La réforme du système des retraites est sans aucun doute l’un des dossiers les plus délicats que le chef de gouvernement, Saâd Eddine El Othmani, aura à gérer. Car si l’action gouvernementale s’inscrit dans la continuité des initiatives prises par le précédent Exécutif, pour ce qui concerne la retraite particulièrement, ce sera difficile de maintenir le même cap.
L’on se rappelle qu’avec Abdelilah Benkirane, la réforme du régime civil de retraite des fonctionnaires initiée pour… maintenir en vie la Caisse marocaine des retraites (CMR), si elle semblait urgente et nécessaire pour certains, a été fortement décriée. Par ailleurs, ce dossier des retraites a été à l’origine de vives tensions et a pollué les rapports entre le précédent chef de gouvernement et les syndicats, très opposés au contenu de la réforme pour laquelle ils n’avaient pas été consultés.
Le changement de gouvernement poussera-t-il pour autant les syndicats à changer de fusil d’épaule pour être plus conciliants ? Pas sûr. Car, jusqu’à présent, les positions des deux parties sur ce sujet ne semblent pas avoir évolué.
Récemment devant les parlementaires, El Othmani a réitéré l’engagement du gouvernement en faveur de tous les accords conclus en la matière avec ses partenaires sociaux et économiques, et à leur tête les principes de base de la réforme adoptés par la Commission nationale pour la réforme du régime de retraites lors de sa réunion du 30 janvier 2013.
L’objectif est d’évoluer d’une réforme paramétrique très critiquée vers une réforme systémique, le chef de gouvernement étant favorable à un système avec deux grands pôles : public et privé. A cet effet, d’ailleurs, dans sa sortie médiatique sur Medi1 TV le samedi 29 avril, El Othmani a laissé entendre qu’il allait réunir, durant les 100 premiers jours du gouvernement, la Commission nationale chargée de la réforme des régimes de retraite.
Si tous les observateurs s’accordent sur la nécessité d’une réforme globale du système des retraites, il apparaît néanmoins clairement que c’est la réforme paramétrique qui pose problème. D’ailleurs, du côté des syndicats, on n’en démord pas. Ils ont en effet fait entendre leurs voix sur le sujet des retraites lors du défilé du 1er mai. Le secrétaire de la section locale de l'Organisation démocratique du travail (union des syndicats de Rabat-Salé-Kénitra), Hassan El Khabouti, a appelé à l'arrêt immédiat de la mise en œuvre de la réforme paramétrique des régimes de retraite. Et à défaut de son annulation pure et simple, plusieurs centrales syndicales ont demandé la révision de la réforme pour rompre avec les orientations imposées par le précédent gouvernement.
Il faut dire que le discours sur ce dossier chaud s’est davantage radicalisé depuis que la Commission d'enquête parlementaire sur la Caisse marocaine des retraites a recommandé de geler la réforme paramétrique. Car, dans son rapport final présenté en mars dernier, elle a laissé entendre que cette «réformette» ne résolvait pas le problème, mais donnait au plus un sursis de quelques années à la CMR : elle permet en effet de repousser la date d’épuisement des réserves à 2028 au lieu de 2022. Et ce, après que la Caisse a commencé à puiser dans ses réserves (un milliard de DH en 2014 et trois milliards de DH en 2015) pour honorer ses engagements vis-à-vis des adhérents à la retraite.
Mais cette commission a surtout pointé du doigt la responsabilité de l’Etat dans la situation actuelle de la Caisse. Selon elle, les gouvernements qui se sont succédé n'ont pas dévoilé la valeur réelle de la dette due par l'Etat au profit du système de retraite civile. De même, la commission dénonce non seulement des problèmes de gouvernance, mais également des «décisions politiques et administratives affectant le fonctionnement de la Caisse à travers des réformes défaillantes, sans faire d’études actuarielles ni de vision prospective et sans évaluer les impacts financiers de chaque décision».
Bref, tous les ingrédients sont réunis pour entretenir le vent frais qui circule entre l’Exécutif et les centrales syndicales. Même si El Othmani tente, tant bien que mal, de pacifier les relations entre les deux parties. C’est dans ce cadre que s’inscrit la série de rencontres qu’il a eues, les 24 et 25 avril dernier, avec les centrales syndicales les plus représentatives, en présence du ministre de l'Emploi et de l’Insertion professionnelle.
Mais la reprise du dialogue ne signifie pas pour autant qu’une entente sera forcément trouvée pour ce dossier épineux. Un dossier sur lequel les syndicats, qui dressent en bouclier la protection des travailleurs, sont peu disposés à faire des concessions, et où El Othmani doit gérer l’impact d’une non-réforme sur la viabilité des finances publiques et les recommandations préconisées avec insistance par les bailleurs de fonds sur la problématique des retraites. Autant dire que le chef de gouvernement est dans la fosse aux lions. De laquelle manier subtilement la chèvre et le chou restera l’unique moyen d’en échapper. Et encore ! ■
Par D. William