il est passé de 1,17% à 0,87% sur la période. En revanche, le taux de contentialité consolidé subit une légère hausse, passant sur la période de 6,6% à 7,1%, même si, selon AWB, «le plus gros des mauvaises nouvelles est derrière nous».
Banque participative: compte à rebours déclenché
L’actualité d’AWB c’est aussi la finance participative. Bank Al-Maghrib avait promis, avant l’été, de ficeler le dossier des demandes d’agréments et de l’expédier aux établissements qui souhaitent se lancer dans cette nouvelle activité. Promesse tenue, puisqu’à en croire le management d’AWB, le dossier a été reçu il y a une semaine. Dar Assafaa, la filiale spécialisée du groupe dans la distribution de produits participatifs, va pouvoir se muer en véritable banque. «Le canevas pour la demande d’agrément est en cours de prise en charge, et Dar Assafaa demandera un agrément pour devenir une banque participative. Nous sommes prêts techniquement et humainement pour assumer cette transformation dans de bonnes conditions», explique El Kettani. Il espère que la longueur d’avance dont dispose le groupe à travers sa filiale puisse être capitalisée pour que Dar Assafaa soit une véritable banque de référence dans la finance participative.
Atonie du crédit : «c’est à cause de la faiblesse de la demande»
Les crédits bancaires distribués par AWB ont connu un fléchissement durant ce semestre. Ils ont reculé de 0,8% à 254,4 Mds de DH entre le 30 juin 2014 et le 30 juin 2015. Globalement, sur le secteur, si les dépôts augmentent, les crédits connaissent une croissance très molle. Et tandis que les crédits pour les ménages se portent bien, ceux accordés aux entreprises s’essoufflent. «Je vous le dis sincèrement, c’est lié à la faiblesse de la demande de crédits», précise El Kettani, qui affirme tout mettre en oeuvre pour amorcer une relance du crédit. Et il ne lésine pas sur les moyens. Ainsi, chaque jour, une dizaine de villes sont visitées par des agences itinérantes, pour démarcher les entreprises là où elles se trouvent, à travers des rencontres au sein des chambres professionnelles ou encore des antennes régionales de la Confédération générale des entreprises (CGEM). Toujours dans l’optique d’être plus proche de la demande, et pour quadriller au plus près le territoire national, mais aussi celui des pays où le groupe est implanté, AWB densifie considérablement son réseau. Depuis juin 2014, 111 nouvelles agences ont vu le jour, portant le total à 3.376; ce qui fait du groupe le premier réseau bancaire d’Afrique.
Des résultats résilients
Les principaux agrégats financiers du groupe AWB font ressortir une collecte des dépôts en hausse de 8,2% à 374 milliards de dirhams, tandis que les crédits distribués ont fléchi de 0,8% à 254,4 milliards de dirhams. Le produit net bancaire consolidé s’établit à 9,8 milliards de dirhams en stagnation par rapport au premier semestre 2014, l’activité principale du groupe au Maroc, qui consiste à distribuer des crédits ayant marqué le pas, conjoncture difficile oblige. La stagnation du PNB s’avère même une prouesse quand on sait que les activités de marché ont connu une baisse de 18,5%, suite à une année 2014 exceptionnelle. Cette baisse a été compensé par la marge d’intérêt et la marge sur commissions, qui ont enregistré des hausses respectives de 6,9 et 2,9%.
Le résultat net part du Groupe s’établit à 2,3 milliards de dirhams, en progression de 2,2% grâce à la forte baisse du coût du risque de près de 26%. Sur le plan de la rentabilité financière, le RoE est de 14,6%, et le RoA de 1,4%. Bref, le groupe AWB n’a pas connu de progression majeure de ses indicateurs financiers, mais il conforte son statut de leader du secteur et a su faire preuve de résilience. La banque reste le premier collecteur d’épargne et le premier financeur de l’économie national, (79% du Bilan de AWB est marocain). Signalons enfin que pour ce semestre, les principaux contributeurs au RNPG du groupe sont, dans l’ordre : Attijariwafa bank (58,7%), Wafa assurance et FCP (13,1%), Attijari bank Tunisie (5,4%), Wafasalaf (3,3%), la SIB (2,6%), Wafacash 2,5%, SCB et Wafabail (2,4% chacun).
Amine ElKadiri