TVA sur les médicaments: «L’exonération va se faire ressentir sur les prix»

TVA sur les médicaments: «L’exonération va se faire ressentir sur les prix»

Le Projet de Loi de Finances 2024 prévoit l’exonération totale de la TVA pour tous les médicaments.

Quels impacts aura cette disposition fiscale ?

Entretien avec Abdelmadjid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la société marocaine de l’économie des produits de santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : L'exonération de la TVA sur les médicaments revient sur le devant de la scène. A votre avis, quelles catégories de médicaments seront concernées par cette nouvelle mesure ?

Abdelmajid Belaiche : Dans le cadre du projet de Loi de Finances 2024 qui, je le rappelle, est en cours de réalisation, a été évoquée une mesure majeure et impactante pour les citoyens et pour les caisses : il s’agit de l’exonération totale de la TVA pour tous les médicaments. Si le principe de l’exonération a été confirmé et annoncé par le gouvernement, les détails de cette exonération sont encore en discussion entre les différents partenaires et les départements ministériels concernés. Aujourd’hui, quelle est la situation ? Il faut rappeler que les médicaments sont assujettis à une TVA de 7%, mais il existe déjà ceux qui en sont exonérés depuis très longtemps. Il s’agit des médicaments antidiabétiques, mais aussi des médicaments cardiovasculaires, des cancers, du sida, de l’hépatite et de l’asthme. Depuis 2014, les vaccins ont été exonérés de la TVA, suivis en 2018 par les médicaments traitant la fertilité ainsi que les antibiotiques injectables utilisés dans la méningite. De même, en 2019, tous les médicaments de la 3ème et de la 4ème tranche de prix, à savoir ceux dont les PPV sont supérieurs à 1.000 dirhams, ont été exonérés de la TVA. Ainsi, la mesure de l’exonération va concerner tous les médicaments qui n’ont pas été visés par les mesures précédentes d’exonération. Il s’agit de médicaments de la sphère digestive, dermatologique, gynécologique, des hormones, des antibiotiques en général, des solutés de perfusion, des médicaments de l’appareil locomoteur, du système nerveux, des antiparasitaires, des organes de sens et divers autres médicaments appartenant à la 1ère et à la 2ème tranches de prix (c’est-à-dire ceux dont le prix est inférieur à 1.000 dirhams).

 

F.N.H. : Les médicaments utilisés pour le traitement des maladies chroniques sont déjà exonérés de la TVA, mais pas tous. A titre d’exemple, il y a les antipsychotiques. Pourquoi à votre avis ?  

A. B. : Effectivement, il y a à ce jour des médicaments de maladies chroniques qui ne sont pas exonérés de TVA. C’est le cas notamment des collyres pour le traitement du glaucome, mais aussi les médicaments antiépileptiques, des médicaments antipsychotiques et des antidépresseurs. C’est là un oubli inexplicable pour des médicaments utilisés au long cours et dont les coûts de traitement ne sont pas négligeables. Dans le PLF 2024, ces médicaments seront désormais exonérés de TVA.

 

F.N.H. : Qu’en est-il pour la TVA des dispositifs médicaux ?  

A. B. : Malheureusement, la TVA des dispositifs et équipements médicaux reste élevée. Elle est aujourd’hui de 20%, y compris pour les DM les plus essentiels et stratégiques, tels que les prothèses, etc. Logiquement, la TVA sur ces produits stratégiques doit être exonérée pour réduire leurs coûts pour les patients. A mon grand regret, je constate que l’exonération de ces produits dans le PLF 2024 n’a pas été évoquée.

 

F.N.H. : Chaque année, plusieurs milliards de dirhams sont déboursés par les patients pour l’achat de médicaments en pharmacie. Du coup, cette exonération de la TVA vat-elle vraiment se faire ressentir sur les prix des médicaments, et in fine sur le pouvoir d’achat de la population ?  

A. B. : Tout à fait. Cette mesure va se ressentir sur les prix des médicaments. En effet, les médicaments non exonérés de TVA représentent aujourd’hui près de 85% du volume des médicaments achetés dans les pharmacies et 68,6% en termes de dépenses des patients pour l’achat des médicaments. Ainsi, un médicament qui coûte 100 dirhams, ne vaudra que 93,5 dirhams, sans compter le fait que le ministère de la Santé procède régulièrement à des baisses significatives des prix des médicaments. Depuis la première liste de prix de médicaments à la baisse, publiée en avril 2014, pas moins de 50 listes ont été publiées au Bulletin officiel. L’économie pour l’ensemble des patients marocains représente pas moins d’un milliard et 48 millions de dirhams sur une année, soit près de 5% d’économie, rien qu’en termes de TVA.

 

F.N.H. : Dans quelle mesure l’exonération de la TVA sur les médicaments peut-elle être une menace pour les opérateurs industriels pharmaceutique ?  

A. B. : Le problème est que les industriels qui fabriquent des médicaments, achètent tous leurs produits et services à une TVA de 20% et vendent leurs médicaments soit à 0%, soit à 7%. En 2022, les médicaments assujettis à une TVA de 7% ont représenté 85% du volume des médicaments achetés dans les pharmacies. Ces différences de TVA entre achats et ventes génèrent un crédit TVA de ces entreprises vis-à-vis de l’Etat. Par le passé, l’Etat procédait à des remboursements de crédit TVA cumulés sur quelques années, pour toutes les entreprises qui appartiennent à des secteurs qui vendent leurs produits à un taux de TVA inférieur à celui de la TVA de leurs achats. L’exonération des médicaments de la TVA va aggraver un problème qui existe déjà. Ce qui est aujourd’hui proposé par le gouvernement, c’est uniquement une exonération des matières premières pharmaceutiques et des articles de conditionnement. Or, la fabrication des médicaments nécessitent d’autres produits (eau, énergie, etc.) et services. On peut citer aussi les formations régulières du personnel industriel, qui constituent une obligation légale dans l’industrie pharmaceutique, mais aussi l’appel à des consultants et experts dans divers domaines essentiels (assurance qualité, etc.). Ces derniers services sont facturés avec une TVA de 20%, ce qui risque d’aggraver le problème du crédit TVA des industriels pharmaceutiques. Il y a aussi le cas de la TVA des grossistes pharmaceutiques qui va se poser avec acuité. Il s’agit également d’un secteur stratégique. Il est constitué d’une soixantaine d’entreprises qui garantissent la fluidité de la circulation des médicaments entre laboratoires et pharmaciens et permettent, de ce fait, un accès plus rapide du patient à ces médicaments. Ce secteur a été fragilisé par les marges proposées dans le décret de fixation des prix des médicaments, qui a baissé leur marge sur le prix public de vente (PPV) de 10% à des niveaux très bas, et notamment pour les médicaments les plus coûteux où la marge a été réduite à 2% pour les médicaments de la 3ème et de la 4ème tranches de prix. Le problème est que ces entreprises, dont les chiffres d’affaires sont inférieurs à ceux des industries pharmaceutiques, font face à des augmentations des coûts du carburant, des salaires, etc. Pour rappel, les carburants représentent une dépense dont le coût a explosé, sans oublier les coûts logistiques importants pour ces entreprises. Pour ces dernières, le coup, sans jeux de mots, sera très rude.

 

F.N.H. : Comment résoudre alors cette équation ?  

A. B. : La problématique de la TVA des médicaments doit être traitée en amont et sur l’ensemble de l’écosystème pharmaceutique. Pour l’industrie pharmaceutique, l’exonération de la TVA des intrants spécifiquement pharmaceutiques, tels que les matières premières et les articles de conditionnement pharmaceutiques, est possible. D’ailleurs, elle a été acceptée, mais pas pour les autres intrants qui ne sont pas spécifiques à cette industrie, tels que l’énergie (électricité et GPL), l’eau, les coûts des formations et de divers experts. Pour ceuxlà, la solution sera un remboursement de la TVA facturée sur ces produits et services pour éviter que ce secteur stratégique pour notre souveraineté sanitaire ne fasse les frais injustes d’une révolution sanitaire largement souhaitée et applaudie (couverture sanitaire universelle pour tous les Marocains et refonte du système de la santé). Pour rappel, l’un des plus grands enseignements de la pandémie de la Covid-19 au monde, a été la nécessité de sauvegarder les souverainetés sanitaires nationales. Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, avait rappelé la nécessité de sauvegarder la souveraineté sanitaire nationale lors de son discours au Parlement, à l’occasion de l’ouverture de la première session de la première année législative de la 11ème législature le 8 octobre 2021. Il a également abordé ce sujet dans son discours à l’occasion du 24ème anniversaire de l’accession du Souverain au Trône le 29 juillet 2023. 

 

 

 

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