Pharmacoéconomie: «Au Maroc, l’implémentation d’une agence totalement dédiée à l’ETS s’imposera d’elle-même»

Pharmacoéconomie: «Au Maroc, l’implémentation d’une agence totalement dédiée à l’ETS s’imposera d’elle-même»

La Société marocaine de l’économie des produits de santé a tenu à Salé son 9ème Congrès national, le 2ème au niveau africain.

Les défis et perspectives de l’évaluation des technologies de santé (ETS) étaient au cœur du débat.

Entretien avec Abdelmadjid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique, analyste des marchés pharmaceutiques et membre de la société marocaine de l’économie des produits de santé.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : La Société marocaine de l’économie des produits de santé (SMEPS) a organisé son Congrès national et africain pour débattre de la thématique «l’évaluation des technologies de santé. Quelle importance revêtelle pour le secteur»?

Abdelmadjid Belaïche : Le 9ème Congrès national et le 2ème Congrès africain de pharmacoéconomie et de pharmacoépidémiologie a été organisé au Palais des Congrès de Bouregreg à Salé, du 11 au 13 mai 2023 par la Société marocaine de l’économie des produis de santé (SMEPS), en collaboration avec l’équipe de recherche en pharmacoépidémiologie et pharmacoéconomie de l’Université Mohammed V de Rabat. Pour cette édition, la thématique choisie concerne «L’évaluation des technologies de santé : perspectives et enjeux de mise en œuvre dans le système de santé marocain et africain».

Il est vrai que l’évaluation des technologies de santé (ETS), plus connue sous le nom de Health Technology Assessment (HTA), est un outil d’aide à la prise de décision et à l’arbitrage de choix entre programmes, services et produits de santé indispensables pour la prévention, le diagnostic, le traitement des maladies et la réadaptation des patients, à la fois en termes de coûts et d’efficacité, chaque fois qu’il faudra décider lequel rembourser ou lequel financer. Selon le professeur Samir Ahid, président de la Société marocaine de l’économie des produits de santé, «l’évaluation des technologies de la santé est une évaluation multidisciplinaire et interdisciplinaire. Elle peut être adoptée et adaptée selon les besoins et la spécificité du pays en vue d’améliorer l’accès aux soins et de promouvoir l’équité en matière de santé. Aussi, de donner aux décideurs les moyens d’élaborer des politiques relatives aux technologies de la santé et, par conséquent, de favoriser le déploiement de nouvelles technologies présentant une efficience satisfaisante tout en empêchant l’adoption de technologies peu avantageuses pour le système de santé».

Au Maroc, l’implémentation d’une agence totalement dédiée à l’évaluation des technologies de santé s’imposera d’elle-même dans la nouvelle gouvernance, dans le cadre de la refonte du système de santé et de la généralisation de la couverture sanitaire universelle (CSU). Dans ce cadre, ce congrès a été l’occasion d’intenses échanges d’expériences entre experts. De même, il y a eu la présentation des différentes expériences des pays de l’Afrique et des autres régions du monde ayant déjà eu l’opportunité d’implémenter l’ETS (à savoir l’Egypte, la Tunisie, le Ghana, 12 pays asiatiques, l’Amérique du nord (USA et Canada) et l’Europe) ainsi que l’expérience des pays en cours de mise en place de l’ETS, c’est le cas du Maroc et du Sénégal. Le 9ème Congrès national, 2ème africain, a vu la participation des différentes parties prenantes dans le domaine de la santé, notamment les instances gouvernementales et les autorités de santé, des scientifiques, des chercheurs universitaires, des professionnels de l’industrie pharmaceutique ainsi que les prestataires de soins et les partenaires internationaux. Par ailleurs, les présentations orales ou affichées, des travaux de jeunes chercheurs dans le domaine de la santé des différents pays ayant participé à ce congrès ont été évalués et les meilleurs ont été primés.

 

F.N.H. : Avec l’extension de l’assurance maladie obligatoire (AMO) à l’ensemble des citoyens, combiné à la refonte du système national de santé, le débat sur le financement de la santé et le rôle de la technologie est plus que jamais d’actualité. Quelle lecture en faites-vous ?  

A. B. : Sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste, la couverture sanitaire a été élargie à l’ensemble des citoyens, ce qui suppose l’inclusion de pratiquement 27 millions de personnes qui vont s’ajouter aux 11 millions déjà couverts par l’assurance maladie obligatoire, (AMO), soit au total 37 millions de citoyens. Ceci va poser la problématique de la satisfaction des besoins considérables en soins de la population sans ruiner les caisses des organismes gestionnaires de l’assurance maladie. Un tel équilibre budgétaire ne peut être réalisé sans une évaluation de l’ensemble des technologies de santé, pour choisir celles qui sont les plus optimales et adéquates en termes de résultats thérapeutiques et les moins coûteuses.

 

F.N.H. : Quels sont les défis et perspectives de la mise en place d’une évaluation des technologies de santé au sein de l’écosystème sanitaire ?  

A. B. : L’implémentation de l’évaluation des technologies de santé passe d’abord par la définition du cadre juridique accompagnant cette mise en place ainsi que les champs d’application. Ensuite, par le recrutement de chercheurs et de cadres de santé de hauts niveaux et par la mise en place d’une agence dédiée aux évaluations technologiques de santé, et qui soit autonome administrativement et financièrement. Le but étant de donner des avis sur des bases scientifiques robustes et en toute indépendance. Le véritable défi sera certainement celui des ressources humaines de haut niveau qu’exige ce type d’agences.

 

F.N.H. : Quelles sont les recommandations qui ont été retenues à l’issue de ce 9 Congrès ?  

A. B. : A l’issue du congrès de la SMEPS et à la suite des échanges entre les conférenciers, les modérateurs et les différents participants à cette manifestation scientifique sur les modalités, les défis et les perspectives de développement et de mise en place de l’ETS, il y a eu la formulation de 15 recommandations, détaillées comme suit :

• Sensibiliser davantage les différentes parties prenantes sur l’importance de l’évaluation des technologies de la santé (les programmes, services et produits de santé) pour favoriser leur adhésion et engagement;

• Développer le cadre réglementaire régissant l’évaluation des technologies de la santé;

• Renforcer la mise en place du cadre institutionnel pour la réalisation de l’ETS en instaurant des instances indépendantes et des organismes de gestion chargés de l’évaluation des technologies de la santé, travaillant avec la rigueur scientifique et transparence;

• Assurer un financement pérenne et suffisant pour la réalisation de l’évaluation des technologies de la santé;

• Renforcer les capacités des ressources humaines dans le domaine de l’ETS, par exemple des ressources humaines qualifiées et disponibles;

• Développer un réseau d’acteurs concernés conscients de l’utilité de l’évaluation des technologies de la santé,

• Développer des référentiels et des guidelines pour l’ETS;

• Prévoir un système d’information intégré, actualisé et fiable pour la réalisation de l’ETS;

• Définir les critères de priorisation de l’ETS et les champs d’application prioritaires et favoriser les achats stratégiques des technologies de santé au service de la couverture sanitaire universelle; • Contextualiser les approches de l’évaluation et de la réévaluation des technologies de santé en fonction du potentiel et des capacités disponibles du pays;

• Développer des partenariats avec les différentes parties prenantes nécessaires pour la réalisation de l’évaluation des technologies de la santé dans tout son cycle de vie;

• Favoriser l’échange d’expertise, d’informations, de méthodes et de résultats de recherche au niveau national, régional, africain et international en matière de l’ETS;

• Associer les usagers du système de santé et les associations de malades dans les commissions chargées de l’ETS;

• Promouvoir et développer des connaissances scientifiques (basées sur des preuves et des évidences scientifiques) permettant l’évaluation des technologies en santé;

• Et, enfin, renforcer et promouvoir des études de recherche scientifique locales avec le développement des études cliniques, pharmacoépidémiologiques et pharmacoéconomiques pour la réalisation de l’ETS. 

 

 

 

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