Relèvement de l’âge de départ à la retraite: pourquoi faut-il toujours s’acharner sur les mêmes ?

Relèvement de l’âge de départ à la retraite: pourquoi faut-il toujours s’acharner sur les mêmes ?

Le 20 avril dernier, le Porteparole du gouvernement, Mustapha Baitas, a clairement affirmé, lors d’un point de presse, que le relèvement de l’âge de départ à la retraite était devenu incontournable, en raison des déficits prévus à moyen et à long terme des caisses de prévoyances sociales, mais aussi pour contribuer à financer la généralisation de la protection sociale décidée en 2022. Les intentions sont bonnes et louables, mais comme dit l’adage, la route vers l’enfer est pavée de bonnes intentions.

Tâchons donc d’analyser en profondeur les éventuels fondements d’une telle démarche, et d’en juger la pertinence en toute objectivité. Car non, on ne fait pas bosser les gens plus longtemps pour financer un projet aussi beau soit-il, ou pour combler les trous dans la machine, dont les futurs retraités ne sont responsables en rien. Ainsi, si justifications il y a, il faut les chercher avant tout au niveau démographique et socioéconomique. Commençons tout d’abord par l’espérance de vie à la naissance.

Au Maroc, en 2020, elle est, selon le HCP, de 76,6 ans pour la totalité de la population, de 78,3 pour les femmes et de 74,9 pour les hommes. L’âge de départ à la retraite étant actuellement de 60 ans, cela veut dire qu’en moyenne, une Marocaine pourra profiter de sa retraite pendant 18,3 ans; quant aux hommes, ils devront se contenter de 14,9 ans. Pour le coup, on ne pourra pas accuser la biologie d’être patriarcale. Blague à part, si l’on compare ces données à celles de la France, le contraste est frappant. Car l’espérance de vie moyenne à la naissance y est supérieure de 6,4 ans par rapport au Maroc, au moment même où ils partent à la retraite que 2 années plus tard qu’au Maroc, soit à 62 ans actuellement, et à 64 ans à partir de septembre prochain, ce qui fait que le Français profite en moyenne de 2,4 ans de plus de sa retraite qu’un Marocain.

Et il est important de noter qu’en plus de cette aberration, la pyramide des âges y est bien pire qu’au Maroc. Au Maroc, la part dans le total de la population des personnes âgées de plus de 60 ans n’est que de 11,7%, au moment où en France, elle est de 20% pour les individus âgés d’au moins 65 ans. Certes, ce taux ne cesse d’augmenter au Maroc pour une double raison : l’augmentation de l’espérance de vie d’un côté, et la baisse de la fécondité de l’autre. En effet, en l’espace de 40 ans, la fécondité au Maroc est passée de 5,73 enfants par femme en moyenne en 1980 à 2,35 en 2020.

Cette baisse spectaculaire est cependant tout à fait naturelle, puisqu’elle correspond à une dynamique que tous les pays ont connu où connaissent actuellement pour les moins développés, celle de la transition démographique. Donc, globalement, l’évolution des variables socio-démographiques au Maroc doit inciter à adopter une démarche prospective, mais au moment actuel, on ne peut pas dire qu’il y a péril en la demeure. Par conséquent, si le problème n’est pas fondamentalement démographique à l’heure actuelle, il faudrait peut-être aller le chercher au niveau d’un autre indicateur, celui de la productivité du travail. Car un déclin démographique peut aisément être compensé par une croissance de la productivité du travail, avec pour corollaire une augmentation des revenus et des cotisations sociales. Pour définir la «productivité du travail», nous nous référerons à la définition donnée par le Bureau international du travail (BIT) : «La productivité du travail représente le volume total de la production (mesurée en termes de produit intérieur brut, PIB) produite par unité de travail (mesurée en termes de nombre de personnes employées ou d'heures travaillées) au cours d'une période de référence donnée». Sur ce terrain, les données sont loin d’être reluisantes. Selon les chiffres du BIT pour l’année 2021, la productivité du travail au Maroc n’est que de 11,85 $, soit un niveau inférieur à des pays comme le Pérou ou le Sri Lanka.

En Turquie, par exemple, elle est de 40,26 $. Ce faible niveau de productivité du travail au Maroc s’explique aisément par notre retard éducatif et par un taux d’analphabétisme qui demeure toujours alarmant, sinon anachronique par rapport au monde actuel et à toutes les révolutions techniques et scientifiques qui le structurent. Il en résulte que la population active occupée, qui représente 12,2 millions de Marocaines et Marocains, correspond, selon les données du HCP, à un taux d’activité d’à peine 44,3%. De même, un jeune sur quatre âgé de 15 à 24 ans (1,5 million au total) au niveau national ne travaille pas, n’est pas à l’école et ne suit aucune formation. Ça fait quand même un quart des jeunes ! Enfin, un actif sur quatre seulement est affilié à un système de retraite. Et c’est là où l’on en vient au sempiternel secteur de l’informel, qui représente pas moins de 60 à 80% de la population active occupée au Maroc et 30% du PIB.

Vous voulez résoudre le problème des déficits des caisses de retraite ? Je peux vous proposer l’équivalent d’une forme de croissance démographique : luttez contre l’informel et, comme par miracle, vous aurez des millions de nouveaux cotisants. Ainsi, l’informel devrait être perçu par l’Etat comme une armée de réserve fiscale et économique qui peut être mobilisée à tout instant, dès lors que le courage politique sera au rendez-vous, au lieu de s’acharner toujours sur les mêmes, sur cette classe moyenne qui n’en finit pas de mourir. Et, soit dit en passant, ça ne serait quand même pas un luxe si l’on pouvait, au XXIème siècle, supprimer l’analphabétisme au Maroc et enclencher une vraie dynamique de rattrapage éducative, pour le bien de tous, et en l'occurrence pour celui des caisses de retraite. Heureusement pour le gouvernement, les Marocains sont actuellement trop occupés à suivre l’évolution de la cotation de l'oignon et de la tomate pour s’intéresser sérieusement à cette question. 

 

Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Archè Consulting

 

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