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2018, année décisive pour le secteur bancaire (entretien)

2018, année décisive pour le secteur bancaire (entretien)

Entretien avec Ahmed Rahhou, PDG de CIH Bank


 

Crédit bancaire, réglementation prudentielle, nouveaux acteurs, environnement des risques, digital, banques participatives, etc. : que de défis pour le secteur bancaire en 2018. Tour d’horizon avec Ahmed Rahhou, PDG de CIH Bank.

 

 

 

Finances News Hebdo : Pouvez-vous nous brosser un panorama du secteur en 2017 et ce qu’il faut en attendre en 2018 ?

 

Ahmed Rahhou : L’année 2017 a été marquée par une bonne récolte céréalière et une reprise de la croissance économique, avec un petit peu plus d’investissements que l’année précédente.

Sur le secteur immobilier, on a constaté un effet de palier. Ce n’est pas encore la reprise, mais on espère que le secteur va rebondir. La production a baissé en termes de mise en chantier, ce qui a permis une liquidation des stocks, et aux promoteurs de reconstituer une partie de leur trésorerie.

Sur le plan du financement de l’économie, les crédits bancaires ont repris des couleurs, dans le sillage de l’activité économique. Les taux avaient baissé en 2016, mais ils se sont relativement stabilisés en 2017. Cette baisse a probablement permis de relancer la demande du crédit.

Toutefois, la reprise des crédits n’est pas aussi vigoureuse qu’on l’aurait souhaitée, c’est-à-dire à même de garantir un taux de croissance supérieur à 5% ou 6% de manière durable.

Pour le secteur bancaire, 2017 aura surtout été marquée par le démarrage de la banque participative. Il s’agit d’une nouvelle offre qui vient concurrencer ou compléter les offres bancaires classiques.

Signalons aussi la mise en place d’une nouvelle réglementation relative aux sociétés de paiement. Avec cette nouveauté, les banques perdent le dernier volet de leur monopole qui est celui de la collecte des dépôts et de la distribution des moyens de paiement généralisés, au profit d’autres émetteurs comme les opérateurs télécoms ou encore des entreprises de transfert de cash.

Par ailleurs, c’est en 2017 que les modalités pratiques d’un système de paiement par téléphone ont été mises en place. C’est un projet qui va démarrer en 2018. Les premières expériences de transferts par le mobile de compte à compte verront le jour dans les prochaines semaines.

 

 

"2017 fut une année de rupture pour le secteur bancaire, même si ses effets ne se feront réellement ressentir qu’en 2018"

 

 

Le Maroc a opté pour un modèle original, peu répandu dans le monde, à travers notamment une plateforme interopérable et totalement ouverte, d’emblée. N’importe quel compte détenu par n’importe quelle banque ou n’importe quelle société de paiement, peut communiquer aisément avec n’importe quel compte détenu par un autre établissement : tout le monde transfert à tout le monde, et tout le monde paie chez tout le monde.

Pour toutes ces raisons, 2017 fut une année de rupture pour le secteur bancaire, même si ses effets ne se feront réellement ressentir qu’en 2018.

 

 

F.N.H. : Comment libérer le potentiel de croissance du crédit bancaire ? Peut-on renouer avec des taux de croissance à deux chiffres comme ce fut le cas il y a une dizaine d’années ?

 

A. R. : Nous avons déjà connu un tel rythme de croissance du crédit bancaire; ce n’est donc pas impossible. Maintenant, l’environnement des affaires n’est pas uniquement lié au coût du crédit ou à sa disponibilité.

Comme le dit souvent le gouverneur de la Banque centrale, le métier des banques, avant tout, c’est de distribuer des crédits. Elles n’ont aucun intérêt à fermer le robinet du financement, car c’est ce qui leur permet de créer du PNB (Produit net bancaire). Nous ne sommes donc pas dans une logique de verrouiller ce robinet.

 

 

F.N.H. : La question des garanties revient souvent dans les facteurs qui freinent l’accès au crédit. Qu’en pensez-vous ?

 

A. R. : La question des garanties est subsidiaire. Quand vous avez un bon projet, les garanties viennent après. En fait, la problématique qui est posée au Maroc, c’est d’avoir un environnement des affaires qui permet de donner envie d’investir.

La question de l’argent ne se pose qu’après. Ce n’est pas l’argent qui crée le business, mais c’est bien le business qui crée l’argent.

La question des garanties se pose essentiellement quand il y a un défaut de fonds propres. Plus il y a de fonds propres, moins il y a de garanties nécessaires.

 

 

"Le fait de demander aux banques de financer à 100% un programme d’investissement n’est pas réaliste"

 

 

Lorsque les fonds propres sont disponibles, le crédit suit. Le fait de demander aux banques de financer à 100% un programme d’investissement n’est pas réaliste. Il y a des mécanismes de garanties qui ont été mis en place, mais nous manquons au Maroc d’instruments d’investissement en capital.

Je pense que dans le futur, parmi les choses qui doivent évoluer, il y a toutes les facilitations que l’on peut donner aux fonds. Les fonds existants disent d’ailleurs la même chose que les banques : nous ne trouvons pas assez de projets bancables.

Quand quelqu’un a une idée, et quand cette idée rencontre un marché, l’argent n’est pas un problème.

Les garanties ou les excès de garanties sont à lier au fait que les process de traitement des entreprises en difficulté ne sont pas sains, dans le sens où ils durent trop longtemps, et que la protection des créanciers n’est pas toujours assurée. Il est nécessaire d’améliorer le traitement des entreprises en difficulté et de protéger un peu plus les intérêts des créanciers, que ce soit une banque, mais aussi l’Etat, les employés, les fournisseurs, etc.

 

 

F.N.H. : Quel regard portez-vous sur l’environnement des risques ? Est-il susceptible d’évoluer favorablement ?

 

A. R. : Globalement, l’exposition reste entre 7% et 8%, ce qui est relativement élevé. On dit souvent que ce chiffre est le fait des grandes signatures en difficulté, mais ce n’est pas vrai. Il recouvre en réalité un gros paquet de PME qui traversent des difficultés aujourd’hui et que les banques sont obligées de provisionner. Ceci dit, le niveau global des provisions devrait être à la baisse en 2017, le risque s’améliore. Pour 2018, on devrait continuer dans le même sens en matière de provisionnement.

 

 

"Les délais de paiement se dégradent, et c’est une source d’inquiétude"

 

 

Mais je voudrais attirer votre attention sur le principal facteur de risques pour les différents secteurs économiques : ce sont les délais de paiement, que ce soit entre l’Etat et les entreprises ou les délais interentreprises.

Ces délais se sont allongés en 2017, ce qui n’est pas une bonne nouvelle. L’investissement reprend certes, mais les délais de paiement se dégradent, et c’est une source d’inquiétude.

En fait, la première source de difficultés des entreprises, ce sont les clients qui ne paient pas et l’indisponibilité de trésorerie. Des opérateurs perdent leurs marchés, leur compétitivité, etc. L’indisponibilité de trésorerie engendre un recours massif au crédit à court-terme, ce qui empêche la société de s’endetter pour investir; et elle rentre dans un cercle vicieux.

Aujourd’hui, la préoccupation principale des opérateurs est d’avoir de la ligne de trésorerie pour faire face à leurs fournisseurs. Mais quand le client ne paie pas, la banque est obligée de fixer des limites puisqu’elle ne peut se substituer au délai de paiement client. D’ailleurs, une bonne partie des difficultés d’accès au financement bancaire concerne les crédits de trésorerie bien plus que le crédit d’investissement. Donc, s’il y a bien une priorité à traiter en 2018, ce sont bien les délais de paiement. Dans le cas contraire, le risque est susceptible de repartir à la hausse.

 

 

F.N.H. : Du point de vue de la réglementation, quelles sont les grandes nouveautés qui se dessinent pour 2018 et quels seront les impacts éventuels sur l’activité bancaire ?

 

A. R. : Il y a d’abord la norme IFRS 9 qui concerne les comptes consolidés et pourrait entrer en vigueur durant le premier semestre 2018 : elle exige de provisionner dès qu’un crédit est octroyé. Ainsi, même un dossier sain fera d’emblée l’objet d’une provision.

La notation va jouer, puisque c’est elle qui conditionne le montant à provisionner en fonction de la qualité du portefeuille.

Cela aura donc un impact sur les banques, notamment en termes de fonds propres. Bank Al-Maghrib est justement en train d’étudier cet impact avec les établissements concernés.

La deuxième nouveauté concerne les classements des créances dans les comptes sociaux des banques. La réglementation de la Banque centrale en la matière est en train de se durcir.

 

 

"Ces deux nouveautés réglementaires cumulées auront des effets sur les résultats et sur leurs fonds propres"

 

 

Le secteur bancaire aura droit à des règles encore plus strictes que ce qui existe actuellement. Là aussi, cela risque d’avoir un impact, plus ou moins important, en 2018 sur les comptes des banques.

Ces deux nouveautés réglementaires cumulées auront des effets sur les résultats et sur leurs fonds propres. Il n’est donc pas exclu que les banques soient davantage sélectives, même si je crois personnellement que cela ne va pas bloquer l’investissement.

 

 

F.N.H. : 6 mois après le démarrage des banques participatives, quelle première appréciation en faites-vous ?

 

A. R. : Aujourd’hui, ne sont opérationnels que les dépôts et les financements de type Murabaha immobilier. Précisons que pour ce produit en particulier, le logement social n’est pas encore éligible, parce que la restitution de la TVA n’est toujours pas réglée, il y a encore quelques ajustements à faire. C’est le cas aussi pour la Murabaha consommation et les produits Ijara, etc. Le périmètre d’activité de ces banques au Maroc est de fait encore extrêmement réduit.

 

 

Démarrer une banque n’est pas chose aisée, et démarrer un environnement bancaire encore moins

 

 

Il faut savoir que démarrer une banque n’est pas chose aisée, et démarrer un environnement bancaire encore moins. C’est un secteur à part entière, avec son organisation, sa propre comptabilité, ses organes de surveillance, etc. Tout est à fabriquer, et cela prend évidemment du temps.

Concernant les comptes d’investissement, c’est-à-dire les comptes de dépôts que l’on peut rémunérer en investissant sur un projet, ils ne sont pas encore codifiés. Ce qui fait qu’aujourd’hui il est difficile de convaincre des investisseurs nationaux et internationaux d’y déposer leur argent.

 

 

F.N.H. : Actuellement, est-il juste d’affirmer que le digital est un levier de croissance pour les banques ?

 

A. R. : Il est erroné de considérer le digital comme un simple levier de croissance. Il s’agit d’une transformation radicale de la manière de faire la banque. Qu’on le veuille ou pas, on va le subir, et ceux qui ne suivront pas cette tendance n’existeront tout simplement plus dans une dizaine d’années, parce que c’est par ce canal-là que la compétition s’ouvre.

 

 

Pour les banques, le digital est une modification lourde, qui suppose une modification de la façon de traiter les clients

 

 

Prenons le cas de la grande distribution : pour Carrefour, Amazon est un concurrent qui vient avec un nouveau modèle. Soit les distributeurs intègrent ce modèle, soit ils sont voués à disparaître.

Pour les banques, le digital est une modification lourde, qui suppose une modification de la façon de traiter les clients.

Quand on parle notamment de la Blockchain, on peut la résumer en disant que c’est une digitalisation de la confiance. Deux personnes qui ne se connaissent pas, peuvent se faire confiance mutuellement grâce à cette chaîne qui est dans le système et qui n’est gérée par aucun tiers (agent de confiance).

Prenez le cas de deux banques qui s’échangent de l’argent : elles passent par un agent de confiance qui s’appelle Swift. Avec la Blockchain, les banques peuvent réaliser des transactions sans le système Swift. Il s’agit bien d’une révolution et non d’une évolution. La Blockchain peut aussi être utilisée pour les titres fonciers et se passer ainsi de l’agent intermédiaire qui est le notaire.

Les applications peuvent également concerner les Bourses (par exemple un Nasdaq sur Blockchain peut exister), les dépositaires, les cadastres, etc.

Toutefois, je crois à la coexistence pendant longtemps des deux systèmes (classique avec tiers de confiance, et décentralisé ndlr).

 

 

F.N.H. : Sommes-nous en retard sur ces questions, selon-vous ?

 

A. R. : Il y a un temps de maturité. On y est. Aujourd’hui, tout le monde communique sur le digital. La Banque centrale va prendre les choses en main et ces sujets seront d’une façon ou d’une autre analysés.

De mon point de vue, je dirais que nous sommes dans une communauté bancaire technologiquement bien avancée, et que l’on peut réfléchir, en commun, sur la façon de basculer notre compensation, nos virements, nos échanges d’informations, et de faire en sorte que les banques au Maroc disposent d’un instrument d’échanges sécurisés entre elles. Ce n’est pas très compliqué à faire et la technologie existe.

On peut imaginer aussi des applications d’échanges de titres avec le dépositaire central ou dans le secteur de la monétique. Les champs sont nombreux. Prenons un cas ou deux, et travaillons dessus. ■

 

 

 

Propos recueillis par A. Elkadiri et D. William

 

 

 

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