Amine Diouri, responsable études et communication chez Inforisk
- Le recul de 20% des demandes de brevets d’origine marocaine entre 2016 et 2017 traduit plusieurs dysfonctionnements profonds en lien avec l’innovation.
- Tout en suggérant une panoplie de solutions, Amine Diouri, responsable études et communication chez Inforisk, identifie les multiples facteurs qui expliquent le retard du pays en matière d’innovation.
Finances News Hebdo : Que vous suggère le recul des dépôts de brevets d’origine marocaine qui ont connu la plus forte baisse depuis 5 ans ?
Amine Diouri : Alors que le nombre de demandes de brevets d’invention a globalement augmenté de 20% entre 2016 et 2017, les demandes de brevets d’origine marocaine reculent de 20% ! Et c’est là le vrai problème.
Ces chiffres sont à mon sens à mettre en corrélation avec les chiffres marocains de l’innovation. Car, même si le Maroc occupe une honorable 72ème place au Global Innovation Index (qui prend en compte le nombre de brevets d’invention), qui le situe sur le podium africain et devant ses voisins maghrébins, c’est l’arbre qui cache la forêt de l’innovation.
Le Maroc consacre à peine 0,8% de son PIB à la R&D, contre 3% pour les pays les plus innovants comme la Corée du Sud.
Par ailleurs, l’innovation marocaine est financée à 75% par le secteur public, le solde par les entreprises privées. A ce titre, le Maroc ne bénéficie pas de ce levier de développement, source de davantage de richesse et de productivité, qui lui permettrait de mieux se situer dans la compétition mondiale.
Rappelons que les premiers pays qui dépensent le plus pour l’innovation ne sont pas nécessairement les pays les plus peuplés ou les plus vastes : Singapour, Suède, Corée du Sud, Suisse… La question de l’innovation est avant tout une question d’engagement fort des pouvoirs publics.
F.N.H. : A quoi faudrait-il relier cette baisse substantielle ?
A. D. : À mon sens, notre absence de performance en matière d’innovation est liée à 3 facteurs principaux. Premier facteur : le faible lien existant entre nos universités et les entreprises, mais aussi les organismes publics qui promeuvent l’innovation (à l’instar du Centre national pour la recherche scientifique et technique par exemple).
Au niveau de nos universités, les étudiants qui produisent des idées doivent être accompagnés. Chacune d’elles devrait être équipée par exemple de centre de prototypage, qui permettrait de réaliser le premier prototype fonctionnel. Le lien est nécessaire avec les entreprises privées car un produit innovant répondant à leurs problématiques métiers serait bien évidemment susceptible de les intéresser. Au contraire, on voit de plus en plus d’entreprises, particulièrement les banques, organiser des hackathon sur des thématiques de l’innovation propres à leurs besoins clients.
Autre facteur manquant, celui du financement, qui a été jusqu’à présent le maillon faible de l’innovation. Certes, la mise en place du Fonds Innov Invest en 2018 avec son écosystème d’incubateurs (équipés d’appareils de prototypage) et de financeurs (700 MDH consacrés au financement de l’innovation) est un vrai progrès.
Dernier point, la question de la contrefaçon est aussi fortement problématique. A titre d’exemple, je rappelle que 7 logiciels sur 10 au Maroc sont contrefaits. Pourquoi investir des millions de DH en R&D, si la première entreprise venue peut proposer un produit contrefait et qui ne lui a rien coûté. Il faut donc lutter de manière sévère contre ce fléau si nous voulons voir les dépôts de brevets augmenter plus fortement.
F.N.H. : Quel est votre avis sur le niveau d'innovation du tissu entrepreneurial national et celui de la recherche et développement du pays ?
A. D. : Notre tissu entrepreneurial produit peu de services innovants. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les créations d’entreprises. La très grande majorité des créations annuelles restent focalisées sur des activités traditionnelles : commerce, restauration, BTP… Mais cela n’est pas de la faute de l’entrepreneur. On sait que dans notre pays, il y a de bonnes idées qui fleurissent, mais pas suffisamment d’accompagnement et de financement, pour permettre à l’idée de devenir un produit ou un service commercialisable, répondant à une problématique de marché.
Maintenant comme je l’ai déjà souligné, le programme Innov Invest est une excellente chose, qui permettra, je l’espère, d’inverser la tendance.
Concernant la R&D nationale, les chiffres sont suffisamment parlants : 0,8% du PIB consacré, une production scientifique marocaine représentant à peine 0,1% de la production mondiale, 1,8 chercheur pour 1.000 actifs (et encore, une majorité de chercheurs se consacre à une production autre que scientifique).
F.N.H. : Enfin, selon vous, les entreprises marocaines sont-elles suffisamment sensibilisées des atouts et des avantages découlant des dépôts de brevets ?
A. D. : Je pense que nos entreprises sont suffisamment sensibilisées sur cette question de dépôt de brevets. La vraie question est plutôt, protège-t-on suffisamment l’innovation au Maroc ? Ma réponse est clairement non.
La contrefaçon, qui est, je le rappelle, un vrai fléau, représente une véritable industrie au Maroc avec 12 milliards de dirhams de chiffre d’affaires. Cela n’incite pas vraiment les entreprises à investir davantage en R&D et à déposer des brevets. ■
Propos recueillis par M. Diao