Au 1er trimestre 2024, le Maroc a accueilli 3,3 millions de touristes, soit une progression de 12,8% par rapport à la même période de l’année dernière. A l’aube de la CAN 2025 et du Mondial 2030, la tutelle entend booster le tourisme d’affaires. Entretien avec Khalid Doumou, économiste et expert financier.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Avec 3,3 millions d'arrivées au premier trimestre de 2024, quelle est votre analyse de la situation touristique actuelle ? Et quelles perspectives envisagez-vous en vue de la saison estivale à venir ?
Khalid Doumou : En 2023, les chiffres clés du tourisme marocain sont les suivants : une capacité litière de 296.000 lits; 14,5 millions de touristes; 25,6 millions de nuitées et 105 milliards de DH de recettes de voyages. Sauf catastrophe imprévue, la campagne touristique estivale 2024 se présente sous les meilleurs auspices. La diplomatie marocaine grâce à la politique éclairée de Sa Majesté Mohammed VI, que Dieu l’assiste, a réalisé un travail considérable pour ramener le gouvernement socialiste espagnol de Pedro Sanchez et la France de Emmanuel Macron dans de bonnes dispositions vis-à-vis de Rabat. Le début de cette nouvelle séquence politique d’amitié et de coopération mutuelle avec nos deux principaux partenaires économiques et commerciaux, devrait impacter positivement la destination Maroc, que ce soit pour ce qui est du tourisme d’agrément ou du voyage d’affaires. Le rôle de la diplomatie douce qu’a opéré notre football national depuis Qatar 2022 est aujourd’hui un cas d’école. Le «Moroccan Brand» a été boosté par les exploits des Lions de Walid Regragui et ceux de Hicham Dguig et ses champions du futsal. Cet été, notre équipe nationale des U23 se rendra à Paris pour nous représenter aux Jeux olympiques, et notre équipe féminine de football a ébloui le monde entier l’été dernier lors de la Coupe du monde en Australie en 2023. Si la campagne «Kingdom of Light» avait besoin d’un coup de projecteur pour mieux éblouir le reste du monde, le football marocain s’est chargé de mettre en lumière la légendaire hospitalité marocaine.
Même avec nos plus féroces détracteurs, nous Marocains, avons su montrer que le Royaume est une terre d’accueil, d’hospitalité, de soleil, de sourire et de joies. Royal Air Maroc (compagnie aérienne historique de notre pays) a bien saisi l’élan positif sur lequel surfait notre secteur touristique. Elle devrait quadrupler sa flotte pour passer à 200 avions, tout en couvrant 100 nouvelles destinations d’ici 2037. Rayanair, la fameuse compagnie aérienne irlandaise, a récemment ouvert 15 nouvelles lignes aériennes sur le Maroc. Les sociétés aéronautiques Airbus, ATR Leonardo SPA, Boeing et CFM (J-V entre General Electric et Safran qui construit des moteurs d’avions) travaillant au Maroc devraient participer à la renaissance d’un vecteur structurel pour l’offre touristique nationale. La renaissance de la dimension atlantique dans l’agenda diplomatique marocain est à même de réaliser un appel d’air sans précédent de la coopération sudsud et outre-atlantique marocaine. L’ouverture récente de deux liaisons aériennes entre Marrakech d’une part, et New York et Montréal d’autre part, témoigne du renouveau de l’offre long-courrier qui devrait également étendre davantage le spectre de notre emprise sur la clientèle prospective nordaméricaine. 3,3 millions de touristes ont visité le Maroc au T1 2024. C’est un chiffre de 12,8% supérieur à celui de la même période de 2023. Plus de 1,7 million de nuitées ont été enregistrées en janvier 2024 dans les établissements d’hébergement touristiques classés (EHTC). Par segment, cette progression est due à la hausse du nombre des arrivées de touristes étrangers de 15,4% et de celui des MRE de 9,8%. Les Marocains ne peuvent qu’être satisfaits et davantage ambitieux quant à une campagne estivale 2024 des plus réussies.
F.N.H. : Le tourisme d’affaires représente une opportunité majeure pour attirer des investisseurs et stimuler les investissements. Pourquoi pensez-vous que ce secteur demeure sous-exploité au Maroc ?
Kh. D. : Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a présidé en mars 2023, la cérémonie de signature de la conventioncadre pour le déploiement de la feuille de route stratégique du tourisme 2023-2026 d'une enveloppe budgétaire de 6,1 milliards de dirhams. Cette feuille de route ambitionne, à l'horizon 2026, d'attirer 17,5 millions de touristes, d'atteindre 120 milliards de recettes en devises, de créer 80.000 emplois directs et 120.000 indirects, en plus de repositionner le tourisme comme secteur clé dans l'économie nationale. Cette nouvelle feuille de route privilégie les filières thématiques, notamment «City break», qui ambitionne de consolider la position du Royaume en tant que destination de voyage de courte durée, ou encore «Tourisme interne-Nature et découverte». Il s’agit également du programme «Beach and sun», qui permettra de renforcer l’offre balnéaire existante au Maroc. Cette offre s’appuie aussi sur le «tourisme d’affaires», qui est axé sur la consécration de la place du pays en tant que destination principale des MICE (réunions, incentives, conférences et expositions), et des «sentiers culturels» liés à la multiplication des expériences insolites pour s’immerger au cœur du patrimoine du Royaume. En effet, le tourisme d’affaires touche directement deux filières thématiques, à savoir le City break (court séjour d’affaires ou de rencontre d’officiels) et les MICE.
Le développement de ce segment particulier du tourisme mondial exige de disposer de suffisamment d’hôtels de luxe et d'hôtels-boutiques. Cela suppose également d’utiliser avec plus d’appétence et d’acuité les dernières trouvailles en matière de service sur-mesure et de technologie avancée. Pour ce qui est de la clientèle d’affaires, celle-ci voyage en première classe ou en classe affaires, ce qui exige un service unique, un personnel attentif et aux petits soins. Il s’agit également d’une clientèle toujours à la recherche de l’excellence et de la perfection et qui ne tolère pas de refus, même à ses requêtes les plus inattendues ou extravagantes. Aussi, cette clientèle est en quête d’une expérience inédite, d’un endroit rêvé, d’un décor époustouflant, d’un service surmesure, d’un éblouissement des 5 sens, d’un dépaysement total, etc. Il ne faut surtout pas oublier que le tourisme se mesure en termes d’arrivées, mais également en matière de consommation de biens et de services sur le sol national, soit la valeur dépensée en devises. Les dépenses touristiques sont des dépenses dites discrétionnaires pour la grande majorité de nos visiteurs, c’est-à-dire qu’elles se font souvent aux dépens d’autres postes de dépenses. Seules les HNWI (Personnes à valeur nette élevée) sont capables de dépenser sans compter et optent des fois pour des dépenses somptuaires, voire superfétatoires. Ceci pour bien mettre l’accent sur le fait que l’Europe, qui est notre marché de prédilection du point de vue touristique, connaît une période d’essoufflement en termes de pouvoir d’achat par tête d’habitant. Ainsi, il ne faut pas oublier d’intégrer dans notre équation de conquête de nouveaux marchés de clientèles touristiques.
F.N.H. : La tutelle veut attirer 1,5 million de touristes d'affaires d'ici 2026 et 2 millions d'ici 2030. Quelle est votre analyse de ces objectifs ? Et quelles actions préconisez-vous pour stimuler ce type de tourisme, notamment à l'approche de la Coupe d'Afrique 2025 et de la Coupe du monde 2030 ?
Kh. D. : Le premier angle d’approche de cette clientèle Corporate (Affluent buyers) est de bien garder en tête la moindre sensitivité au facteur prix (less price sensitiveness), la plus longue période de consommation estimée, à savoir les programmes de fidélisation à leur adresser, avec tous les petits avantages qui font la différence pour vendre plus et mieux. C’est une compétition moindre pour les marketeurs et commerciaux de ce type de segment de clientèle se situant au sommet de l’échelle des richesses. À mon sens, les décideurs politiques nationaux, et plus précisément les opérateurs du voyage ont entièrement pris conscience de l’importance de travailler avec plus de célérité et d’acuité sur ce segment de clientèle précis, puisque la ministre du Tourisme, FatimZahra Ammor, a indiqué, lundi 29 avril 2024, à la Chambre des représentants, que son département ambitionne d'attirer 1,5 million de touristes d'affaires en 2026 et 2 millions en 2030. Un Palais des congrès et des conférences est en cours d’étude à Marrakech, avec une capacité d’accueil prévue de 10.000 personnes, pour faire de la ville ocre une des 10 plus grandes destinations pour le tourisme d’affaires dans le monde à l’horizon 2026.
Sinon, les grands-messes des dirigeants mondiaux et la tenue d’AGO de grandes entreprises ou l’organisation de conférences, séminaires et conventions de haute volée nécessitent de posséder les infrastructures et le capital humain nécessaires à la réception sophistiquée d’ultra-riches et de tels événements à portée mondiale. A l’horizon de la CAN 2025, je pense que le Maroc travaille dans la plus grande sérénité, malgré le fait que les chantiers de constructions lancés soient divers et variés, mais l’organisation de ce genre d’événements est à la portée de notre machine de production nationale, qui a déjà fait ses preuves sur des organisations avoisinant l’importance de la Coupe d’Afrique (CHAN, Coupe du monde des clubs, coupe d’Afrique des U23, coupe d’Afrique féminine). Par contre, pour l’évènement organisé à l’échelle planétaire et après le succès du Qatar 2022 et celui escompté de 2026 en terre américaine, le comité d’organisation de la Coupe du monde 2030 au Maroc, avec à sa tête Fouzi Lekjaa, devra travailler d’arrache-pied pour être au rendez-vous tant attendu par l’ensemble du peuple marocain, et d’une grande partie de l’Afrique et de la zone Mena. Des fans zones et des espaces de détente, de fêtes, de festivals et de loisirs dédiés devront être judicieusement pensés pour que nous puissions laisser une trace indélébile dans la tête de celles et ceux qui nous honoreront de leur présence en 2030. En outre, plusieurs départements de ministères dits régaliens devront travailler de manière transverse et intelligente pour que nous puissions offrir la meilleure version de nous-mêmes quand nous recevrons le reste du monde sur nos terres en 2030. Il faut également savoir que le Fonds Mohammed VI pour l’investissement intervient sur l'ensemble des secteurs jugés stratégiques pour le Royaume, notamment l'infrastructure durable, l'agriculture, l'innovation, l'industrie, les PMEs et le tourisme. Dans ce cadre, deux sociétés de gestion ont été présélectionnées pour s’occuper des investissements touristiques au Maroc.
F.N.H. : L'Office national marocain du tourisme joue un rôle crucial dans la promotion de la destination Maroc, notamment à travers la mise en avant des attraits du pays et le développement du segment MICE. Comment évaluez-vous la politique de promotion mise en œuvre par l'ONMT ?
Kh. D. : Le Maroc, c’est plus de 3.500 établissements touristiques recensés, 500.000 emplois directs et environ 15% de la population active totale pour le secteur touristique, qui génère près de 7% du PNB. 33% des nuitées dans les hôtels classés au Maroc sont le fait du tourisme intérieur. L’ONMT est en effet un acteur majeur de l’écosystème touristique marocain. Cet office étatique est dans la veille stratégique et concurrentielle. Il communique de manière claire et régulière en interne grâce à de grandes actions de communication au niveau national, telles que les Tourism Marketing Days. C’est également un office qui tente de faire une bonne promotion de la destination Maroc au travers de ses campagnes publicitaires omnicanales, avec l’utilisation de la télévision, des réseaux sociaux, des journaux et des panneaux d’affichage. Pour Adel El Fakir, Directeur général de l’ONMT, le nouveau maillage de l’Office assure désormais une couverture mondiale de la marque Maroc, avec l’ouverture inédite de bureaux sur des marchés comme le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, l’Australie, le Brésil ou encore le Nigéria. La première campagne de l’ONMT, Terre de lumière», avait été lancée simultanément sur une vingtaine de pays.
L’Office dispose de 3 marques, une marque Corporate ONMT, qui s’adresse aux professionnels du tourisme et aux partenaires internationaux, une marque grand public, qui a pour cible les Marocains d’ici et d’ailleurs (MDM), baptisée Ntla9aw f Bladna, et une troisième marque internationale, Terre de lumière. Celle-ci s’est vu greffée de la dernière-née des stratégies touristiques baptisée «Reveal light in Action», et construite autour de 4 axes principaux : le marketing, le digital, l'aérien et la distribution. Pour parler des prévisions d’arrivées, le quatuor «fer de lance» de la promotion du tourisme marocain, hormis le ministère du Tourisme, à savoir l’Office national marocain du tourisme, la Confédération nationale du tourisme, la Fédération nationale de l’industrie touristique et l’Observatoire du tourisme tablent sur une croissance du tourisme entrant de 14,5 à 17,5 millions de 2023 à 2026. Sur le territoire national, les autres opérateurs publics devant peser (plus lourdement) de leur poids sur la qualité de notre offre touristique sont la DGAC, la RAM, l’ONDA, les ADM, l’ONCF, la SMIT et les 2 sociétés de gestion présélectionnées par le Fonds d’investissement stratégique Mohammed VI dédiées à la thématique touristique. Les questions de sécurisation du territoire national et de cybersécurité sont également un élément central de la réussite d’un événement à portée mondiale. A mon humble avis, l’ONMT a réalisé un excellent travail promotionnel de la marque Maroc au travers de sa communication transverse et de ses stratégies de communication bien pensées, déployées sur tous les supports. Ajoutons à cela son déploiement extérieur en quête de nouveaux marchés bien ciblés et fléchés, et ses inlassables tentatives de création d’un Capital de «marque Maroc». Ce dernier doit être fort, fiable et à même de créer des clusters de consommateurs fidèles à la marque Maroc, et ce, pour les transformer en premiers ambassadeurs et défenseurs du «We Love Morocco !».