Innovation: «Le Maroc a des atouts considérables et uniques pour développer des batteries 100% marocaines»

Innovation: «Le Maroc a des atouts considérables et uniques pour développer des batteries 100% marocaines»

Rachid Yazami, pionnier des batteries lithium-ion, enregistre un nouveau record en matière de recharge des batteries intelligentes, qui passe désormais de 6 à 5 minutes. Entretien avec ce physico-chimiste, inventeur de l’anode graphite.

Finances News Hebdo : Battre des records est votre marque de fabrique. Recharger les batteries au lithium-ion en seulement 5 minutes est désormais possible. Parleznous de cette dernière prouesse ?

Pr Rachid Yazami : En effet, c’est une prouesse technologique, qui résulte d’une révision totale de la manière dont les batteries sont chargées. C’est la méthode de charge que nous avons complètement remise en question. La méthode ancienne est basée sur la recharge à courant constant, et au lieu d’utiliser cette dernière, nous avons préconisé l’utilisation de la voltammétrie non linéaire (NLV). C’est une nouvelle méthode qui consiste à contrôler l’augmentation de la tension de la batterie est de regarder le courant de charge qui est induit par cette augmentation de la tension. Avec ce procédé, nous avons réussi à charger des batteries en 5 minutes. Ce qui constitue effectivement un record mondial pour des batteries à base de densité d’énergie assez élevé

 

F. N. H. : Votre innovation en matière de batterie intelligente constitue un enjeu important pour la transition énergétique, et revêt un caractère crucial pour l’économie mondiale. Qu’en dites-vous ?

Pr R.Y. : Les batteries intelligentes sont des batteries dans lesquelles on utilise des puces électroniques programmables, qui permettent de communiquer avec un central appelé  «Battery Management System». Ces puces récupèrent les données de la batterie au cours de son fonctionnement pendant la charge et la décharge. Elles renseignent sur plusieurs facteurs très importants de la batterie, à savoir l’état de charge, l’état de santé et l’état de sécurité; ce dernier point est évidemment crucial. Pour la simple raison que si jamais les batteries sont mal utilisées ou de mauvaise qualité, elles peuvent s’enflammer ou carrément exploser. Cela concerne la sécurité de l’utilisateur, et tout particulièrement dans les voitures électriques. La batterie intelligente, non seulement sera plus sûre, mais durera aussi plus longtemps. C’est-à-dire on pourra utiliser un pack de batterie dans une voiture électrique pour au moins 10 ans, voire 15 ans. Il est clair que ce genre de batterie aura un impact sur l’environnement puisqu’on aura moins de batterie à recycler. Comme vous le savez, le recyclage a un coût et non des moindres. En plus d’être onéreux, il prend beaucoup de temps et a besoin de ressources naturelles, en particulier l’eau. C’est pour cette raison qu’il est important d’étendre la durée de vie de la batterie, grâce justement à l’intelligence artificielle qui permet de corriger un certain nombre de paramètres de fonctionnement de la batterie.

 

F. N. H. : Le projet d’une usine de production de batteries au lithium au Maroc vous tient à cœur. Où vous en êtes aujourd’hui ?

Pr R.Y. : C’est un très grand projet et j’en parle depuis 2014. Personnellement, je considère que le Maroc ne va pas échapper à l’arrivée des voitures électriques à l’horizon 2027-2030. Comme nous avons des fabricants de voitures, en l’occurrence Stellantis et Renault, ces deux grands fabricants européens et internationaux vont nécessairement produire des voitures électriques au Maroc. Il serait judicieux que ces batteries qui vont être utilisées dans ces véhicules soient fabriquées au Maroc. Il y a un marché énorme. Le Royaume possède les ressources nécessaires pour produire ces batteries en particulier. Notre pays regorge de réserves de phosphate; cette précieuse substance et le cobalt sont utilisés dans la cathode des batteries au lithium-ion. Ces deux éléments font que le Maroc a des atouts considérables et uniques pour développer des batteries 100% marocaines. Au lieu d’exporter le phosphate et le cobalt à l’étranger, en particulier en Chine, et récupérer les batteries à un prix exorbitant, 3 à 4 fois plus élevé, que si on les fabriquait au Maroc. C’est une opportunité industrielle avec un risque minimal. La fabrication des batteries locales permettra également d’ouvrir le marché de l’emploi, des centaines voire des milliers de postes de travail verront le jour.

 

F. N. H. : La création d’une gigafactory a été annoncée par le ministre de l’Industrie, Ryad Mezzour, en juillet 2022. Qu’en est-il et quel est votre avis ?

Pr R.Y. : Effectivement, il y a eu une annonce. Pour l’instant, le ministre entend en faire une autre d’ici la fin de l’année, en tout cas c’est ce qu’il a promis. Je ne sais pas où en sont les négociations avec les partenaires industriels qui vont venir installer cette usine dans le Royaume. Moi, je ne suis pas concerné par ce projet; on ne m’a pas consulté pour cela et je ne me plains pas. Du coup, je ne suis pas au courant de l’état d’avancement de ce projet qui a été annoncé par Ryad Mezzour.

 

F. N. H. : Vous êtes l’inventeur de l’anode en graphite, qui a révolutionné les batteries lithium-ion. Quel effet cela fait d’être l’inventeur de cette anode qui a bouleversé l’économie mondiale ?

Pr R.Y. : Je suis effectivement l’inventeur de l’anode en graphite, qui est le pôle négatif des batteries lithium-ion. Cette invention, je l’ai réalisée en 1980. Elle n’a été utilisée dans des batteries commerciales que 11 ans plus tard par la société japonaise Sony. Depuis 1991 jusqu’à aujourd’hui, l’anode en graphite est la plus utilisée dans toutes les batteries au lithium, et en particulier celles qui équipent les téléphones portables et les voitures électriques. Elle reste à ce jour la seule anode fiable, utilisable dans toutes les batteries aussi bien d’énergie que de puissance. Plus de 98% des batteries lithium-ion utilisent l’anode en graphite, et cela me conforte dans l’idée que c’était la solution au problème de la recharge des batteries au lithiumion. C’est un sentiment de fierté de dire que, finalement, on peut avoir des idées qui nous dépassent. On n’a pas trouvé mieux que cette anode, alors que l’électrode positive, c’est-à-dire la cathode, a été plusieurs fois changée et remaniée, depuis son invention par le professeur John Goodenough en 1980. On estime que la production dépassera les 2 térawattheures en 2030, soit plus de 200 milliards de dollars.

 

F. N. H. : Vous avez pratiquement tout gagné en matière de consécrations; votre travail et savoir sont mondialement reconnus. Pourtant, le prix Nobel de chimie vous échappe encore. Comment expliquez-vous cela ?

Pr R.Y. : J’ai eu beaucoup d’honneur. La reconnaissance internationale a eu lieu en 2012 quand j’avais reçu le prix de l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens. C’était là ma toute première grande consécration. Ce prix, je l’ai partagé avec deux prix Nobel, à savoir l’Américain John Goodenough et le Japonais Akira Yoshino. En 2014, j’ai eu le privilège de décrocher le prestigieux prix Draper, le Nobel des ingénieurs, décerné chaque année par l’Académie nationale d’ingénierie des Etats-Unis. Il s’agit de la plus haute distinction que j’ai eue. Et une fois encore, je l’ai partagé avec l’Américain John Goodenough et les Japonais Akira Yoshino et Yoshio Nishi. C’est à partir de ce sacre que je suis devenu connu aussi bien au Maroc qu’à l’étranger. La même année, j’ai été décoré par Sa Majesté le Roi du Wissam alaouite. C’est un grand privilège pour moi. Dans la foulée, j’ai été décoré de la légion d’honneur française et, par la suite, j’ai reçu plusieurs consécrations, notamment au Koweït ou encore à Paris. Le dernier prix en date, je l’ai reçu cette année au Symposium international en Thaïlande, où participaient 9 lauréats du prix Nobel. En recevant le prix de «Whittingham International Energy Award», je suis le premier à avoir obtenu cette distinction. Au fait, la différence entre le prix Nobel et le prix Draper est que le prix Nobel est limité à 3 personnes, alors que le prix Draper consacre jusqu’à 6 lauréats. En ce qui me concerne, je pense que j’étais parmi les 4 finalistes pour le Nobel de chimie. Mais par la suite, il fallait trancher entre les candidats, ils ont retenu 3. Il faut accepter les règles du jeu. Il y a un comité qui vote; il est vrai que j’étais déçu et surpris, d’autant plus que l’anode que j’ai inventée est la seule qui n’a pas changé depuis la commercialisation des batteries au lithiumion jusqu’à aujourd’hui. Tout le monde utilise mon invention dans son téléphone. Il y a eu une incompréhension pas seulement de ma part, mais de beaucoup de scientifiques en Europe, en Asie et aux Etats- Unis. Je pense que ce n’est pas perdu pour toujours, un jour peut-être je pourrai le recevoir. Je suis un homme de science, je reste optimiste, et j’ai beaucoup de projets en cours. D’ailleurs, je suis en partance pour les Etats-Unis où je suis professeur- visiteur à l’Institut de technologie en Californie (Caltech), qui est l’un des instituts les plus prestigieux au monde. Je vais travailler avec la Nasa, comme je l’avais fait dans les années 2000; c’est quand même beaucoup de prestige. J’ai aussi mes projets industriels à Singapour et éventuellement au Maroc.

 

 

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